jeudi 16 décembre 2010

Facal et les résultats PISA : et si on évaluait les connaissances et la culture générale ?

Joseph Facal revient sur l'autosastifaction sans doute déplacée de certains après la publication des résultats des tests PISA 2009. Extraits.


Les derniers résultats du test PISA, mené à tous les trois ans par l’OCDE, classaient les jeunes Québécois de quinze ans dans le peloton de tête mondial en mathématiques et en lecture. On a surtout retenu leur bonne performance en lecture : 496 points pour les Français et 522 points pour les Québécois. Tiens-toé ! Beaucoup, beaucoup de « pétage » de bretelles dans la dernière semaine.

J’ai tout de suite soupçonné qu’il y avait anguille sous roche.

Prenons d’abord une grande inspiration. Nos enfants demeurent bien classés, mais perdent quelques rangs depuis que les Asiatiques participent à l’épreuve. Pas très grave en soi.

Scores moyens estimés et intervalles de confiance des pays, provinces et économies :
lecture, échelle globale

Au-dessus de la moyenne canadienne en 2000, les jeunes du Québec sont maintenant en dessous d’elle. C’est déjà moins drôle. Le plaisir de lire recule aussi de façon notable au fil des ans. On ne peut ici évoquer les jeux vidéo et autres excuses habituelles puisque ce goût grimpe ailleurs.

Les partisans de la réforme ont évidemment claironné qu’elle n’avait pas entraîné la catastrophe appréhendée. Ses détracteurs ont répondu qu’elle devait permettre des progrès que l’on ne voit guère. Mais mon malaise est ailleurs.

Allez sur le site Internet de l’OCDE et regardez en quoi consiste le test de lecture. Parmi les courts textes que l’épreuve impose de lire, on trouve une facture et une posologie de médicaments. Autrement dit, le test mesure en bonne partie les aptitudes à être fonctionnel dans la vie de tous les jours.

Qu’on ne me comprenne pas de travers : je ne dis pas que ce n’est pas important.

À l’évidence, notre système éducatif réussit, dans l’ensemble, à outiller les jeunes pour se débrouiller dans la vie, à les mouler pour être fonctionnels sur le marché du travail. Mais nous échouons dans quelque chose que PISA ne mesure pas et qui met en cause toute notre société, pas seulement notre système scolaire.

Je parle d’avoir un vocabulaire assez riche pour exprimer toutes les nuances de la pensée. Je parle de la capacité à construire une argumentation et pas seulement à émettre une opinion. Je parle de curiosité intellectuelle et de culture générale. Je parle de tout ce qui permet justement à quelqu’un d’être plus qu’un petit rouage du système économique.

Ce ne sont pas des difficultés de plomberie éducative que nous avons. C’est un problème plus profond, plus diffus, moins mesurable de rapport à la culture, toujours vue chez nous comme quelque chose de non essentiel, réservé à une élite, et non comme un air que tout enfant devrait respirer naturellement.

Et c’est à l’université qu’on s’aperçoit que l’anguille du début s’est métamorphosée en éléphant.

À chaque automne depuis sept ans, j’enseigne, à HEC Montréal, un cours de sociologie à des étudiants qui arrivent tout juste du niveau collégial. J’en ai donc vu plusieurs centaines. Comme nos critères d’admission sont assez exigeants, nos étudiants ont donc eu de bonnes notes jusque-là. Il y a beaucoup de Français parmi eux.

Mon cours les oblige à analyser, oralement et par écrit, des questions d’actualité. Pour aller au-delà du bavardage, ils doivent construire un raisonnement, savoir l’exprimer et avoir un certain bagage de culture générale.

Je suis obligé de constater que, dans mes classes, quand les Français s’expriment, ils ont, en général, une maîtrise de la langue écrite et parlée indiscutablement supérieure à celle des jeunes d’ici. Je ne parle pas ici d’accent pointu, mais d’un vocabulaire plus étendu, qui leur permet de s’exprimer non plus intelligemment, mais plus subtilement. Leur coffre à outils linguistique est mieux garni et davantage maîtrisé.

Quand j’évoque la Révolution américaine ou la Guerre froide, les Français savent généralement de quoi il est question. Les nôtres ont entendu ces expressions, mais ils n’en connaissent habituellement ni le contenu ni la signification.


Quand il est question d’histoire ou de politique, les faits ne sont pas non plus ordonnés chronologiquement, et l’importance des uns par rapport aux autres ne ressort pas. Dans leur tête, tout est mélangé comme dans une poche de linge plutôt que bien classé sur des étagères.

Régulièrement, les Français me citeront aussi des auteurs classiques, comme Jean-Jacques Rousseau ou Adam Smith. Les nôtres, jamais. Nous devons maintenant les obliger à citer au minimum deux livres dans leurs travaux de session. Sinon, ils n’utiliseraient que l’Internet et ne mettraient jamais les pieds à la bibliothèque.

Inutile de me dire qu’il y a des exceptions : il y en a toujours. Je le sais.

Bref, vous aurez beau me mettre sous le nez tous les tests PISA du monde, vous ne me ferez JAMAIS avaler que nos enfants ont une maîtrise de la langue écrite et parlée supérieure à celle des Français, pour ne rien dire de la culture générale. Je parle ici – je l’ai dit plus tôt – de ce niveau de langue et de culture qui permet d’aller au-delà des nécessités de base de la vie. Et je n’aborde même pas le décrochage scolaire.

Je ne blâme personne en particulier, et surtout pas nos enseignants, généralement dévoués et compétents. L’explication est historique : notre société est jeune, nord-américaine, matérialiste et peu confiante. L’école est donc simultanément utilitariste et thérapeutique. Elle veut outiller pour le marché du travail et fabriquer des petits citoyens politiquement corrects.

Il y a deux ans, en Suisse, sur les ondes de TV5, j’ai vu un téléroman québécois sous-titré en français. Le diffuseur a voulu s’assurer que nous serions compris dans le reste de la francophonie.

C’est tout un climat de société, toute une mentalité qui sont ici en cause. Chez nous, la culture classique est vue comme une vieillerie élitiste et dépassée, et la richesse langagière est considérée comme un snobisme prétentieux.

Nos enfants sont peut-être performants en mathématiques,[note du carnet : ce n'est pas nécessairement vrai au-delà des compétences de base, voir le cas de la Finlande ou encore Ce qui est vraiment évalué par PISA en mathématiques. Ce qui ne l’est pas.] mais ils ignorent d’où ils viennent. Ils ne savent pas qu’ils se posent des questions auxquelles d’autres avant eux ont déjà répondu. Leurs idées et leurs sentiments peinent à se frayer un passage à travers les « tsé » et les « genre ».

Réjouissons-nous de nos progrès, mais de grâce, gardons-nous une petite gêne.




Soutenons les familles dans leurs combats juridiques (reçu fiscal pour tout don supérieur à 50 $)