jeudi 6 septembre 2007

Pour une formation grammaticale à la fois rudimentaire et solide

La maîtrise de l’orthographe n’est pas uniquement en perte de vitesse au Québec (voir la dictée à laquelle échouent lamentablement de jeunes Québécois inscrits dans une bonne école), elle l’est également en France dans les classes instruites.

Claude Duneton abordait récemment le sujet dans le Figaro littéraire :
« D'où vient, disais-je la semaine dernière, que des gens diplômés, exerçant une fonction officielle au sein de l'appareil administratif français, parsèment leurs moindres communications de grosses fautes d'orthographe ? Les exemples que je citais, émanant d'un conseil général et d'une mairie de Paris (« On ne la pas vu s'arrêter » ; « Que le bonheur et la santé enveloppe cette nouvelle année » imprimés !), ou encore l'étonnant « bonne été » (manuscrit), sont révélateurs d'un phénomène nouveau chez les gens instruits. Ces fautes grossières étaient jadis le lot des semi-illettrés, telles qu'on les trouve dans la correspondance des poilus de 14-18 écrivant à leur famille. Je crains qu'aujourd'hui ces graphies vacillantes ne soient le symptôme d'une carence plus grave.

Le français, de par sa nature vocalique, fourmille d'homophones - je rabâche, mais tant pis. Le son la n'est rien en soi, car ce peut être aussi bien l'article féminin, la truite, que le pronom, il la voit, la note la (si do), également la composition élidée avec le verbe avoir, il l'a vue, et bien sûr l'adverbe là avec sa casquette. Oh là là !... Toute l'astuce est de savoir les distinguer. Que faut-il pour cela ? C'est simple : il faut une formation grammaticale de base à la fois rudimentaire et solide, sinon il est impossible de faire le tri entre on l'a vu et on la voit.

[...]

C'est la première génération d'élèves que l'on n'a plus fait réfléchir à temps sur la langue française. En clair, ce sont des gens qui ont appris à lire plus ou moins globalement, comme qui dirait « au pifomètre » (bonne été), et n'ont jamais “fait de grammaire”, du moins pas de cette grammaire au ras des pâquerettes, répétitive, lassante - passionnante aussi ! - constituée par l'analyse des mots et l'analyse logique des phrases. Or cet entraînement est indispensable à l'acquisition complète de la langue française.

Certes, ces enfants ont appris, sous couleur de grammaire, quelques mots à coucher dehors qui leur ont fait croire qu'ils étaient savants, mais ils n'ont pas peiné sur les exercices de base terriblement recommencés, comme l'est la lecture des notes de musique. Ils sont semblables à des gens à qui on aurait, pour tout solfège, enseigné la liste des dièses et des bémols, en l'agrémentant de considérations théoriques sur les tierces et les quintes, mais à qui l'on n'aurait jamais fait chanter obstinément les notes sur la portée. »

Si j'aurais su que l'escargot est un insecte!

Pierre Foglia relate la rentrée scolaire dans une école primaire du secteur public, l'enseignante est certainement diplômée par l'État québécois :
Une petite école primaire, en banlieue, le jour de la rentrée. Pour l'occasion, les parents ont été invités à passer la première heure en classe avec leurs enfants. L'institutrice, toute jeune, souhaite la bienvenue aux enfants et leur sert le laïus que toutes les institutrices de la province doivent servir aux enfants le jour de la rentrée.

Au fond de la classe, la maman de Marius prête plus ou moins attention quand, tout à coup, elle se raidit. La maîtresse vient de dire :

— Il faut que vous faisiez...

Pardon ? Que vous fassiez, madame l'institutrice, c'est le subjonctif. Bien sûr, la maman de Marius a corrigé mentalement, silencieusement. Mais elle a maintenant les oreilles bien ouvertes et c'est ni plus ni moins l'horreur qui tombe dedans. La maîtresse vient de dire:

— Posez-vous pas la question de qu'est-ce qu'il faut faire.

Holà ! Une heure plus tard, la maîtresse a répété au moins trois fois si j'aurais, pas une seule fois elle n'a employé une négation au complet, omettant systématiquement le « ne », gênez-vous pas, parlez pas, levez-vous pas...

Et puis il y a eu le clou de la matinée. La maîtresse est passée à un jeu. Elle a demandé aux enfants : est-ce que quelqu'un peut me citer des noms d'insectes ? Un petit garçon a levé la main :

— Un escargot, madame.

— Bravo, bien trouvé, a dit la maîtresse. Quelqu'un d'autre pour me donner d'autres noms d'insectes?

Marius s'est retourné, il cherchait sa maman des yeux. Il sait, lui, parce que son papa le lui a appris, qu'un insecte a toujours six pattes. Quand une bestiole a plus que six pattes ou pas du tout de pattes, alors ce n'est pas un insecte.

[...]

La maman de Marius a passé quelques jours à se demander si elle irait trouver le directeur. Si j'y vais, je vais passer pour une emmerdeuse. Si je n'y vais pas, je cautionne une aberration. Finalement, elle y est allée. Le directeur l'a écoutée poliment et, à la fin, il a eu ce commentaire:

— Vous pourriez facilement trouver pire, madame !

C'est tout ce que vous trouvez à me dire ? a demandé la maman de Marius. Très bien, lorsque la maîtresse reprochera à mon fils d'avoir mal travaillé, je vais lui conseiller de répondre : Vous pourriez facilement trouver pire, madame.

Le directeur a dit aussi : Vous savez, cette enseignante est une excellente pédagogue. La maman de Marius est sortie avant d'exploser. Si elle ne s'était pas retenue, ce qu'elle aurait crié au directeur aurait pu ressembler à ceci : que voulez-vous que ça me foute que ce soit une excellente pédagogue? Sa pédagogie en fait seulement une conne plus redoutable, en cela que la pédagogie la rend seulement plus efficace à transmettre que l'escargot est un foutu insecte.

[...]

Le problème n'est pas l'institutrice de Marius, mais le système dont elle est issue. Savez-vous combien de cours de grammaire pure reçoivent, durant leur formation, les étudiants qui vont avoir à enseigner le français au secondaire ? Deux. Tous les deux dans la première des quatre années du bac. Après ça, débarrassés de cette niaiserie, mon vieux, ils peuvent se concentrer sur l'essentiel : la pédagogie.

[...]

Cette réflexion d'Alain Finkielkraut dans L'imparfait du présent, à propos de l'enseignement de la littérature, réflexion que je souligne à l'intention de notre ministre de l'Éducation : « Les pessimistes ne sont pas assez pessimistes. Ils prévoient la catastrophe alors que, ni vu ni connu, elle a déjà eu lieu. Ils noircissent l'avenir quand c'est le présent qui est sinistré ».
Au sujet d'Alain Finkielkraut, lire avec délectation un extrait de L'imparfait du présent où il parle d'un sujet d'invention vu à travers certains manuels… « Transposez la situation dans le monde contemporain et réécrivez en prose le monologue d'Hermione dans Andromaque. » Ça vaut son pesant d’or.

Rappelons que cette enseignante québécoise a dû réussir son examen de français lors de sa formation de quatre ans (4!) pour pouvoir enseigner à de jeunes têtes blondes les bases de l'écriture, de la lecture et de l'arithmétique.

En effet, tous les étudiants en enseignement doivent passer un test de classement de français à leur entrée à l'université. Il varie actuellement selon les universités. Le résultat à cet examen détermine si l’étudiant doit suivre des cours de français ou non. Un bref survol des résultats en dit long sur l’état des connaissances en français des futurs enseignants. Pour l’année 2006, les étudiants du baccalauréat en éducation préscolaire et primaire ont obtenu une moyenne de 64,6 %, alors que la note de passage est de 75 %. Les étudiants du Baccalauréat en enseignement secondaire ne font guère mieux, avec 69,2 % de moyenne. En réalité, seuls 24 % et 38 % obtiennent, respectivement, la note de passage.

Pour palier les lacunes évidentes des jeunes étudiants en éducation, le Ministère a décidé que les futurs enseignants devront désormais se soumettre à un examen de français identique pour tous les étudiants en enseignement des universités du Québec. On nous le promet plus sévère. La réussite de cet examen sera obligatoire pour l’obtention du brevet d’enseignement et l’étudiant n’aura droit qu’à une reprise avant de se faire montrer la porte de sortie, temporairement.

Le ministère de l’Éducation s’est donc entendu avec les universités québécoises pour concocter un examen national qui sera obligatoire pour tous les nouveaux étudiants en enseignement, et ce, probablement dès l’automne 2007. Les étudiants devront se soumettre à cet examen à mi-parcours, soit après deux ans d’études. Un premier échec entraînera une reprise, mais un deuxième échec forcera l’étudiant à interrompre ses études pour au moins un an.