La méthode syllabique, condamnée par les Khmers rouges de l'éducation |
C’était pourtant une bonne nouvelle.
Tombant à pic, en cette rentrée scolaire morose. Deux chercheuses publient une enquête expliquant les raisons du désastre de l’enseignement de la lecture. Et démontrent qu’elles ont la solution pour en finir avec ces 40 % d’écoliers entrant en sixième [6e année de scolarisation, fin du primaire] sans maîtriser le français.
Elles auraient dû être saluées en héroïnes par la ministre de l’Éducation et les syndicats d’enseignants. Qui les ont ignorées. Parce que leur conclusion est inaudible : l’enseignement de la lecture est catastrophique parce que les méthodes pédagogiques utilisées depuis trois décennies sont catastrophiques.
Ce constat n’est pas nouveau. De grands chercheurs, comme Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France et spécialiste du cerveau, expliquaient que les méthodes courantes de lecture constituaient un « déni de la réalité scientifique ». Ils étaient ignorés. Ou traités de « réacs ». Mais Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller – qui ont osé titrer leur travail Réapprendre à lire – viennent de l’école Bourdieu. Et il faut lire leurs acrobatiques contorsions expliquant qu’elles n’ont rien à voir avec les horribles Polony, Brighelli ou Lafforgue. Prudence ou habileté ? Cela leur a peut-être suffi pour être accueillies par Libération qui n’en revient pas de leur « constat édifiant » : « Des méthodes dites progressistes, censées lutter contre les effets des inégalités sociales, les renforcent au contraire… » Et par le Monde, scotché : « Cette charge sévère et argumentée est inattendue. » Eh oui…
Au travers d’une lourde expérimentation avec des classes de CP [1re année du primaire] durant trois ans, les deux sociologues ont fait ce que le ministère a toujours refusé : évaluer pratiquement l’efficacité des méthodes d’apprentissage. Celles d’aujourd’hui et les anciennes, qu’elles ont remplacées. Résultat : non seulement les premières sont « génératrices d’échecs massifs », mais elles désavantagent les élèves d’origine « populaire » [souvent immigrée en fait]. Garcia et Oller montrent comment elles ont sauvé les élèves perdus, les transformant en une année en « bons lecteurs fluides ». Comment ? Avec des méthodes inavouables. Le « déchiffrage » des années 30. Et du harcèlement : « On les faisait beaucoup répéter. C’est tout simple – ce qui ne veut pas dire facile –, mais efficace. » Du « travail intensif ». Car selon elles, « l’évitement du travail scolaire » conduit à « un renforcement des inégalités ». De quoi, en effet, rendre muets tous les acteurs de l’éducation.
La ministre ? Difficile de ne pas se sentir visée par les allusions aux enseignements « abaissant les attentes, au nom de la “pédagogie de la réussite” ». Najat Belkacem suit la ligne de son ministère : ce qui ne marche pas doit être accéléré, généralisé, pour aboutir à l’égalité par la médiocrité. Toujours moins, comme le relevait un récent rapport : « L’effort d’écriture rebute les élèves et on le leur épargne. » Mettre fin au sadisme des cours directifs, en finir avec les notes, à la fois traumatisantes et révélatrices de l’abaissement du niveau.
Les syndicats ? Pénible, pour eux qui ratiocinent sur les fameux « moyens », d’entendre les deux sociologues railler la « mode » du « plus de maîtres que de classes » en expliquant que « deux enseignants dans le même espace n’apportent rien si les méthodes sont mauvaises ».
L’essentiel ? « Modifier les démarches et les contenus d’apprentissage. » Un vaste plan initiant les instituteurs aux méthodes efficaces serait plus utile que les 60 000 nouveaux postes. Les associations de parents d’élèves, qui ne cessent de plaindre les « pauvres-enfants — écrasés-de-travail » ? Les deux expertes leur conseillent, plutôt que ces activités périscolaires souvent nulles, d’« investir plus de temps dans l’entraînement ». Les « devoirs à la maison ». Et – horreur – « un peu de travail pendant les vacances ».
Autres grands silencieux, les ex-gourous du « niveau qui monte », les Meirieu, Baudelot, Establet, Dubet, etc. Réapprendre à lire raconte comment l’avant-garde de la linguistique post-1968 a fait carrière au ministère en y important des « convictions pédagogiques » relevant de « croyances » qu’une bureaucratie a « transformées en dogmes ». Ces Khmers rouges de la rééducation, « identifiant l’activité de déchiffrage des syllabes à celle du prolétaire privé de l’exercice de son intelligence par le travail à la chaîne », ont détruit ce qui réussissait. Et imposé des méthodes fantaisistes incompatibles avec le développement du cerveau du jeune enfant. Leur nuisance fut démultipliée quand Lionel Jospin leur a livré les fameux IUFM [Institut de formation des maîtres], où ils ont endoctriné des générations d’enseignants. Et massacré des générations d’élèves, dont l’échec a été « psychiatrisé ». Des victimes qualifiées de « dyspraxiques ou dyslexiques » et puis livrées aux « professionnels de la psychologisation de l’échec scolaire ou des troubles divers des apprentissages ».
Les deux chercheuses aggravent leur cas en estimant que les enseignements de l’orthographe et du calcul ont subi le même sort. Et en concluant que « le progressisme n’est pas toujours associé à ce qui fait progresser les élèves, mais à ce qui a été construit et imposé comme “pédagogiquement de gauche” ». Cela continue avec la réforme du collège, comme le note Philippe Tournier, secrétaire du syndicat majoritaire des chefs d’établissements : « On prend des décisions sur la base de croyances, de manière purement idéologique ! » L’école est victime d’un phénomène dont les pays de l’Est ont fait l’expérience : le pouvoir destructeur de l’idéologie. Elle régit toujours le ministère de l’Éducation qui, comme jadis le Kremlin, résiste aux démonstrations du savoir. Jacques Julliard a raison, il faut commencer par « raser la Rue de Grenelle » [le siège de l'Éducation nationale française].
Voir aussi
École, lecture et sciences cognitives : Quand expérimentation rime avec tradition
France : reportage sur les méthodes d'apprentissage de la lecture.
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