Dans Repenser l'enseignement (aux PUF), le philosophe Philippe Nemo analyse les causes du déclin intellectuel français. Entretien.
— En tant que professeur, vous avez constaté vous-même le déclin du niveau des élèves, confirmé par la plupart des enquêtes. Sommes-nous en train d’assister à un véritable abêtissement général ?
Philippe Nemo. — Tout le monde est désolé de la baisse générale de niveau, sanctionnée par les tests Pisa. Mais ce n’est pas seulement triste, c’est grave pour le pays. La compétition scientifique, technologique et économique dans le monde, les nouveaux et effrayants risques de guerre ont rendu plus que jamais indispensable que la France dispose, à chaque génération, des plus hautes compétences intellectuelles, comme c’était le cas dans le passé. Ce n’est pas à ce moment que notre système scolaire et universitaire peut se permettre de décrocher par rapport à ceux d’autres pays concurrents et potentiellement hostiles. Les Russes, par exemple, sont capables d’inventer des armes terrifiantes. Cela a peut-être un lien avec le fait qu’ils n’ont pas de collège unique et que leurs universités sont très sélectives.
— Dans les causes du déclin de l’école, vous visez notamment les « pédagogistes »…
Philippe Nemo. — Jean-Paul Brighelli a fait sensation il y a quelques années en décrivant l’Éducation nationale actuelle comme « La Fabrique du crétin ». On peut estimer, de fait, que la primauté donnée à la pédagogie au détriment de la transmission méthodique des savoirs a contribué à faire baisser le niveau. Je le montre en analysant la notion de « séquence », qui est au cœur de la pédagogie actuelle. Une séquence est une série de séances sur un thème, qui dure quelques jours, où il est requis d’utiliser divers moyens pédagogiques – exposés d’élèves, travaux de groupe, recherche de documents audiovisuels… – en lieu et place d’un cours magistral continu. Et la séquence achevée, on passe à d’autres thèmes. Cette formule a été adoptée parce que, dans le collège unique, les classes étant hétérogènes, on ne peut faire cours au sens traditionnel du terme, puisque alors certains élèves suivraient, d’autres décrocheraient, et l’on ne pourrait plus assurer la cohésion du groupe. L’enseignement consiste alors en une suite de séquences censées être attrayantes en elles-mêmes, mais sans lien logique entre elles. Le résultat de cette méthode est que les savoirs, présentés par fragments épars, ne peuvent se structurer. Les élèves, à qui l’on n’a pas méthodiquement montré les tenants et aboutissants de ce qu’ils apprennent, ne comprennent les choses qu’à moitié et ils finissent par se contenter de ce flou. Ils n’acquièrent pas la notion de ce qu’est un savoir rationnel. C’est cet impressionnisme qui « fabrique des crétins ».
— Nous avons changé quatre fois de ministre de l’Éducation nationale ces deux dernières années. Qu’est-ce que cela révèle ?
— Dans les causes du déclin de l’école, vous visez notamment les « pédagogistes »…
Philippe Nemo. — Jean-Paul Brighelli a fait sensation il y a quelques années en décrivant l’Éducation nationale actuelle comme « La Fabrique du crétin ». On peut estimer, de fait, que la primauté donnée à la pédagogie au détriment de la transmission méthodique des savoirs a contribué à faire baisser le niveau. Je le montre en analysant la notion de « séquence », qui est au cœur de la pédagogie actuelle. Une séquence est une série de séances sur un thème, qui dure quelques jours, où il est requis d’utiliser divers moyens pédagogiques – exposés d’élèves, travaux de groupe, recherche de documents audiovisuels… – en lieu et place d’un cours magistral continu. Et la séquence achevée, on passe à d’autres thèmes. Cette formule a été adoptée parce que, dans le collège unique, les classes étant hétérogènes, on ne peut faire cours au sens traditionnel du terme, puisque alors certains élèves suivraient, d’autres décrocheraient, et l’on ne pourrait plus assurer la cohésion du groupe. L’enseignement consiste alors en une suite de séquences censées être attrayantes en elles-mêmes, mais sans lien logique entre elles. Le résultat de cette méthode est que les savoirs, présentés par fragments épars, ne peuvent se structurer. Les élèves, à qui l’on n’a pas méthodiquement montré les tenants et aboutissants de ce qu’ils apprennent, ne comprennent les choses qu’à moitié et ils finissent par se contenter de ce flou. Ils n’acquièrent pas la notion de ce qu’est un savoir rationnel. C’est cet impressionnisme qui « fabrique des crétins ».
— Nous avons changé quatre fois de ministre de l’Éducation nationale ces deux dernières années. Qu’est-ce que cela révèle ?