Les épidémies ont profondément transformé le paysage géopolitique européen. Selon certains historiens qui s’intéressent à de nouvelles données scientifiques, les épidémies auraient même accéléré la désagrégation de l’Empire romain.
Les facteurs avancés par les historiens ne manquent pas pour analyser le déclin de l’Empire romain : décadence morale, guerres civiles, crise économique et invasions barbares.
Kyle Harper, un historien américain, ajoute deux éléments déterminants : la peste et un refroidissement des températures.
Kyle Harper : « Les facteurs traditionnels d’explication ne sont pas faux, ils sont simplement une partie de l’énigme. Ce qu’il se passe aujourd’hui dans le monde nous rappelle que les sociétés humaines sont étroitement liées à leur milieu environnant. »
L’Empire romain n’a pas disparu brutalement. Il s’est lentement désagrégé puis scindé en deux entre le IIe et le VIIe siècle. Durant cette période, il est grandement fragilisé par plusieurs épidémies qui interrompent son développement démographique et économique : la peste Antonine en 165, la peste de Cyprien en 251 et la peste de Justinien, en 541.
La dernière est la plus terrible, elle bouleverse l’Empire romain d’Orient. C’est la première pandémie de l’histoire. Elle dure deux siècles et emporte des dizaines de millions de personnes. L’empereur Justinien lui-même tombe malade, mais en en réchappe miraculeusement.
Jean d’Éphèse, témoin du fléau, raconte que « la peste s’abattit sur des maisons grandes ou petites […], les serviteurs et les maîtres tombaient morts au même moment, pourrissaient ensemble ».
À Constantinople, la peste emporte jusqu’à 16 000 habitants en une seule journée. À Rome, la population passe de 700 000 habitants… à 20 000 après l’épidémie.
Le responsable est une bactérie, Yersinia Pestis, l’agent pathogène le plus mortel de l’histoire de l’humanité. Originaire d’Asie centrale, elle est transmise par les puces des rats. La peste se répand grâce aux voies commerciales maritimes et grâce à la concentration de population dans les grandes cités.
L’année 536, une année terrible
Ce qui reste de l’Empire romain est aussi affecté par un changement climatique brutal, un petit âge glaciaire entre l’an 450 et 700 qui amoindrit les récoltes et favorise la diffusion des maladies. Au VIe siècle, de nombreuses éruptions volcaniques cachent le soleil sous un brouillard de cendres. 536 est sans doute l’année la plus froide de l’histoire, une année sans été.
Kyle Harper : « Le climat et les maladies sont étroitement liés. Les populations de rongeurs sont très sensibles aux variations climatiques, elles croissent et décroissent en fonction Le choc climatique les a probablement affectées et c’est ce qui a entraîné ces épidémies, c’est une possibilité. »
Des habitants en mauvaise santé
L’Empire est affaibli, mais la santé de ses habitants aussi. Leur taille moyenne est à l’époque de 1m65 et leur espérance de vie moyenne à la naissance ne dépasse pas les 25 ans. [Elle est supérieure une fois l’étape critique de l’enfance dépassée. L’espérance de vie était courte, mais la longévité n’a pas changé depuis 2000 ans. Si on consulte la liste des empereurs romains et si l’on en retire ceux qui sont morts de mort violente, on constatera que les empereurs vivaient aussi longtemps que nous.] Ils vivent dans une atmosphère insalubre et côtoient en plus la lèpre et le paludisme. Tous ces maux sont vus comme une colère divine et vont renforcer le phénomène religieux.
Kyle Harper : « Le christianisme se diffuse plus vite avec cette crise. Les gens cherchent d’autres explications, d’autres réponses. »
L’affaiblissement de l’Empire romain à l’Est favorise aussi la conquête islamique aux siècles suivants.
Kyle Harper : « Les épidémies ont affaibli les structures de l’État romain comme de l’État perse. L’expansion de l’Islam est un mouvement géopolitique durant lequel les armées arabes débordent les États romain et perse, qui étaient épuisés par de longues années de guerre et de maladies. »
Cette thèse du climat et des épidémies est néanmoins critiquée par certains historiens, qui y voient un déterminisme climatique. Ce serait plutôt la conjonction de ces phénomènes naturels ainsi que les faiblesses structurelles, politiques et militaires de l’Empire qui ont conduit à sa chute.
Source : France Culture
Comment l’Empire romain s’est effondré
de Kyle Harper,
paru à La Découverte,
le 20 mai 2021,
à Paris,
600 pp.
ISBN-13 : 978-2348069239
(il faudrait parler d’Empire romain d’Occident, celui d’Orient ne s’effondrera qu’en 1453)
Voir aussi
Pour un autre point de vue : La chute de Rome a bien eu lieu
et
(dénatalité, immigration non assimilée [2 millions de Barbares sur 55 millions de citoyens de l'Empire romain mais seule l'Europe est concernée (si l'on excepte les peu nombreux Vandales au Maghreb), corruption, coûts croissants d’une armée statique, disparition du butin, fiscalité excessive, etc.)