La Cour suprême (bâtie en 1935) |
Par six contre trois, la majorité conservatrice de la Cour suprême s’est prononcée en faveur de la liberté religieuse contre les droits des homosexuels, estimant qu’une artiste graphique chrétienne avait parfaitement le droit de refuser de créer des sites internet de mariage pour des couples de même sexe, en dépit d’une loi censément antidiscriminatoire de l’État du Colorado.
Dans une autre décision, la Cour a bloqué le plan de l’administration Biden visant à annuler une partie des dettes des étudiants aux revenus modestes, l’une des promesses de campagne du président.
Après ce revers, Joe Biden a annoncé vendredi « un nouveau plan » pour alléger la dette étudiante. « Je sais qu’il y a des millions d’Américains qui se sentent déçus, découragés, et même un peu en colère, à cause de l’arrêt pris par la Cour aujourd’hui sur la dette étudiante, et je dois admettre que moi aussi », a-t-il déclaré.
Animée par la doctrine de l’originalisme, consistant à privilégier une lecture littérale de la Constitution américaine, texte rédigé à la fin du XVIIIe siècle, la majorité des six juges conservateurs rejette l’approche progressiste consistant à faire évoluer le droit avec la société. Rappelons quand, dans l’arrêt Roe c. Wade de 1973, les juges progressistes non « littéralistes » avaient justifié le droit à l’avortement en invoquant le XIVe amendement à la Constitution des États-Unis, ratifié en 1868 vise à protéger le droit des anciens esclaves afro-américains émancipés par le Treizième amendement de la Constitution des États-Unis, en particulier dans les États du sud. Il garantit la citoyenneté à toute personne née aux États-Unis et affirme la nécessité de garantir l’égale protection de tous ceux qui se trouvent sur son territoire. Du droit à la « liberté » protégée par la clause de procédure régulière (Due Process Clause), découlait un droit à la vie privée. Cette conception large de la liberté et ce droit à la vie privée servit de base à l’arrêt Roe c. Wade (1973). Cette inventivité des juges progressistes confirmait cette opinion de Giraudoux selon qui « Le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité. »
Inefficacité de la discrimination raciale à l’université, l’hypocrisie des partisans de celle-ci
Il est faux de prétendre que la discrimination raciale améliore sensiblement la condition des plus défavorisés. En réalité, les étudiants noirs et latinos admis par ce biais appartiennent souvent déjà aux classes supérieures. Il s’agit donc en l’espèce d’un conflit entre élites pour le partage des avantages sociaux que confère l’accès aux meilleures universités plus que d’une véritable question sociale d’égalité d’accès à l’éducation.
Cette politique discriminatoire, lancée dans les années 1960 par Lyndon Johnson, reposait sur l’idée que, si la fin de la ségrégation dans les États du Sud donnait en principe aux Afro-Américains les mêmes droits, leur plein exercice n’était pas possible au regard des inégalités matérielles et éducatives accumulées qui les plaçaient dans une forme de concurrence déloyale avec leurs concitoyens blancs. Ces mesures étaient donc censées être temporaires, mais qu’elles sont pourtant progressivement devenues une caractéristique permanente des conditions d’admission à certains établissements d’éducation supérieure. La persistance des écarts scolaires entre les groupes de population (nous nous sommes laissés dire que race était un mot tabou) démontre bien leur inefficacité.
Il semble que cette discrimination positive ne touche pas le bon public ou le fait à un âge où les inégalités éducatives se sont déjà fossilisées dans des retards de niveau durables et difficiles à résorber. Effet pervers : en rendant l’accès à l’université plus difficile pour les élèves blancs de niveau équivalent, cette politique a incité leurs parents, en moyenne plus riches, à consacrer davantage de ressources aux niveaux primaire et secondaire afin de maintenir leur place dans cet environnement devenu plus compétitif. Dans cette course qui commence aujourd’hui dès le plus jeune âge, et où l’anticipation, l’éducation et les ressources des parents jouent un rôle primordial, la faillite croissante de l’école publique fait que les jeunes élèves défavorisés de toutes races (y compris les Blancs pauvres) partent désormais avec des chances fortement amoindries par rapport aux années 60.
Un pouvoir considérable
Des démocrates ont dénoncé cette cour conservatrice comme un gouvernement de juges, qui impose de façon antidémocratique leur idéologie au pays tout entier. Ils ont pourtant plutôt tendance à simplement remettre les décisions aux États fédérés et à limiter les décisions de juges progressistes non élus qui les ont précédés.
Depuis, la nomination de trois juges conservateurs par Donald Trump, nombre record pendant un seul mandat présidentiel, a nourri de nouvelles critiques. Ont été dénoncées notamment les manœuvres du chef de la majorité républicaine de l’époque au Sénat, Mitch McConnell. Celui-ci avait refusé pendant la dernière année du mandat d’Obama d’auditionner son candidat à la Cour suprême, Merrick Garland, permettant à Trump de nommer l’année suivante à la place son propre candidat, Neil Gorsuch. La nomination de Brett Kavanaugh, sur fond de scandale lié à une ancienne affaire d’agression sexuelle, puis celle d’Amy Coney Barrett, quelques semaines avant l’élection présidentielle en 2020, ont permis aux républicains d’établir une solide majorité, et d’obtenir la Cour la plus conservatrice depuis près d’un siècle.
Si l’originalisme prévaut à la Cour suprême américaine, c’est la doctrine de « l’“arbre vivant” qui s’est imposée au Canada depuis 1982. Elle consiste à considérer la constitution comme un document vivant, donc libre de toutes les inventions ou projections progressistes. Notons que Justin Trudeau va bientôt nommer son 6e juge à la Cour suprême à Ottawa sur 9. Le double de Trump donc. Voir Histoire — Abolir la Cour suprême du Canada… dès 1879.
Tentative de délégitimation des juges conservateurs par la gauche
Puis le juge Samuel Alito a aussi été mis en cause pour avoir été invité à une luxueuse expédition de pêche au saumon en Alaska par un riche gestionnaire de fonds de pension, Paul Singer. Le même fonds de pension aurait par la suite bénéficié d’un jugement favorable de la part de la Cour suprême.
Ces révélations ont conduit le Sénat à demander l’adoption de nouvelles normes éthiques au sein de la Cour suprême. Mais la Cour, forte de son statut constitutionnel de troisième pouvoir, indépendant de l’exécutif et du législatif, s’est jusqu’à présent montrée réticente à se laisser dicter ses règles.
‘Il ne s’agit pas d’une Cour normale’, a commenté jeudi le président Joe Biden, après l’annonce de l’arrêt contre la discrimination positive. Pourtant, Biden a jusqu’à présent résisté aux demandes de réformes venues de son propre camp. L’une d’elles consisterait à augmenter le nombre de juges, qui n’est pas fixé par la Constitution. Cette mesure avait déjà été envisagée, mais jamais appliquée dans les années 1930 par Franklin Roosevelt, frustré par une Cour conservatrice.
‘Ils peuvent faire beaucoup de dégâts, a reconnu Biden, mais je pense que si nous essayons d’élargir la Cour, nous allons la politiser peut-être pour toujours d’une manière qui n’est pas saine.’ ‘C’est peut-être optimiste, mais je pense que certains membres de la Cour commencent à se rendre compte que leur légitimité est remise en question comme cela n’a jamais été le cas auparavant.’
Les récents sondages indiquent que sept Américains sur dix considèrent que la Cour est politisée.
Mais, aussi conservatrice soit-elle, la Cour suprême a aussi régulièrement surpris ses critiques en rendant à plusieurs reprises des arrêts qui n’étaient pas forcément alignés sur les positions du Parti républicain. Elle avait notamment refusé de se saisir des plaintes déposées pour fraude par Trump et ses alliés pendant la crise constitutionnelle qu’ils avaient déclenchée après l’élection de 2020.
Plus récemment, la Cour a reconnu des droits en faveur des Indiens, a obligé à tracer des circonscriptions favorables aux électeurs noirs, et a autorisé la vente de pilules abortives. L’une de ses décisions les plus significatives a été le rejet de la théorie juridique de l’indépendance des législatures des États américains, défendue par les partisans de Donald Trump, qui accorde une autonomie quasi totale aux États lors des élections.