samedi 1 août 2009

Critique laïque (Le Devoir) à la lecture de manuels ECR

Christian Rioux a lu quelques manuels et cahiers d'éthique et de culture religieuse, c'est bien. Mieux, M. Rioux ne produit pas l'article apologétique obligatoire au Devoir dès qu'on parle d'ECR. Ce fut encore le (comique) cas quand Louis Cornellier revint sur le cours d'ECR au détour d'une recension d'un livre sur la figure aujourd'hui mythifiée (il est pour le métissage !) du coureur des bois pour placer sa petite pique : « Les coureurs des bois n'auraient pas eu peur du cours d'ECR. » Remarque assez cocasse quand on se rappelle que ces trappeurs étaient souvent rebelles et libertaires et qu'il est fort douteux qu'ils eussent apprécié l'imposition d'un cours unique par un monopole étatique.

M. Rioux a déjà analysé avec originalité et bon sens les nouveaux manuels d'histoire. Nous reproduisons ci-dessous son article avec quelques commentaires de notre part.

Le créationnisme à l'école ?

Le titre du Devoir nous a fait sourire. En effet, dans le cadre du procès de Drummondville, lors des interrogatoires hors cour, un des avocats du Monopole de l'Éducation s'est exclamé que si les parents pouvaient choisir la formation spirituelle de leurs enfants plutôt que de se voir imposer le cours gouvernemental ECR, on en viendrait à enseigner le créationnisme dans les écoles publiques. Ce à quoi l'avocat des parents a répondu que c'était justement le cas dans les manuels approuvés d'ECR en citant le cas de plusieurs récits créationnistes dont celui du Grand Lièvre.


Grand Lièvre, créateur du monde, dans le matériel didactique de Modulo et CEC
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Activité 2e primaireCasse-tête Grand Lièvre CECGuide CEC de l'animatriceManuel enfant, 3 e primaire Modulo
J'ai toujours eu un faible pour les manuels scolaires. Quand j'étais sur les bancs de l'école, je conservais les miens avec soin et refusais de m'en séparer à la fin de l'année. Quand les professeurs étaient ennuyants, ce qui arrive dans les meilleures écoles, je me perdais dans leurs pages, conscient que des trésors inestimables s'y cachaient.

Les manuels étaient alors essentiellement des ouvrages de référence. À cette époque, les pédagogues n'avaient pas encore tout envahi. Je ne sais pas si je prendrais le même plaisir aujourd'hui, moi qui ai horreur des mises en situation et de toute cette pédagogie qui juge les enfants trop stupides pour comprendre quelque chose tant qu'ils ne l'ont pas rencontré dans leur vie quotidienne. Cette glorification du « vécu » n'est rien d'autre qu'une forme de mépris.

Récemment, j'ai eu la chance de feuilleter quelques manuels du nouveau cours d'éthique et de culture religieuse. Je recommande cet exercice à tous ceux que ce nouveau cours inquiète. Certains y trouveront matière à se rassurer. D'autres à s'inquiéter encore plus.
C'est également ce que nous pensons : ce cours divise, le libre choix s'impose donc.
J'ai d'abord eu le sentiment de retrouver les bons vieux cours de morale d'une autre époque. La trame n'est guère différente. On y décline tous les poncifs de ce qu'il faut faire ou ne pas faire pour vivre en société, être gentil avec son prochain, aimer sa grand-mère, sa matante et son chien. Les manuels regorgent de bonnes âmes qui aident le pauvre monde, militent dans des ONG, plantent des arbres et font du recyclage. Partout transpire la nouvelle morale des prêtres laïcs de l'État québécois. Celle que l'on retrouve d'ailleurs dans toutes les matières.
Oui, ce correctivisme moral, écologique et politique est omniprésent, mais le cours ne prône pas grand-chose comme valeurs si ce n'est la « tolérance » envers les minorités (immigrants, autochtones,...) et l'écologie fortement associée aux amérindiens, il laisse les enfants découvrir des valeurs communes dès le primaire (cette punition est-elle juste ? discutez-en.) Le programme et les manuels ne proposent rien au niveau moral quand il s'agit de considérer des sujets plus controversés et pour lesquels les religions proposent des conduites. Il suffit de penser à l'avortement, au clonage, à l'euthanasie, aux drogues, l'homosexualité, ou l'infidélité. Tout devient légitime là. Les Béatitudes chrétiennes sont traitées dans le même chapitre que l'usage des drogues (ERPI), sans que les unes ne soient préférées aux autres.
Heureusement, ces manuels contiennent une foule de renseignements sur les traditions religieuses les plus diverses. J'ai même cru deviner que certains éditeurs tentaient ainsi de combler de leur mieux le vide laissé par les nouveaux programmes en matière de culture générale. Ceux qui auront le courage de passer par-dessus le moralisme sirupeux qui transpire à chaque page trouveront probablement le moyen d'y apprendre quelque chose.
C'est vrai pour les deux manuels approuvés au secondaire (CEC et Grand Duc), nettement moins pour les manuels du primaire ou les cahiers du secondaire souvent mal faits et très partiaux.

Il demeure ensuite tout le problème lié au fait que les manuels présentent toutes ces religions et même des contes animaliers (le Réveillon des souris suit sans transition la Nativité) sur le même pied. Plusieurs parents s'inquiètent aussi de la présentation chronologique (voir manuel Grand Duc, secondaire IV) des religions qui aboutit sur les mouvements contemporains, à savoir l'athéisme et les sectes, comme s'il s'agissait d'une évolution inéluctable, sans présenter la réponse des grandes religions à ces mouvements contemporains.
Toutes choses qu'il aurait pourtant été préférable d'offrir dans un cadre plus neutre et plus riche culturellement, celui de véritables cours d'histoire, de littérature et de géographie humaine donnés par des enseignants formés dans ces disciplines.
Exact, c'est ce qui se fait en France, mais il y a alors nettement plus de faits et moins d'appels à une tolérance gnangnan et de rectitude politique. En outre, ces faits religieux (parler de l'islam et du christianisme lors d'un chapitre sur les croisades, parler du récit de Job avant d'analyser le fameux poème de Victor Hugo) sont nettement plus ancrés dans la réalité française puisqu'on parle principalement de l'histoire française et de la littérature française. Exit (pour les puristes exeunt) les longs développements sur les spiritualités autochtones, les spiritualités extrême-orientales et les wiccans.

Partie du sommaire du livre d'histoire de Hachette de 2de (secondaire IV à V) du programme français, bordé d'un liseré bleu ce qui traite du christianisme, vert pour l'islam, certains sujets mixtes (Espagne mozarabe, comparaison mosquée et église).

L'étranger qui découvrira le Québec en feuilletant ces manuels en sortira pourtant avec une étrange image de ce que nous sommes. Il sera convaincu que les populations issues de l'immigration récente représentent près de la moitié de la population. Pas une illustration, pas une photo où le « politbureau » (c'est ainsi que certains éditeurs surnomment les responsables des manuels au MEQ) n'ait imposé sa vision multiculturelle du Québec. Impossible, à travers ces images étriquées, de deviner que les Québécois dits de souche forment encore 80 % de la population québécoise.
Exemple d'avis du Bureau d'autorisation du matériel didactique sur un manuel de physique :
« SCIENCES PHYSIQUES 214 - ENVIRONNEMENT PHYSIQUE

Initiation à l'étude scientifique de l'environnement (3e édition)

Note : La manière de représenter l'ensemble des personnages féminins et ceux rattachés aux diverses minorités est inadéquate.»
Le Québec semble s'y résumer à une multitude de groupes ethniques qui coexistent les uns à côté des autres. On ne se surprendra pas que certaines écoles aient proposé aux élèves de redessiner le drapeau québécois pour le rendre plus multiculturel. Dans ce Québec imaginaire, tout le monde semble aussi avoir une religion. D'ailleurs, un chapitre du site Web de l'éditeur Lidec destiné aux élèves de la première année du secondaire s'intitule « Youpi ma religion à moi ! » Bien malin qui devinera que le Québec est l'une des sociétés les plus sécularisées d'Occident où les églises sont vides, quand elles n'ont pas été transformées en condos.
Intéressant ce point de vue, une personne religieuse réagit évidemment de manière totalement différente à cette activité quasi sacrilège pour lui.
La « mort de Dieu » proclamée depuis deux siècles par tous les philosophes ne semble pas avoir effleuré l'esprit des concepteurs de ce programme. Les agnostiques et les athées sont évidemment les grands perdants de cette opération. Ils n'ont d'ailleurs droit qu'à quelques rares paragraphes, avec de petites photos de Marx ou de Camus.
Oui, les athées peuvent être peu satisfaits. Voir aussi « So many religions ! Yeah ! »
Les sections consacrées aux récits de la création du monde sont parmi les plus riches et les mieux documentées. Sauf que l'angle essentiellement religieux et «tolérant» du programme force les auteurs à fuir comme la peste les théories scientifiques de la création.
M. Rioux a dû surtout consulter les quatre manuels CEC du primaire, c'est nettement moins vrai au secondaire (mais il n'y a que deux manuels approuvés) et dans les manuels Modulo du primaire.

Le Big Bang dans le manuel de 3e primaire de Modulo
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Notons que c'est un prêtre belge, professeur à l'U.C.L. et diplômé du M.I.T., Georges Lemaître, qui est à l'origine de la théorie du Big Bang (mais non de son nom), il y voyait un parallèle avec le « Que la lumière soit » de la Genèse.

Voir aussi cet enregistrement pris sur le vif dans une école, trente élèves et un professeur y « dialoguent » autour des récits de la création du monde et rient parfois de certains de ceux-ci.


Rassurons M. Rioux, le « dessein intelligent » n'est qu'un créationnisme déguisé, manuel Tête-à-tête, Éditions Grand Duc, secondaire IV, p. 187, approuvé début 2009.

Le manuel de quatrième année intitulé Autour de nous (CEC) consacre plusieurs pages aux légendes égyptiennes, vikings, africaines et mêmes unalit (une tribu inuit). Mais il ne contient pas un mot sur Darwin ! Les auteurs poussent la naïveté jusqu'à demander à des élèves de neuf ans comment, selon eux, ont été créés les premiers êtres. Tout cela après avoir soigneusement évité de mentionner que la science avait elle aussi tenté, tant bien que mal, de répondre à la question. On pourra bien rire des créationnistes américains après cela! Le pape lui-même a pourtant affirmé que « la théorie de l'évolution est plus qu'une hypothèse ».

De toute façon, la tolérance n'impose-t-elle pas de « se montrer respectueux des autres et de leurs différences, quelles qu'elles soient »? C'est ce qu'affirme en toutes lettres le manuel Faire escale, aux éditions Lapensée. Vous avez bien lu : « quelles qu'elles soient » ! Il est difficile d'être plus clair. Faut-il en conclure que seuls les intolérants dénoncent la burqa, le créationnisme, la polygamie et l'excision ?
M. Rioux a raison de s'insurger de ce « quelles qu'elles soient » dans les domaines qui lui tiennent à cœur, il ne lui reste plus qu'à comprendre que le traitement des religions toutes considérées comme bonnes et tout aussi légitimes les unes que les autres offusque les parents croyants de la même manière. Encore un petit effort.

Prière d'une agnostique envoyée au Devoir

Prière d'une agnostique envoyée au Devoir :
Il paraît redoutable et périlleux, après avoir lu la chronique du 31 juillet de Christian Rioux [voir le billet précédent], de laisser ses enfants suivre le nouveau cours d'éthique et culture religieuse. Les pauvres chéris, tout en étant surprotégés dans leur intégrité physique, seront, semble-t-il, soumis, en plus de tous les brassages publicitaires qu'ils subissent dès le plus bas âge, à une mise à l'épreuve quasi surhumaine de leur liberté de penser. Si même le ministère de l'Éducation s'ingénie à prendre part au lavage de cerveau des futurs citoyens, une violence sans effusion de sang ni ecchymoses, on n'aura bientôt plus qu'à se mettre à prier et à implorer je ne sais quel saint pour s'éviter le pire.

France Marcotte, Montréal