vendredi 20 février 2015

Régis Debray et son dépit devant le retour du religieux aggravé par la modernité


Historiquement show 189 — Dialogue entre Régis Debray et Jean-François Colosimo

La recension de Basile de Koch de cette émission :

« Retour du sacré », ou pas ? Rien de tel qu’un petit topo de Régis Debray pour se faire une religion.

Récemment, ici même, je vous entretenais du Régis Debray politique, à propos d’un court pamphlet sur l’économisme et la République (l’Erreur de calcul). Le voici de retour à l’anthropologie, son refuge d’altitude depuis trente ans, avec la parution d’Un Candide à sa fenêtre. Dans ce deuxième tome d’une série intitulée « Dégagements », il analyse, sans enthousiasme excessif, le « retour du religieux » — dans une époque qui croyait au moins en une chose : s’en être définitivement débarrassée.

Pour l’occasion, Michel Field consacre à l’auteur, sur la chaîne Histoire, un numéro spécial de son émission Historiquement show où, en compagnie du théologien Jean-François Colosimo, il « accouche » Debray. « L’“intellectuel engagé” est-il vraiment devenu un intellectuel dégagé ? » entame Field. « Difficile d’y croire... » De fait, l’ami Debray n’est pas devenu zutiste ; toujours aussi grave et ronchon, mais non sans raison.

Entre engagement et dégagement, il n’y a d’ailleurs pas contradiction pour lui. Plutôt une dialectique, tirée de ses observations comme de son expérience personnelle : impossible de s’engager intelligemment sans savoir se dégager des rumeurs de la ville et de l’époque. « Se retirer du brouhaha pour comprendre ce qui se passe. »

Jusque-là on est d’accord, j’imagine. Quant au fond, Debray enchaîne stoïquement des constats de plus en plus déplaisants pour lui. Et d’abord le plus évident : le religieux, « de retour », ne fait que reprendre sa place. Il comble ainsi le vide laissé par le politique, qui lui-même l’avait remplacé triomphalement — avant de perdre peu à peu toute crédibilité (idéologies à court d’idées, pouvoirs impuissants... je ne vous raconte pas tout).

Le vrai paradoxe, pour Régis, c’est la façon dont le progrès technique et scientifique a « balkanisé » le monde à force de l’uniformiser : « Plus on est déraciné, plus on se recherche une identité — quitte à fantasmer un retour aux origines », explique-t-il ; et si vous trouvez ça banal, c’est juste que vous êtes plus réac que lui.

Quand même, notre chercheur est accablé par ses propres découvertes. Il fait son « travail de deuil », avec une rigueur intellectuelle peu commune chez ses collègues en cour. Attali et Minc, par exemple, n’ont jamais eu tort, du moins à leur connaissance. Debray, lui, reconnaît ses erreurs et les « désillusions du progrès », comme disait Aron.

Un petit reproche quand même : à force de négliger le qu’en-dira-t-on, ce misanthropologue place parfois la barre un peu haut. Ainsi quand il explique (?) : « Le religieux est un point de fuite qui, en nous élevant, nous permet de nous coordonner. » C’est dans ce genre de circonstances qu’on est content quand même de profiter du progrès, ne serait-ce qu’en appuyant sur la touche « replay » pour être sûr d’avoir compris.

La suite du raisonnement, en revanche, je l’ai saisie instantanément : « Toute coordination suppose une subordination ; l’assujettissement à quelqu’un ou quelque chose qu’il est convenu d’appeler “sacré”. » Mais surtout, j’ai apprécié la chute : « C’est une très mauvaise nouvelle, pour un homme de gauche comme moi ! »

Dans un one-man-show de Gaspard Proust, ça ferait un tabac. Mais Régis ne plaisante pas, et ça peut se comprendre. Pour un intellectuel athée progressiste, perdre en plus la foi dans le salut terrestre, c’est la double peine. Avant moi déjà, le révérend père de Lubac appelait ça le Drame de l’humanisme athée.

Au moins Debray l’assume-t-il comme une tragédie grecque, pour nous changer des comédies germanopratines. Au fond de l’impasse où l’autocar fou du progrès s’est encastré dans le mur de la réalité, il fait avec celle-ci ce qu’on fait dans ce cas-là : un constat.

Et de prouver définitivement qu’il est sur la bonne voie, avec une jolie conclusion sur l’émission de Field, pour laquelle il suggère même un slogan : « Intéressez-vous à ce qu’il y avait avant, parce que c’est ce qu’il y aura après ! » ●

« Une mort digne »


L’ancien député Jacques Brassard se penche sur la décision de la Cour suprême du Canada en matière de suicide assisté.

Voilà donc que la Cour suprême – haut lieu du relativisme moral – vient de décréter que l’euthanasie et le suicide assisté sont des « morts dignes ».

J’ose redire, malgré tout, que de désigner la mort d’un malade par injection létale par l’expression « mourir dans la dignité », constitue une mystification délibérée visant à embrouiller les esprits.

« Notre dignité est indépendante de notre âge et de notre forme physique ou mentale, écrivent Louis-André Richard, philosophe, et Michel L’Heureux, médecin, elle est attachée à notre statut d’être humain en qualité d’être humain. Elle ne dépend pas d’un moment précis du continuum, elle est dans ce continuum et elle s’actualise jusqu’à la fin, jusqu’à la mort. »

La dignité d’un être humain n’est donc pas altérée par l’âge, la maladie, la dépression. Elle est toujours et en tout temps pleine et entière.

Laïcisation


Rappelons que ce concept de dignité est d’origine judéo-chrétienne, l’être humain étant doté de dignité parce que, comme le dit la Bible, il est créé « à l’image et à la ressemblance » de Dieu.

La laïcisation des sociétés occidentales ne l’a pas abolie, mais elle est devenue une valeur intrinsèque de la nature humaine et dissociée de toute transcendance.

Quand ce sont les jeunes qui se suicident, nous sommes, avec raison, scandalisés. Et nous faisons des campagnes pour les convaincre que « le suicide n’est pas une option ».

Pourquoi alors, lorsque ce sont des personnes avancées en âge, malades, fragiles, en perte d’autonomie, en fin de vie, le suicide assisté et l’euthanasie deviennent-ils des options tout à fait acceptables ?

Selon Louis-André Richard et Michel L’Heureux, ce serait là une confirmation que la personne mourante « a un statut inférieur et n’a plus la dignité d’un être humain à part entière, dont il faudrait s’occuper avec déférence ».

De nos jours, les soins palliatifs se sont développés de telle façon que nous sommes en mesure d’apaiser les souffrances et les angoisses de fin de vie avec tout le respect et l’empathie qui sont dus à la personne. Encore faut-il que de tels soins soient accessibles sur tout le territoire québécois. Ce qui est loin d’être le cas.

Dérives

Quant aux balises qui encadreront l’euthanasie (dont le consentement de la personne concernée), des études démontrent qu’elles ne sont pas toujours respectées. En Belgique, par exemple, il y a, chaque année, 300 morts assistées sans le consentement des patients.

Dans un système de santé d’une ampleur comme le nôtre, où l’on est, par exemple, incapable de réduire à zéro la maltraitance envers des personnes âgées, des dérives comme on en voit en Belgique et en Hollande seront inévitables.

La marraine de l’euthanasie, la députée Véronique Hivon, nous assure que de tels dérapages n’auront pas lieu. Ce sera malheureusement le cas, surtout que pour elle, ce n’est qu’un « premier pas ». L’autre pas, ce sera, comme en Belgique, de rendre accessible l’euthanasie aux mineurs. Là-bas, pour les jeunes, « le suicide est une option convenable ».

Je suis minoritaire, je le sais bien, mais je persiste et je signe : l’euthanasie n’est pas une mort digne, pas plus qu’elle n’est un soin.




Soutenons les familles dans leurs combats juridiques (reçu fiscal pour tout don supérieur à 50 $)

Chantal Delsol : défense du populisme et des « demeurés »


Revue de presse sur le dernier ouvrage de Chantal Delsol « Populisme. Les demeurés de l’Histoire ». Chantal Delsol est membre de l’Institut, philosophe et historienne des idées.

Le Figaro : Plaidoyer pour le populisme

Chantal Delsol
Les jeunes gens qui voudraient connaître un de ces admirables professeurs que fabriquait la France d’avant — et qui la fabriquaient en retour — doivent lire le dernier ouvrage de Chantal Delsol. Tout y est : connaissance aiguë du sujet traité ; culture classique ; perspective historique ; rigueur intellectuelle ; modération dans la forme et dans la pensée, qui n’interdit nullement de défendre ses choix philosophiques et idéologiques. Jusqu’à cette pointe d’ennui qui se glisse dans les démonstrations tirées au cordeau, mais que ne vient pas égayer une insolente incandescence de plume. L’audace est dans le fond, pas dans la forme. On s’en contentera.

Notre auteur a choisi comme thème de sa leçon le populisme. Thème dangereux. Pour elle. Dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert revisité aujourd’hui, on aurait aussitôt ajouté au mot populisme : à dénoncer ; rejeter ; invectiver ; ostraciser ; insulter ; néantiser. Non seulement Chantal Delsol ne hurle pas avec les loups, mais elle arrête la meute, décortique ses injustes motifs, déconstruit son mépris de fer. À la fin de sa démonstration, les loups ont perdu leur légitimité de loups. « Que penser de ce civilisé qui, pour stigmatiser des sauvages, les hait de façon si sauvage ? »

Pourtant, les loups sont ses pairs, membres comme elle de ces élites culturelles, universitaires, politiques, ou encore médiatiques, qui depuis des siècles font l’opinion à Paris ; et Paris fait la France, et la France, l’Europe. Chantal Delsol n’en a cure. Elle avance casquée de sa science de la Grèce antique. Se sert d’Aristote contre Platon. Distingue avec un soin précieux l’idiotès de l’Antiquité grecque, qui regarde d’abord son égoïste besoin, au détriment de l’intérêt général du citoyen, de l’idiot moderne, incapable d’intelligence. Dépouille le populiste de l’accusation de démagogie. Renvoie vers ses adversaires la férocité de primate qui lui est habituellement attribuée par les donneurs de leçons démocratiques :
« Dès qu’un leader politique est traité de populiste par la presse, le voilà perdu. Car le populiste est un traître à la cause de l’émancipation, donc à la seule cause qui vaille d’être défendue. Je ne connais pas de plus grande brutalité, dans nos démocraties, que celle utilisée contre les courants populistes. La violence qui leur est réservée excède toute borne. Ils sont devenus les ennemis majuscules d’un régime qui prétend n’en pas avoir. Si cela était possible, leurs partisans seraient cloués sur les portes des granges. »

Chantal Delsol analyse avec pertinence le déplacement des principes démocratiques, depuis les Lumières : la raison devient la Raison ; l’intérêt général de la cité, voire de la nation, devient celui de l’Humanité ; la politique pour le peuple devient la politique du Concept. Les progressistes veulent faire le bien du peuple et s’appuient sur lui pour renverser les pouvoirs ancestraux ; mais quand ils découvrent que le peuple ne les suit plus, quand ils s’aperçoivent que le peuple juge qu’ils vont trop loin, n’a envie de se sacrifier ni pour l’humanité ni pour le règne du concept, alors les élites progressistes liquident le peuple. Sans hésitation ni commisération. C’est Lénine qui va résolument basculer dans cette guerre totale au peuple qu’il était censé servir, lui qui venait justement des rangs des premiers « populistes » de l’Histoire. Delsol a la finesse d’opposer cette « dogmatique universaliste » devenue meurtrière à l’autre totalitarisme criminel du XXe siècle : le nazisme. Avec Hitler, l’Allemagne déploiera sans limites les « perversions du particularisme ». Ces liaisons dangereuses avec la « bête immonde » ont sali à jamais tout regard raisonnablement particulariste. En revanche, la chute du communisme n’a nullement entaché les prétentions universalistes de leurs successeurs, qu’ils s’affichent antiracistes ou féministes ou adeptes de la théorie du genre et du « mariage pour tous ». Le concept de l’égalité doit emporter toute résistance, toute précaution, toute raison.

Alors, la démocratie moderne a tourné vinaigre : le citoyen, soucieux de défendre sa patrie est travesti en idiot : celui qui préfère les Autres aux siens, celui qui, il y a encore peu, aurait été vomi comme traître à la patrie, « émigré » ou « collabo », est devenu le héros, le grand homme, le généreux, l’universaliste, le progressiste. De même l’égoïste d’antan, l’égotiste, le narcissique, qui préférait ses caprices aux nobles intérêts de sa famille, au respect de ses anciens et à la protection de ses enfants, est vénéré comme porte-drapeau flamboyant de la Liberté et de l’Égalité. Incroyable renversement qui laisse pantois et montre la déliquescence de nos sociétés : « Le citoyen n’est plus celui qui dépasse son intérêt privé pour se mettre au service de la société à laquelle il appartient ; mais celui qui dépasse l’intérêt de sa société pour mettre celle-ci au service du monde... Celui qui voudrait protéger sa patrie face aux patries voisines est devenu un demeuré, intercédant pour un pré carré rabougri ou pour une chapelle. Celui qui voudrait protéger les familles, au détriment de la liberté individuelle, fait injure à la raison. La notion d’intérêt public n’a plus guère de sens lorsque les deux valeurs primordiales sont l’individu et le monde. »

Les élites progressistes ont déclaré la guerre au peuple. En dépit de son ton mesuré et de ses idées modérées, Chantal Delsol a bien compris l’ampleur de la lutte : « Éduque-les, si tu peux », disait Marc-Aurèle. Toutes les démocraties savent bien, depuis les Grecs, qu’il faut éduquer le peuple, et cela reste vrai. Mais chaque époque a ses exigences. « Aujourd’hui, s’il faut toujours éduquer les milieux populaires à l’ouverture, il faudrait surtout éduquer les élites à l’exigence de la limite, et au sens de la réalité. » Mine de rien, avec ses airs discrets de contrebandière, elle a fourni des armes à ceux qui, sous la mitraille de mépris, s’efforcent de résister à la folie contemporaine de la démesure et de l’hubris [la démesure en grec].

Quand ils découvrent que le peuple ne les suit plus, quand ils s’aperçoivent que le peuple juge qu’ils vont trop loin, n’a envie de se sacrifier ni pour l’humanité ni pour le règne du concept, alors les élites progressistes liquident le peuple.

Sud-Ouest : Ce diable de populisme

Un nombre record de cégépiens faibles en français

D’après un article publié dans le Journal de Montréal, Les cégeps accueillent de plus en plus d’étudiants faibles en français. Depuis dix ans, le nombre de jeunes qui ont dû s’inscrire à un cours de mise à niveau a grimpé de 50 %.

Selon les chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur obtenus par une demande d’accès à l’information, 9962 étudiants en 2005 avaient dû suivre un cours de rattrapage en français à leur arrivée au cégep. En 2014, ils étaient 14 851. De ce nombre, 54 % étaient des garçons.

Les cours de mise à niveau, maintenant appelés cours de « renforcement », sont imposés aux étudiants dont la moyenne générale en français au secondaire est faible. Les règles varient d’un cégep à l’autre.

Dans certains collèges comme le cégep Lévis-Lauzon, ce cours est obligatoire pour les étudiants qui ont obtenu une moyenne de 65 % et moins en français au secondaire. Au cégep de Sainte-Foy, des étudiants dont la moyenne générale est de moins de 75 % doivent se plier à un test diagnostic, qui déterminera s’ils doivent suivre ce cours ou non.


Difficile à expliquer

À la Fédération des cégeps, on indique que cette hausse est « difficile à expliquer ». À partir de 2008-2009, les cégeps ont commencé à accepter sous condition des élèves qui n’avaient pas tout à fait complété leur diplôme d’études secondaires, si bien que davantage d’élèves faibles ont pu avoir été admis au cours des dernières années.

« On leur donne une chance de plus, mais est-ce suffisant pour expliquer la hausse ? », lance la directrice des communications, Judith Laurier.

Au cours de la même période, le nombre d’étudiants dans le réseau collégial a progressé de 18 %. Toutes proportions gardées, l’augmentation des inscriptions dans les cours de mise à niveau est donc bien réelle. Les exigences sont aussi restées les mêmes, affirme-t-on à la Fédération des cégeps.

Dans les cégeps de la région de Québec, le nombre d’inscriptions est relativement stable ou fluctue d’une année à l’autre.

Détérioration du français