Ce changement s’est fait au détriment des universités francophones qui se sont tues en échange d’une compensation partielle déclinante sur quelques années. Depuis la fin de ce « cadeau », les universités anglophones empochent la majorité des revenus pendant que les universités francophones restent sous-financées.
Redistribuer la « rente linguistique »
Sachant que 1) les universités québécoises sont entourées des États-Unis et du ROC (Rest of Canada) et donc de centaines de millions d’anglophones unilingues et que 2) le choix d’une université est fortement lié à la distance à parcourir pour s’y rendre, la course à « l’internationalisation » a créé une véritable « rente linguistique » pour les universités anglophones du Québec. Car il est évident que les anglophones unilingues de Toronto ou de Boston ont peu de chance de choisir l’Université de Montréal ou l’UQAM et iront plutôt à McGill ou à Concordia. Seuls les naïfs croiront que c’est seulement la « qualité » des universités qui est en jeu. L’un des effets pervers de cette rente a d’ailleurs été d’inciter HEC à offrir des cours en anglais pour s’en accaparer une partie, aussitôt suivie par l’ESG de l’UQAM qui voulait elle aussi sa part du « gâteau anglophone ». C’était alors la « course » – et non pas la « chasse » – aux étudiants anglophones.
La politique annoncée de redistribution de la « rente linguistique » est en fait analogue à celle adoptée en 1980 par le gouvernement de P. E. Trudeau qui, avec sa politique énergétique, avait choisi de limiter la « rente pétrolière » de l’Alberta – qui ne lui a jamais pardonné. Tout comme il considérait que « l’or noir » de cette province devait profiter à l’ensemble des Canadiens, de même la nouvelle formule de financement doit faire en sorte que les revenus générés par les étudiants étrangers profitent (comme avant) à l’ensemble des universités québécoises, lesquelles devraient d’ailleurs former un système cohérent et unifié au service de l’ensemble des citoyens la Province.
La mission première des universités subventionnées par les deniers publics étant de répondre aux besoins de formation des résidants et d’ainsi assurer le développement de la société, on ne voit pas pourquoi l’État devrait surinvestir dans une institution dont la majorité des étudiants ne sont pas résidants du Québec.
Selon les statistiques les plus récentes (2022), c’est d’ailleurs le cas de McGill, dont 51,2 % des étudiants ne sont pas résidants du Québec. Ces chiffres peuvent par contre expliquer que McGill soit la seule université de la province à être membre de l’Association des universités américaines. Et la rhétorique de « l’ouverture à la diversité » ne peut faire oublier que l’État n’a pas vocation à subventionner des étudiants qui viennent au Québec dans le seul but de bénéficier d’un rabais substantiel de leurs droits de scolarité pour ensuite retourner aux USA ou dans le ROC. Quant à l’idée qu’en haussant les droits de scolarité des non-résidants, ils iront à Toronto plutôt qu’à Montréal, il faut avouer qu’elle est curieuse car si la qualité est équivalente, il n’y aucune raison de « brader » les prix pour attirer les étudiants.
Dans cette controverse mal engagée, l’erreur de communication du gouvernement dans cette annonce a sans doute été de mélanger l’annonce d’un nécessaire rééquilibrage du système universitaire avec la question linguistique et l’immigration, donnant ainsi du grain à moudre à ceux qui seront heureux de sortir la rengaine de « l’anglophobie ». Cette confusion explique peut-être aussi la « stratégie » de la direction de McGill qui, par le plus grand des hasards, s’apprêtait à annoncer – plus de 50 ans après le mouvement « McGill Français » – un plan de 50 millions de dollars pour la promotion du français dans son institution ! Bien sûr, le plan a aussitôt été mis sur la glace, sous prétexte d’avoir appris le choix du gouvernement, comme s’ils ne savaient pas déjà ce qui se discutait en coulisses.
Espérons seulement que Québec tiendra bon face aux divers chantages qui invoqueront une fois de plus « la perte de talents » et le « déclin du Québec » et qu’il mettra enfin de l’avant une politique de financement universitaire qui sert vraiment les intérêts de la population québécoise qui, rappelons-le, est à plus de 80 % francophone. Rappelons aussi au gouvernement que le Québec s’est doté en 1968 d’un réseau public d’universités couvrant tout le territoire pour justement répondre aux besoins des francophones qui sont encore – il ne faut pas l’oublier – sous-scolarisés au niveau universitaire.