La France était autrefois la superpuissance de l’Europe, grâce surtout à sa population énorme. Sa décadence a coïncidé avec l’effondrement de son taux de natalité — aujourd’hui, nous comprendrions mieux pourquoi.
Au XVIIIe siècle, la France était la Chine de l’Europe. Mais après des milliers d’années de domination fondée sur des terres particulièrement fertiles, elle a décliné au cours des 250 années suivantes pour devenir simplement une puissance européenne de plus. Vers cette époque, plus de 100 ans avant le reste de l’Europe, les femmes françaises ont commencé à avoir moins d’enfants. En 1700, près de 1 habitant sur 25 sur Terre, et un sur cinq en Europe, était français. Aujourd’hui, moins d’un pour cent de l’humanité est française. Pourquoi la population de la France a-t-elle décliné de manière si spectaculaire en termes relatifs, et cela a-t-il vraiment marqué le déclin de la France ?
On pense généralement que la transition démographique, c’est-à-dire la baisse démographique vers un taux de simple remplacement des générations, est motivée par des forces économiques, mais en France du moins, la culture a été la première cause. En utilisant des données provenant d’arbres généalogiques en ligne, Guillaume Blanc, université de Manchester, montre comment le relâchement des contraintes morales religieuses traditionnelles de la France de l’Ancien Régime a entraîné le déclin de la fécondité, plaçant la France sur une trajectoire totalement différente de celle de l’Angleterre et de l’Allemagne, qui étaient sur le point de connaître une augmentation spectaculaire de leur population.
Depuis l’aube de l’humanité jusqu’au XVIIIe siècle, la vie humaine était dominée par la famine, la pauvreté, les guerres et les pandémies. La vie était brutale et courte, tout comme celle des singes ou de tout autre animal.
Les innovations qui ont augmenté la productivité de la terre, du travail ou du capital ont conduit à moins de décès d’enfants ou à la naissance de plus d’enfants, avec la production économique supplémentaire utilisée pour nourrir plus de bouches affamées. Cette réalité a conduit à la prédiction sombre de Thomas Malthus en 1798 dans son ouvrage « Essai sur le principe de population » selon laquelle la croissance démographique géométrique entraînerait une subsistance constante de l’humanité, car la croissance de la productivité agricole ne pouvait être qu’arithmétique, avec la croissance de la population dépassant toujours sa capacité à se nourrir.

Cependant, cette prédiction de Malthus s’est révélée fausse en raison de deux changements simultanés : la révolution industrielle et la transition démographique. La révolution industrielle a permis des avancées techniques sans précédent qui ont accéléré considérablement le progrès humain en matière technique, scientifique et économique, transformant ainsi les conditions humaines de manière significative. Toutefois, le progrès technologique n’a pas agi seul.
La baisse de la fécondité pendant la transition démographique a également marqué un tournant dans l’histoire de l’humanité, car elle a permis de se libérer du mécanisme malthusien. Au lieu de simplement permettre à plus de personnes de vivre, les innovations technologiques apportées par la révolution industrielle ont permis d’améliorer les conditions de vie et d’allonger la croissance économique. Les investissements dans le capital humain et l’éducation de masse ont pu avoir lieu après cette baisse, propulsant encore davantage les sociétés sur la voie d’une croissance économique soutenue.
Si l’on devait résumer toute l’histoire de l’humanité, cela ressemblerait à ceci : des millénaires de stagnation, puis la révolution industrielle (au XVIIIe siècle), puis la transition démographique (au XIXe siècle), puis une croissance économique soutenue.
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La France a très précocement subi une baisse de natalité (avant 1830)
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Globalement, ce résumé tient la route. Toutefois, pour la première superpuissance européenne, les choses ne se sont pas passées dans cet ordre. La baisse de la fécondité a commencé en France au milieu du XVIIIe siècle, soit plus d’un siècle plus tôt que dans tout autre pays du monde. À l’époque, il y avait 25 millions d’habitants en France et 5,5 millions en Angleterre. Aujourd’hui, il y a 68 millions d’habitants en France et 56 millions en Angleterre. Si la population de la France avait augmenté au même rythme que celle de l’Angleterre depuis 1760, il y aurait aujourd’hui plus de 250 millions de citoyens français vivants.