Par Martin Feldstein, professeur à Harvard
Thomas Piketty a récemment créé un large écho en soutenant que le capitalisme conduirait désormais inexorablement à un accroissement des inégalités de revenus et de richesse, à moins que ne soient introduites des réformes fiscales radicales.
Bien que son livre, « Le capital au XXIe siècle », ait été encensé par les partisans de la redistribution des revenus, sa thèse s’appuie sur une prémisse erronée concernant l’évolution de la richesse dans une économie de marché, sur une mauvaise interprétation des données de l’impôt sur le revenu aux États-Unis et sur une incompréhension de la nature actuelle de la richesse des ménages.
L’analyse théorique de M. Piketty pose comme point de départ le fait, avéré, que le taux de rendement du capital — c’est-à-dire le revenu engendré par l’investissement d’un dollar supplémentaire en usines et en matériel — dépasse le taux de croissance de l’économie. Il en tire cependant une conclusion erronée en arguant que cette différence entre le taux de rendement et le taux de croissance mène, au fil du temps, à une hausse croissante des inégalités de richesse et de revenus si le processus n’est pas interrompu par des périodes de dépression économique, de guerre ou par un système d’imposition confiscatoire.
Il préconise l’introduction d’un taux marginal d’imposition allant jusqu’à 80 % sur les plus hauts salaires, ainsi que la création d’un impôt mondial sur la fortune avec des taux pouvant aller jusqu’à 2 % ou plus.
Ses conclusions sur la hausse inexorable des inégalités pourraient être correctes si les gens vivaient éternellement. Mais ce n’est pas le cas. Les individus épargnent durant leurs années de vie active et dépensent pendant leur retraite la majeure partie de leurs actifs accumulés. Ils transmettent une partie de leur richesse à la génération suivante. L’effet cumulé de tels legs est cependant dilué par les droits de succession et par le fait que ces dons sont répartis entre un certain nombre d’enfants et de petits-enfants. Résultat : avec le temps, la richesse totale croît à peu près au même rythme que le total des revenus. Depuis 1960, les données compilées par la Réserve fédérale américaine sur les flux de fonds montrent que la richesse totale des ménages aux Etats-Unis a progressé à un rythme de 3,2 % par an, tandis que, sur la même période, le revenu réel des particuliers calculé par le département du Commerce affichait un taux de croissance annuel de 3,3 %. [Note du carnet : Il semble qu'il s'agisse là d'une moyenne, est-ce la bonne mesure en l'occurrence ?]
Le deuxième problème concernant les conclusions tirées par M. Piketty au sujet de l’accroissement des inégalités porte sur son utilisation des déclarations de revenus, qui ne prend pas en compte l’importance des changements intervenus dans la législation fiscale américaine. Selon lui, les données produites par l’IRS [les autorités fiscales américaines] montrent que les revenus déclarés par les 10 % de contribuables aux revenus les plus élevés ont constitué une part relativement constante du revenu national entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1980, mais que ce taux a, depuis, fortement augmenté. Le revenu indiqué dans les déclarations d’impôt ne représente cependant pas le revenu réel total des particuliers. Les changements dans la législation fiscale depuis 1980 créent une fausse impression de hausse des inégalités.
En 1981, le taux maximal d’imposition sur les intérêts, les dividendes et autres revenus de placements était passé de 70 % à 50 %, ce qui s’est traduit par un quasi-doublement de la part après impôt que les personnes ayant réalisé des gains en capital imposable pouvaient conserver. Cette réduction a incité les individus à transférer leurs actifs d’investissements exonérés d’impôt mais peu productifs vers des placements imposables à rendement plus élevé. Les données fiscales ont donc dénoté une augmentation des indicateurs d’inégalités de revenus, alors qu’aucun changement ne s’était produit.
La loi de réforme fiscale américaine de 1986 a abaissé de 50 % à 28 % le taux maximal d’imposition sur toutes les catégories de revenus. Cela a fourni une incitation pour augmenter le rendement imposable sur les investissements de portefeuille. Cette mesure s’est par ailleurs traduite par une hausse des autres formes de revenus imposables en encourageant l’emploi, en faisant en sorte qu’une part accrue des revenus soit payée sous la forme de salaires imposables, au lieu d’avantages sociaux et de rémunérations différées, et en réduisant le recours à des déductions et dérogations fiscales.
La loi de réforme fiscale de 1986 a par ailleurs abrogé la General Utilities Doctrine, une disposition qui avait jusqu’alors encouragé les particuliers à revenus élevés à enregistrer leurs activités commerciales et professionnelles sous la forme de sociétés du « sous-chapitre C », qui étaient soumises à un taux d’imposition inférieur à celui sur leur revenu personnel.
Ce revenu sur les sociétés généré par des professionnels et des petites entreprises n’apparaissait pas sur les données fiscales sur le revenu étudiées par M. Piketty. L’abrogation de la General Utilities Doctrine et l’abaissement du taux maximal d’imposition des particuliers sous le taux de l’impôt sur les sociétés ont encouragé les contribuables à revenus élevés à déclarer leur revenu d’entreprise non plus via leur société, mais via leur déclaration de revenus personnelle.
Ils ont notamment procédé à ce changement en se versant, via leurs sociétés, des intérêts, des loyers ou des salaires. Une autre solution consistait à convertir leur entreprise en « société du sous-chapitre S », dont les bénéfices pouvaient être ajoutés à leurs autres revenus personnels imposables.
Ces modifications du comportement des contribuables se sont traduites par une hausse significative des revenus indiqués sur les déclarations d’impôt des particuliers à hauts revenus. Cela a créé la fausse impression d’une forte augmentation des revenus des contribuables des tranches supérieures, alors que c’est uniquement la forme juridique de ces revenus qui avait changé. Cette évolution s’est faite graduellement sur de nombreuses années, au fur et à mesure que les contribuables modifiaient leur comportement et leurs pratiques comptables en réaction à la nouvelle législation fiscale.
Le revenu des sociétés du sous-chapitre S à lui seul a grimpé de 500 milliards de dollars en 1986 à 1 800 milliards de dollars en 1992.
Le fait que M. Piketty compare les revenus des particuliers à revenus élevés au revenu total national présente un autre défaut majeur. Le revenu national ne prend en effet pas en compte la valeur des paiements de transfert gouvernementaux, tels les avantages de sécurité sociale, les prestations de santé et les coupons alimentaires, qui constituent une part importante et croissante des revenus personnels des ménages à faibles et moyens revenus. Comparer les revenus du décile supérieur des contribuables aux revenus personnels totaux du reste de la population refléterait une augmentation bien plus modeste de la part relative des hauts salaires.
Dernier point : l’utilisation par M. Piketty de données sur les droits de succession afin d’explorer ce qu’il considère comme une inégalité croissante entre les riches et les pauvres pose problème. Cela tient en partie aux changements intervenus dans la législation sur l’imposition de la succession et de la donation, mais, plus fondamentalement, au fait que les actifs qu’il est possible de léguer ne représentent qu’une modeste partie de la richesse dont la plupart des individus disposent pour leur retraite. Cette richesse inclut par ailleurs la valeur actuarielle actualisée des prestations de sécurité sociale et des prestations de santé des retraités, ainsi que le revenu qui découlera des régimes de retraite. Si cette richesse était prise en compte, la mesure de la concentration de richesse serait bien
inférieure à celle suggérée par les chiffres de M. Piketty.
Le problème de la distribution des revenus aux Etats-Unis n’est pas que certains individus touchent des salaires élevés en raison de leurs compétences ou de leur formation. Le problème tient à la persistance de la pauvreté. Pour réduire cette pauvreté, nous avons besoin d’une croissance plus solide et d’une approche différente des questions d’éducation et de formation, et certainement pas des taxes spoliatrices sur les revenus et la richesse préconisées par M. Piketty.
Source : Wall Street Journal.
Notons que certaines éléments semblent bien montrer une hausse importante de la pauvreté récemment dans des pays comme la Grande-Bretagne, toutefois celle-ci n'est pas nécessairement liée au manque d'État-providence. Certains auteurs comme Charles Murray et Theodore Dalrymple, le résultat d'une culture d'assistanat et de la perte de valeurs conservatrices et familiales. Pour ne rien dire d'une immigration souvent peu qualifiée ou fortement frappée par le chômage.
Thomas Piketty a récemment créé un large écho en soutenant que le capitalisme conduirait désormais inexorablement à un accroissement des inégalités de revenus et de richesse, à moins que ne soient introduites des réformes fiscales radicales.
Bien que son livre, « Le capital au XXIe siècle », ait été encensé par les partisans de la redistribution des revenus, sa thèse s’appuie sur une prémisse erronée concernant l’évolution de la richesse dans une économie de marché, sur une mauvaise interprétation des données de l’impôt sur le revenu aux États-Unis et sur une incompréhension de la nature actuelle de la richesse des ménages.
L’analyse théorique de M. Piketty pose comme point de départ le fait, avéré, que le taux de rendement du capital — c’est-à-dire le revenu engendré par l’investissement d’un dollar supplémentaire en usines et en matériel — dépasse le taux de croissance de l’économie. Il en tire cependant une conclusion erronée en arguant que cette différence entre le taux de rendement et le taux de croissance mène, au fil du temps, à une hausse croissante des inégalités de richesse et de revenus si le processus n’est pas interrompu par des périodes de dépression économique, de guerre ou par un système d’imposition confiscatoire.
Il préconise l’introduction d’un taux marginal d’imposition allant jusqu’à 80 % sur les plus hauts salaires, ainsi que la création d’un impôt mondial sur la fortune avec des taux pouvant aller jusqu’à 2 % ou plus.
Ses conclusions sur la hausse inexorable des inégalités pourraient être correctes si les gens vivaient éternellement. Mais ce n’est pas le cas. Les individus épargnent durant leurs années de vie active et dépensent pendant leur retraite la majeure partie de leurs actifs accumulés. Ils transmettent une partie de leur richesse à la génération suivante. L’effet cumulé de tels legs est cependant dilué par les droits de succession et par le fait que ces dons sont répartis entre un certain nombre d’enfants et de petits-enfants. Résultat : avec le temps, la richesse totale croît à peu près au même rythme que le total des revenus. Depuis 1960, les données compilées par la Réserve fédérale américaine sur les flux de fonds montrent que la richesse totale des ménages aux Etats-Unis a progressé à un rythme de 3,2 % par an, tandis que, sur la même période, le revenu réel des particuliers calculé par le département du Commerce affichait un taux de croissance annuel de 3,3 %. [Note du carnet : Il semble qu'il s'agisse là d'une moyenne, est-ce la bonne mesure en l'occurrence ?]
Le deuxième problème concernant les conclusions tirées par M. Piketty au sujet de l’accroissement des inégalités porte sur son utilisation des déclarations de revenus, qui ne prend pas en compte l’importance des changements intervenus dans la législation fiscale américaine. Selon lui, les données produites par l’IRS [les autorités fiscales américaines] montrent que les revenus déclarés par les 10 % de contribuables aux revenus les plus élevés ont constitué une part relativement constante du revenu national entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1980, mais que ce taux a, depuis, fortement augmenté. Le revenu indiqué dans les déclarations d’impôt ne représente cependant pas le revenu réel total des particuliers. Les changements dans la législation fiscale depuis 1980 créent une fausse impression de hausse des inégalités.
En 1981, le taux maximal d’imposition sur les intérêts, les dividendes et autres revenus de placements était passé de 70 % à 50 %, ce qui s’est traduit par un quasi-doublement de la part après impôt que les personnes ayant réalisé des gains en capital imposable pouvaient conserver. Cette réduction a incité les individus à transférer leurs actifs d’investissements exonérés d’impôt mais peu productifs vers des placements imposables à rendement plus élevé. Les données fiscales ont donc dénoté une augmentation des indicateurs d’inégalités de revenus, alors qu’aucun changement ne s’était produit.
La loi de réforme fiscale américaine de 1986 a abaissé de 50 % à 28 % le taux maximal d’imposition sur toutes les catégories de revenus. Cela a fourni une incitation pour augmenter le rendement imposable sur les investissements de portefeuille. Cette mesure s’est par ailleurs traduite par une hausse des autres formes de revenus imposables en encourageant l’emploi, en faisant en sorte qu’une part accrue des revenus soit payée sous la forme de salaires imposables, au lieu d’avantages sociaux et de rémunérations différées, et en réduisant le recours à des déductions et dérogations fiscales.
La loi de réforme fiscale de 1986 a par ailleurs abrogé la General Utilities Doctrine, une disposition qui avait jusqu’alors encouragé les particuliers à revenus élevés à enregistrer leurs activités commerciales et professionnelles sous la forme de sociétés du « sous-chapitre C », qui étaient soumises à un taux d’imposition inférieur à celui sur leur revenu personnel.
Ce revenu sur les sociétés généré par des professionnels et des petites entreprises n’apparaissait pas sur les données fiscales sur le revenu étudiées par M. Piketty. L’abrogation de la General Utilities Doctrine et l’abaissement du taux maximal d’imposition des particuliers sous le taux de l’impôt sur les sociétés ont encouragé les contribuables à revenus élevés à déclarer leur revenu d’entreprise non plus via leur société, mais via leur déclaration de revenus personnelle.
Ils ont notamment procédé à ce changement en se versant, via leurs sociétés, des intérêts, des loyers ou des salaires. Une autre solution consistait à convertir leur entreprise en « société du sous-chapitre S », dont les bénéfices pouvaient être ajoutés à leurs autres revenus personnels imposables.
Ces modifications du comportement des contribuables se sont traduites par une hausse significative des revenus indiqués sur les déclarations d’impôt des particuliers à hauts revenus. Cela a créé la fausse impression d’une forte augmentation des revenus des contribuables des tranches supérieures, alors que c’est uniquement la forme juridique de ces revenus qui avait changé. Cette évolution s’est faite graduellement sur de nombreuses années, au fur et à mesure que les contribuables modifiaient leur comportement et leurs pratiques comptables en réaction à la nouvelle législation fiscale.
Le revenu des sociétés du sous-chapitre S à lui seul a grimpé de 500 milliards de dollars en 1986 à 1 800 milliards de dollars en 1992.
Le fait que M. Piketty compare les revenus des particuliers à revenus élevés au revenu total national présente un autre défaut majeur. Le revenu national ne prend en effet pas en compte la valeur des paiements de transfert gouvernementaux, tels les avantages de sécurité sociale, les prestations de santé et les coupons alimentaires, qui constituent une part importante et croissante des revenus personnels des ménages à faibles et moyens revenus. Comparer les revenus du décile supérieur des contribuables aux revenus personnels totaux du reste de la population refléterait une augmentation bien plus modeste de la part relative des hauts salaires.
Dernier point : l’utilisation par M. Piketty de données sur les droits de succession afin d’explorer ce qu’il considère comme une inégalité croissante entre les riches et les pauvres pose problème. Cela tient en partie aux changements intervenus dans la législation sur l’imposition de la succession et de la donation, mais, plus fondamentalement, au fait que les actifs qu’il est possible de léguer ne représentent qu’une modeste partie de la richesse dont la plupart des individus disposent pour leur retraite. Cette richesse inclut par ailleurs la valeur actuarielle actualisée des prestations de sécurité sociale et des prestations de santé des retraités, ainsi que le revenu qui découlera des régimes de retraite. Si cette richesse était prise en compte, la mesure de la concentration de richesse serait bien
inférieure à celle suggérée par les chiffres de M. Piketty.
Le problème de la distribution des revenus aux Etats-Unis n’est pas que certains individus touchent des salaires élevés en raison de leurs compétences ou de leur formation. Le problème tient à la persistance de la pauvreté. Pour réduire cette pauvreté, nous avons besoin d’une croissance plus solide et d’une approche différente des questions d’éducation et de formation, et certainement pas des taxes spoliatrices sur les revenus et la richesse préconisées par M. Piketty.
Source : Wall Street Journal.
Par ailleurs, le Financial Times (FT) a relevé certaines erreurs dans les calculs de Piketty : « Les données sous-tendant les 577 pages de la somme du professeur Piketty, contiennent une série d'erreurs qui ont faussé ses conclusions », peut-on lire dans le texte du journal.
« Les données qu'on a sur les patrimoines sont imparfaites mais d'autres comme les déclarations de succession sont plus fiables. Je fais cela en toute transparence, je mets tout en ligne, a répliqué Thomas Piketty. Là où le Financial Times est malhonnête, c'est qu'il laisse entendre cela change des choses aux conclusions alors que cela ne change rien. Des études plus récentes ne font que conforter mes conclusions, en utilisant des sources différentes », a-t-il ajouté, selon une entrevue de l'AFP rapportée par Le Monde.
« Dans ses feuilles de calcul, il y a des erreurs de transcription à partir des sources originales et des formules incorrectes. Il apparaît également que certaines données sont sélectionnées ou construites sans source originale », note le FT.
Le journal rappelle le cas des deux économistes de Harvard, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, contraints l'an passé de publier une correction à leur étude controversée sur l'impact de la dette publique sur la croissance, après la mise au jour d'erreurs.
Notons que certaines éléments semblent bien montrer une hausse importante de la pauvreté récemment dans des pays comme la Grande-Bretagne, toutefois celle-ci n'est pas nécessairement liée au manque d'État-providence. Certains auteurs comme Charles Murray et Theodore Dalrymple, le résultat d'une culture d'assistanat et de la perte de valeurs conservatrices et familiales. Pour ne rien dire d'une immigration souvent peu qualifiée ou fortement frappée par le chômage.
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