vendredi 20 juillet 2018

DPJ retire deux filles à leurs parents sur fond d'instruction à la maison

Un couple lance un cri du cœur contre la DPJ, qui lui a retiré ses deux filles il y a plus de trois ans. Au centre du désaccord, la scolarisation et un diagnostic d’autisme.

Lorsque Sylvie et François (prénoms modifiés) vont voir leurs deux filles, âgées de 10 et 11 ans, ils ne peuvent même pas les toucher. Ni les consoler. Ils ont le droit de les voir une heure et demie par semaine, sous supervision, dans un endroit déterminé par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Sylvie et François se sont vu retirer leurs droits parentaux et tous les autres droits. Aussi bien dire qu’ils se sont fait retirer leurs enfants, point. Depuis plus de trois ans. L’histoire commence en région, leur première fille a huit mois, Sylvie et François font le choix de s’acheter une maison sur le bord d’un lac privé, dans les pays d’en haut, avec plein d’animaux, des poules, des canards, des lapins, des chèvres miniatures.


Dessin d’une des enfants fourni par les parents anéantis. Elles n’auraient plus le droit de dessiner.

Ils ont un élevage de chiens de race.

Presque un an plus tard, ils ont eu une autre fille. « On est resté là pendant sept ans, les filles étaient libres, raconte Sylvie. C’est ce qu’on voulait, qu’elles grandissent dans la nature. Elles allaient se baigner dans le lac, avec une veste de sauvetage bien sûr, elles ont appris à faire du vélo, du quatre roues. »

François travaillait à temps plein, il faisait du soutien technique pour une entreprise de télécommunication. « On avait tout équipé pour les enfants, on avait un module de jeux, se souvient François. Il y avait un camping à deux minutes, on y allait, il y avait beaucoup d’enfants, des activités. Chez nous, on recevait la famille et les amis, on se faisait des barbecues, des feux de camp au clair de la lune. Les filles ont grandi là-dedans. »

Jusqu’à ce que François doive se trouver un nouveau travail, qu’ils décident de se rapprocher de la ville. Et aussi d’une école. « La première année, pour la plus grande, je l’ai fait en scolarisation à la maison. Quand la deuxième a été en âge, on a décidé de se rapprocher pour les inscrire. »

François s’est vite trouvé un boulot, toujours en soutien technique dans le domaine des télécommunications. Ils ont déménagé dans un quatre et demi au nord de Montréal, près d’un boulevard.

Sylvie et François ont décidé de continuer la scolarisation à la maison le temps que les filles s’adaptent à leur nouvelle vie. « Je me suis présentée à la commission scolaire pour les inscrire, je n’avais pas leurs certificats de naissance. J’ai dit à la dame que je les inscrirais quand je les aurais. »
Elle a fait la demande au Directeur de l’État civil.

La dame, qui avait pris soin de préciser à Sylvie qu’elle n’était pas en faveur de l’école à domicile, a vérifié peu de temps après si les enfants avaient été inscrites. Elles ne l’étaient pas.

Au lieu d’appeler les parents, elle a appelé la DPJ.

La DPJ a dépêché tout de suite une intervenante à leur domicile, Sylvie lui a montré le certificat qu’elle avait reçu, lui a dit qu’elle attendait l’autre avant de procéder à l’inscription. Selon ce que m’a raconté Sylvie, l’intervenante, voyant qu’elle était de bonne foi, a fermé le dossier. Aussitôt que le facteur a livré le certificat manquant, Sylvie est allée inscrire ses filles à la commission scolaire de la Rivière-du-Nord, leur a fait l’école à la maison. « On s’est inscrits comme membre de l’AQED », l’Association québécoise pour l’éducation à domicile, pour avoir des ressources.

Une première rencontre a eu lieu en septembre. « Une dame m’a remis une feuille avec ce qui devait être vu, ce que les filles devaient apprendre. Elles le savaient déjà, elles faisaient déjà plus que ça. » Sylvie a conservé cette feuille. « Je lui ai demandé si je pouvais avoir les manuels, avoir accès à la bibliothèque de l’école, inscrire les filles aux sorties, j’étais même prête à payer. C’était non, non, non, c’était impossible. Il n’y avait aucune possibilité d’avoir accès à quoi que ce soit, il n’y avait aucune ouverture. » Et elle est repartie. « J’ai été convoqué le 17 mars [2015] pour leur montrer le porte-folio, pour évaluer ce que les filles avaient fait pour l’année. Je trouvais ça trop tôt, j’ai laissé un message pour déplacer le rendez-vous. » Habituellement, les rencontres d’évaluation se tiennent entre la mi-mai et la mi-juin. Elle n’a pas eu de retour d’appel. Elle ne s’est pas présentée au rendez-vous du 17 mars. « Quand ils ont vu ça, au lieu de m’appeler, ils ont tout de suite appelé la DPJ, pour refus de scolarisation. » Trois semaines plus tard, une intervenante s’est pointée à la maison. « Elle posait des questions sur tout, sur la hauteur du comptoir, sur le sofa qui n’avait pas de bras sur le côté, n’importe quoi. Je n’étais pas habituée à me justifier comme ça. »

L’intervenante est revenue trois semaines plus tard avec une autre intervenante, ils ont posé des questions aux filles.

« Elle nous a appelés deux semaines plus tard, elle nous a dit de nous présenter en cour le lendemain matin. Elle nous a dit de ne pas emmener nos enfants. On ne connaissait rien à la DPJ, on ne comprenait pas. » Ils allaient bientôt comprendre. Le 21 mai 2015, la DPJ retient le signalement, estimant que la sécurité et le développement des enfants sont compromis. On reproche aux parents de ne pas prendre les moyens suffisants pour les scolariser ni pour les socialiser. On les accuse de faire de l’isolement parental, élément qui ne sera pas retenu comme prépondérant.

Les enfants ont alors sept et huit ans.

S’ensuit une série d’audiences en Chambre de la jeunesse, qui culmine le 19 juin, alors que François se présente devant le tribunal le matin, seul. En fin d’avant-midi, le juge demande à voir les enfants. « Je pars les chercher, mais, en même temps, la procureure de la DPJ réclame à la cour une intervention d’urgence. Elle dit qu’il y a un risque qu’on se sauve en Ontario ou aux États-Unis... »

Le juge donne le feu vert aux policiers pour aller chercher les enfants. François arrive sur le fait, les policiers sont chez lui. Sa femme et ses filles n’y sont pas. Dans le logement, il n’y a aucune boîte, aucune valise, aucun signe qui laisserait croire à une fuite imminente. « J’étais partie me promener avec les filles. J’étais stressée, je m’étais dit que ça me relaxerait. On traversait la 117 quand les policiers sont arrivés. » Ils ont pris les filles. Le tribunal a ordonné qu’elles soient placées immédiatement dans une famille d’accueil, ce qui fut fait. Les deux ont été placées quelques semaines plus tard dans un foyer, officiellement un « centre de réadaptation », avec sept autres jeunes. « Plusieurs des enfants qui sont là ont vécu de la violence. » Évidemment, c’est le choc. Les filles n’ont jamais été séparées de leurs parents.

La DPJ les fait évaluer par une neuropsychologue, qui conclut que la plus jeune est atteinte d’autisme sévère, que l’aînée a une forme modérée. « En cour, elle a dit qu’elles ont un développement équivalent à 9 à 12 mois, à peu près aucune autonomie, qu’elles peuvent à peine marcher et s’habiller qu’elles n’ont jamais vu un ballon de leur vie. »

François et Sylvie m’ont montré plein de photos où on les voit jouer au ballon. D’autres où elles font du vélo. Ils m’ont aussi montré des photos de blessures observées sur leurs filles lors de visites, des photos d’elles avant et après le placement. Elles sont amaigries, quasiment méconnaissables. « On ne sait jamais ce qui se passe là-bas, on ne nous informe de rien. Et quand on pose des questions, on nous répond n’importe quoi. »

J’ai passé trois heures et demie avec Sylvie et François, ils sont arrivés à notre rendez-vous avec cinq sacs remplis de documents. Ils m’ont montré les rapports d’évaluation psychologique des enfants, les documents de cour, la transcription de l’audience du 19 juin 2015, la facture du garage du même jour, une facture de plus de 2000 $ pour de l’orthodontie pour l’aînée, jusqu’aux notes médicales prises quand la petite avait deux mois, « suit des yeux, sourit, entend bien ». Oui, les parents sont en colère.

On le serait à moins.

Parmi les liasses de documents que les parents m’ont remis, il y a des dessins que leurs filles ont faits depuis leur arrestation. « Il y en a un où elle est tombée dans l’eau, où on voit le mot kidnapping. [...] Elles n’ont plus le droit de dessiner. »

Sylvie me parle d’une conversation qu’elle a enregistrée, dans le temps qu’ils pouvaient parler à leurs filles au téléphone. « Il y a quelqu’un à côté. Ma fille demande : “Est-ce que j’ai le droit de dire ça ?” La personne dit : “Oui, c’est OK, tu as le droit de dire ça.” »


Même chose pour les rencontres supervisées, qui se limitent à un dîner une fois par semaine, en présence de deux intervenantes. « On est dans une petite salle avec des meubles d’enfants, raconte Sylvie. Il y a plein de questions qu’on ne peut pas poser. On ne peut pas leur demander comment ça va ni ce qu’elles font. On apporte un jeu, un livre, on discute du livre. » Ils ne peuvent pas les toucher. La DPJ a fait faire une seconde évaluation, les diagnostics sont plus nuancés, on ne parle plus d’autisme sévère, mais d’une forme plus légère. Les parents ont pu faire évaluer leurs filles par un autre spécialiste, il a conclu à une forme légère pour la plus petite, rien de concluant pour la plus grande. « On sait que la petite a un problème d’élocution, on est prêts à travailler ça. Et si elles ont besoin de services et d’accompagnement, on est prêts à faire tout ce qu’il faut. » La DPJ ne les croit pas.

Depuis presque trois ans, donc, les parents et la DPJ sont à couteaux tirés à cause du diagnostic. « Ils nous demandaient de signer le premier diagnostic, mais on a toujours refusé de le faire. Ça n’a aucun sens. » Pour les parents, il est clair que l’arrestation de leurs filles les a traumatisées au point de fragiliser leur santé mentale.

La DPJ accuse les parents de refuser de collaborer, de critiquer sans arrêt la ressource où leurs filles sont hébergées.

Le 19 avril dernier, le tribunal de la jeunesse a prolongé de deux années le placement des filles, qui ont maintenant 10 et 11 ans, jugeant même « improbable à plus long terme » un retour à la maison. « Cette situation est d’autant plus triste que nous sommes en présence de parents qui ne constituent aucunement un danger pour la sécurité de leurs enfants qu’ils aiment immensément. »

Tout ça pour un désaccord sur la scolarisation. Et sur un diagnostic d’autisme. L’intransigeance de la DPJ est d’autant plus préoccupante qu’on tente habituellement par tous les moyens de maintenir les enfants dans leur milieu familial, même dans des situations à haut risque, où certains parents ont des problèmes de dépendances ou de violence.

Retirer un enfant de son milieu doit être un dernier recours.

Dans ce cas-ci, la DPJ n’a même pas envisagé un milieu plus proche des enfants, cela même si une grand-mère pourrait prendre le relais. « On était même prêts à donner notre logement à ma mère. On a deux salles de bains, les filles ont chacun leur chambre. » Elles sont joliment décorées. La DPJ s’entête. S’acharne. J’ai beau retourner la situation dans tous les sens, donner le bénéfice du doute à la DPJ, je n’arrive pas à concevoir que de faire arrêter des enfants de sept et huit ans par des policiers, de les arracher à leur famille peut, d’une façon ou d’une autre, être fait pour leur bien.

Si tout ça sert des intérêts, ce ne sont certainement pas ceux des enfants.

Source : Le Soleil, le 18 juillet 2018

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