samedi 18 janvier 2020

France — l'enseignement du français a été amputé de près de 600 heures entre 1976 et 2015

L’essayiste et enseignant Jean-Paul Brighelli revient, à l’occasion de la sortie de La Désinstruction nationale de René Chiche, sur la faillite actuelle du système éducatif.

René Chiche est professeur de philosophie, vice-président du (petit, mais vif) syndicat enseignant Action et Démocratie CFE-CGC, et membre du Conseil Supérieur de l’Éducation. Et il est en colère.

Cet homme pondéré vient de sortir un (petit, mais important) livre dans lequel le syndicaliste et l’enseignant qu’il est en même temps met les pieds dans le plat et dit tout le mal qu’il pense de l’École qui lui a tout donné, et qui ne lui permet plus de rendre aux autres ce qu’il a reçu, tant le système est vérolé des pieds à la tête. Un pourrissement dont l’auteur donne les origines — l’arrivée aux commandes de ces « pédagogistes » qui ont entraîné l’Educ-Nat dans les abysses —, et dont il observe les progrès. C’est à un livre médical que nous avons affaire : ceux que les autopsies de cadavres pourrissants rebutent devront se pincer le nez. [...]

« Mise à mort » de l’École

Dans Éducation nationale, un grand corps malade, un documentaire que j’avais en grande partie scénarisé et qui est disponible sur le Net [voir la vidéo ci-dessous], j’avais eu l’occasion d’expliquer le détail de cette mise à mort, et de dénoncer les agitations stériles de nos pédagogues nouveaux qui bougent de façon à faire croire que le cadavre remue encore. Il faut le dire et le redire : les Trente Glorieuses ont été prolongées, sur le plan éducatif, par Trente Pouilleuses, dont l’élève actuel est le produit perfectionné. Non plus cancre comme autrefois — chez le cancre le plus obtus, il y a toujours l’espoir d’une étincelle, d’un sursaut, d’un éveil ; mais crétinisé par des gens dont c’était l’objectif, et qui l’ont réalisé avec une froide détermination, tout en tenant un discours lénifiant et envoûtant, auquel syndicats et parents d’élèves ont adhéré de toutes leurs forces. Demander sans cesse « des moyens », quand il s’agit, comme le relate René Chiche, de transmettre des connaissances en théorie acquises dans le cadre des concours de recrutement, c’est se cacher derrière son petit doigt, en renvoyant tout progrès réel aux calendes grecques.




L’élève de Terminale d’aujourd’hui, explique René Chiche, est un illuminé qui croit passer le « Bac à l’oréat » (sic !). Sans doute sous le ministère Chatel passait-il même le Bac à l’Oréal… C’est que le français fut la première victime des Diafoirus de la pédagogie : « Quand on considère la scolarité qui va du cours préparatoire à la fin du collège, cette discipline a été amputée de près de 600 heures entre 1976 et 2015. » En clair, un élève qui sort de Troisième actuellement a eu autant d’heures de Français dans sa courte carrière qu’un élève qui sortait de Cinquième il y a quarante ans : voir l’analyse complémentaire de mon autre honorable collègue, Loys Bonod, détaillant les statistiques compilées par l’association Sauver les Lettres.

Les grands praticiens de l’Éducation constatent tous les mêmes méfaits ; tous constatent que non seulement l’institution n’entend rien, mais qu’ils sont vilipendés.

Et c’est là que le désespoir saisit René Chiche. Le diagnostic a été posé depuis belle lurette, par moi (dans la Fabrique du crétin) et pas mal d’autres — lire l’Enseignement de l’ignorance, de Jean-Claude Michéa ; Nos enfants gâchés, de Natacha Polony ; ou Autopsie du mammouth — l’Éducation nationale respire-t-elle encore ? de Claire Mazeron. René Chiche s’inscrit dans une lignée de grands praticiens de l’Éducation, qui tous constatent les mêmes méfaits ; qui tous proposent des remèdes héroïques (on appelait ainsi autrefois les ultimes médecines administrées à des moribonds) ; et qui tous constatent que non seulement l’institution n’entend rien, mais qu’ils sont vilipendés par des gens qui se sont arrogé le pouvoir depuis trente ans, et qui ont infiltré tous les échelons de la hiérarchie. Il faut entendre, rue de Grenelle, la déploration de responsables ministériels parfois pleins de bonne volonté, mais impuissants, disent-ils, à dégommer des malfaisants — alors qu’il suffirait de les pendre par les pieds à la porte du ministère : puisqu’ils pensent à l’envers, ça ne peut leur faire que du bien.

La destruction de la langue ne touche pas seulement les déshérités : désormais toutes les classes sociales, « y compris les milieux les plus aisés », dit justement René Chiche, sont affectées par cette déperdition linguistique qui dégénère forcément en bouillie sémantique : ce qui ne s’énonce plus clairement ne se conçoit plus du tout. L’École forme depuis trois décennies un troupeau aveugle de consommateurs [...]. Version moderne du slogan antique, « du pain et des jeux », réactualisé en « un salaire universel, du foot et Cyril Hanouna ». Ce sont ces consommateurs désormais sans défense immunitaire contre la Bêtise galopante que fabrique l’École d’aujourd’hui.

À noter qu’à en croire l’auteur (et comment ne pas lui donner raison ?), c’est surtout parce qu’une langue porte des caractères nationaux que nos thuriféraires de la chose européenne veulent l’éradiquer — revenant, analyse finement Chiche, à l’inversion du mythe de Babel, un seul gloubi-boulga avec lequel on ne risque pas d’escalader les cieux. Qui ne voit pourtant que l’Europe, dont tous ces grands commis se gargarisent, ne peut émerger que par l’union des caractères nationaux fortement exprimés ? Et que l’Angleterre a saisi sa chance de survivre, en quittant le piège bruxellois tendu par Jean Monnet et ses successeurs ?

(Parenthèse : je salue la perspicacité de la plupart des journalistes français qui — à l’exception notable de ceux de Valeurs Actuelles, Causeur et Marianne, trois empêcheurs de penser en rond — prédisaient l’échec du Premier ministre anglais, assimilant un garçon passé par Eton et Oxford à un Trump d’outre-Manche… Bravo à eux !

[Bien évidemment les médias québécois ne valent guère mieux. Radio-Canada parlait récemment dans un article d’opinion de son cru « des frasques, les mensonges et les manières clownesques » d’un Boris Johnson. Le tout dans un article d’analyse (qui se voulait très sérieux) qui de se demandait 2020 : la démocratie en recul dans le monde ? et qui associait Boris Johnson à ce recul potentiel... On attend des articles du même acabit parlant « des frasques, les mensonges et les manières clownesques » de Justin Trudeau...]
)

« Le niveau de compétence disciplinaire a été déclaré secondaire »

Et les enseignants, tous complices ? Rappelez-vous La Fontaine : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » René Chiche pose avec ironie la question : « Les éducateurs sont-ils vraiment au fait des choses de l’esprit ? » Et de fustiger « des professeurs qui paraissent avoir trouvé leur diplôme dans une pochette surprise » et qui « se retrouvent à enseigner ce qu’ils ignorent ou ne connaissent qu’approximativement ». Et il conclut : « L’explication est simple : le niveau de compétence disciplinaire a été déclaré secondaire, et même facultatif par les plus enragés militants de la désinstruction. »

Qui sont ces militants ? Je suis désolé de le dire, parce que j’y conserve quelques amis, mais ils viennent tous de gauche. Cette Gauche qui n’a rien trouvé de mieux, après les tueries de Charlie Hebdo et du Bataclan, que de demander à Philippe Meirieu — Chiche n’est pas avare d’imprécations à l’égard du pape du pédagogisme — de rédiger à la va-vite un texte sans colonne vertébrale (ne pas stigmatiser ! Ne pas dire « islam » !) à lire à des élèves impavides ou même hostiles. René Chiche dans son lycée a incité ses élèves, en 2018, à saluer le sacrifice d’Arnaud Beltrame, au grand dam de ses collègues — sans doute préféraient-ils l’attitude de SUD, ce syndicat absolument pas raciste (vous vous rappelez sans doute que SUD a organisé « des stages de formation syndicale interdits aux Blancs », tous colonisateurs, comme chacun sait) — qui ont « fait savoir tout le mal qu’il pensait d’un tel hommage, auquel il se vantait même d’appeler le reste de la profession à ne pas participer ».

Je ne veux pas déflorer complètement un livre terrible, un livre qui fera mal à ceux qui le liront sans œillères, un livre qu’il faudrait faire étudier dans les classes, si on n’avait d’abord, comme le suggère notre philosophe, à étudier Spinoza et la règle de trois : si à l’exposé de leurs malheurs programmés, les élèves s’insurgent et proposent de pendre les assassins de l’École, quelques espoirs sont permis ; mais si au récit de leur misère ils restent impavides, alors les pédagos auront réussi leur coup : le mal sera absolument sans remède.


La Désinstruction Nationale,
de René Chiche,
Coll. Temps présents,
paru 20 novembre 2019,
aux Éditions Ovadia,
252 pages
20 €.
ISBN-13 : 978-2363923684

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France — Saignées dans l’enseignement du français

Les Québécois consomment de plus en plus de pétrole

Alors que les élites médiatiques autoproclamées du Québec aiment à dire depuis plusieurs années d’être un chef de file en matière de lutte contre les changements climatiques et de transition énergétique, les Québécois consomment toujours plus de produits pétroliers et achètent de plus en plus de camions légers (VUS), selon ce qui se dégage de l’édition 2020 du rapport L’État de l’énergie au Québec.


Selon Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, qui produit chaque année ce rapport, « Les tendances énergétiques québécoises actuelles ne sont pas rassurantes ».

Cet engouement auprès du grand public pour ces véhicules gloutons en pétrole ne devrait-il pas relativiser l’idée qu’il n’existerait aucune « acceptation sociale » pour la construction d’oléoducs ou l’exploration gazière ou pétrolière au Québec ? (Gisement Old Harry dans le golfe du Saint-Laurent : Québec doit tout recommencer).

Le Québec est un chef de file de la production « verte » d’électricité grâce aux barrages électriques. Ces barrages ne sont pas issus d’une volonté écologiste, mais nationaliste et économique : doter le Québec de son énergie autonome à bon marché. En 2019, la production d’électricité québécoise totalisait 214  TWh, dont 95 % provenaient de source hydroélectrique, 4,7 % de source éolienne et 1 % de la biomasse, de l’énergie solaire et du diesel. Pour l’économiste Youri Chassin, il n’existe aucune place (rentable) pour l’éolien au Québec.




*Dans la catégorie des camions, on compte les minifourgonnettes, les véhicules utilitaires sport, les camions légers et lourds, les fourgonnettes et les autobus.

L'excellence scolaire des jeunes élèves d’origine asiatique

Barthélémy Courmont et Laurent Alexandre dans un entretien mené par Atlantico dialoguent sur l’excellence scolaire des jeunes élèves d’origine asiatique.

— Selon une étude de la sociologue du Cnam Yaël Brinbaum parue en décembre 2019, les enfants d’origine asiatique, et plus particulièrement les filles, se démarquent en France par leur surréussite scolaire. Comment l’expliquer ?

Barthelemy Courmont — Les résultats de cette étude qui a analysé les trajectoires de 30 000 enfants scolarisés sur une décennie sont spectaculaires en ce qu’ils indiquent que les enfants d’origine asiatique réussissent mieux que tous les autres groupes ethniques en milieu scolaire. Les filles comme les garçons asiatiques atteignent ainsi des taux de réussite au bac très élevés (92 % et 88 %), qui dépassent même les Français d’origine (nous entendons ici ceux qui sont Français depuis au moins trois générations) et les autres enfants appartenant à la deuxième génération de l’immigration. Idem sur le taux de redoublement, très faible, et dans les orientations vers des bacs généraux à très forte majorité. Cette étude n’offre cependant pas de précision sur les origines de ces « Asiatiques », l’Asie étant une entité aussi vaste que diversifiée. Gageons que les cas les plus étudiés sont des enfants qui appartiennent à la deuxième génération d’une immigration en provenance de Chine et du Vietnam en majorité, de pays comme la Corée ou le Japon ensuite. Il s’agit de pays de culture confucéenne, où l’éducation est mise en avant. On constate par exemple dans ces sociétés que le « savant » celui qui détient des diplômes ou exerce des fonctions dans l’éducation, est un personnage important et respecté, par exemple le lao shi (老師, professeur) chinois. Dans ces sociétés, le rythme scolaire est très soutenu et les jeunes suivent de nombreux enseignements en plus des heures de classe, pour conforter leurs connaissances ou apprendre de nouvelles matières, de la musique, du dessin, des langues étrangères, etc. Bien sûr, ces habitudes changent au contact de la société française, mais les habitudes demeurent et restent très présentes en particulier dès lors que les parents de ces enfants scolarisés en France ont reçu une éducation confucéenne.

Laurent Alexandre — On a un début de réponse. On retrouve chez les Asiatiques de l’est de très bons scores aux tests de QI. Le quotient intellectuel (QI) moyen en Asie de l’Est est très élevé : à Singapour et à Hongkong par exemple il serait 10 points au-dessus de celui constaté en France ou aux É.-U. (108 contre 98).

L’admission dans les grandes universités américaines utilisant systématiquement le test de mesure cognitive SAT qui est très fortement corrélé au test de QI, il est logique que les Asiatiques prennent beaucoup de places dans les grandes universités. Dans le classement PISA des élèves par pays, la Chine est désormais numéro 1 mondial. Les autres pays d’Asie de l’Est sont également très bien placés. Par ailleurs, il existe une forte pression exercée par les parents. Et les professeurs sont respectés… Les parents asiatiques veulent que leurs enfants gagnent la guerre des intelligences.

— Quelle que soit l’origine, les filles dépassent les garçons, sauf chez les descendants asiatiques où les deux sexes frôlent l’excellence. Pourquoi ?

Barthelemy Courmont — Dans les sociétés confucéennes, la réussite du garçon est primordiale. Il y a encore quelques décennies, on sacrifiait l’éducation des filles dans de nombreuses sociétés asiatiques au profit des garçons, quand les ressources familiales étaient limitées, parce que c’est le garçon qui va fonder un foyer, perpétuer le nom, et donc la famille, tandis que la fille quitte la famille au moment du mariage. La réussite des filles est donc secondaire. Cette approche traditionnelle, aujourd’hui confrontée à l’interculturalité et au développement, autant qu’à un accès plus facile à l’éducation, n’en demeure pas moins une réalité culturelle. La pression sociale reste ainsi très forte sur les garçons qui doivent réussir et, pour y parvenir, atteindre des performances scolaires. Ils sont ainsi poussés par leur famille. C’est sans doute ce qui explique que les garçons asiatiques réussissent aussi bien que les filles, contrairement à d’autres groupes ethniques, en tout cas pour ce qui est des personnes originaires de cultures confucéennes (Asie du nord-est surtout). Là encore, il serait intéressant de voir si les enfants originaires d’Asie du sud-est (hors péninsule indochinoise) ou d’Asie du sud (Inde surtout) offrent les mêmes résultats.

Laurent Alexandre — On observe que les filles sont plus appliquées que les garçons. Mais cet écart est nettement moins prononcé chez les Asiatiques. Il n’y a pas d’explications claires à ce phénomène.

— Les enfants d’origine asiatique sont surreprésentés dans les filières scientifiques. Il y a-t-il un rapport au prestige plus important dans la culture asiatique que dans la culture occidentale ?

Barthelemy Courmont — C’est à la fois le point fort et la limite de la pensée confucéenne appliquée au monde de l’éducation, comme le montrent très nettement des pays comme la Corée du Sud, le Japon et, de plus en plus, la Chine. Le système éducatif y est très dur, et les performances spectaculaires (la Corée du Sud se hisse régulièrement en tête des pays offrant les meilleurs résultats scolaires), mais les méthodes d’apprentissage privilégient souvent le bachotage plus que la réflexion [note du carnet : nous ne pensons pas qu’il y ait une incompatibilité entre les deux, en Occident on assiste surtout à des jeunes peu cultivés qui ressassent des stéréotypes à la mode, confondus avec de la réflexion. Il faut une bonne dose de connaissance pour pouvoir réfléchir par soi-même...].

Cela s’avère utile pour les sciences de la nature, moins pour les sciences humaines, où la réussite d’étudiants asiatiques est nettement plus faible [note du carnet : peut-être sont-elle justement peu valorisée — la revanche chinoise ne viendra pas de là — et n’attirent donc pas les meilleurs éléments ? Ajoutons que les Asiatiques se méfient de la philosophie européenne et ne considèrent pas important de préserver la culture classique européenne, cela diminue l’attrait des études non scientifiques dispensées à l’université.]. Ce n’est donc, à mon sens, pas tant une question de prestige que de technique d’éducation. Il est par exemple troublant de voir de jeunes Chinois être capables de réciter par cœur des poèmes anciens, parfois très longs. Mais ils n’ont pas pour autant une bonne connaissance de la littérature ni un goût prononcé pour les lettres. Ce qui était autrefois gage de réussite et de connaissance l’est moins désormais, a fortiori dans les sociétés occidentales où on apprend aux jeunes à réfléchir plus qu’à retenir, dans les sciences humaines en particulier. Notons par ailleurs que dans certains pays asiatiques, la Corée du Sud en particulier encore, les jeunes sont tellement poussés lors de leur enseignement primaire et secondaire qu’ils perdent l’envie d’apprendre une fois à l’université. Les sciences humaines, basées, sur l’envie d’apprendre, ne leur conviennent que rarement. Bien sûr, ces remarques doivent être nuancées, d’autant qu’elles concernent le système éducatif dans les sociétés asiatiques, et non la communauté asiatique de France. Mais là encore, cela ne saurait être sous-estimé. Imaginez une famille dont les deux parents ont été formés à « l’école coréenne ou japonaise ». Même s’ils en gardent un souvenir amer, il y a de grandes chances qu’ils reproduiront à une certaine échelle ce modèle sur leurs enfants.

Laurent Alexandre — Les descendants d’immigrés asiatiques sont effectivement surreprésentés parmi les bacheliers scientifiques (36 % des filles, 42 % des garçons) contre seulement un quart des Français d’origine. Les pays d’Asie de l’Est comme la Chine, où règne un spectaculaire consensus sur les modifications génétiques, la manipulation cérébrale et le déploiement de l’IA sont ultra favorables à la science. L’impérialisme technologique chinois est saisissant. La Chine est devenue la première puissance transhumaniste, loin devant les États-Unis, et ne trouve aucun obstacle sur sa route. La science est reine en Asie de l’est. À l’inverse, les sciences sont désormais méprisées en France. L’écologie a diabolisé le nucléaire, l’ingénierie, l’aviation…

— Le phénomène semble mondialisé. Peut-on supposer un facteur génétique ?

Laurent Alexandre — Il y a trois hypothèses. Soit, les Asiatiques travaillent davantage. Soit, ils ont un meilleur patrimoine génétique. Soit, ils ont une culture qui pousse davantage à l’excellence. Aucune de ces explications n’est politiquement correcte. Cela revient à dire que les cultures ne sont égales face à l’école ou que certaines communautés sont moins courageuses ou bien encore ont de moins bonnes caractéristiques génétiques. Personnellement, je pense que, quelle que soit la cause de ces disparités, il est nécessaire de les combattre. Cae derrière ces inégalités cognitives, il y a de grandes inégalités sociales : les polytechniciens gagnent mieux leur vie que les Bac moins 3. Cette supériorité intellectuelle des Asiatiques pose des problèmes politiques aux É.-U..

Les Américains d’origine asiatique sont 14,7 millions soit 4,8 % de la population américaine. Dès 2014, la célèbre université de Harvard a été attaquée en justice par une organisation d’étudiants asiatiques, « Students for fair admissions », pour ses préférences accordées aux candidats noirs, hispaniques et blancs,  aux dépens d’étudiants asiatiques plus méritants : en raison de cette politique, les Asiatiques représentaient seulement 19 % des étudiants admis, alors qu’ils atteindraient 43 % sur les seuls critères intellectuels et scolaires. Soit quasiment dix fois leur poids démographique ! 64 organisations asiatiques américaines reprochent désormais à Harvard et à d’autres prestigieuses universités de la Ivy League de fixer des critères d’admission plus élevés pour leur communauté, via une discrimination inversée.

À New York, le très prestigieux lycée Stuyvesant, qui ne sélectionne que sur examen d’entrée et ne pratique aucune discrimination en faveur des autres groupes ethniques, est ainsi asiatique à 72 %. Le sociologue Thomas Espenshade, de Princeton, a montré en 2009 que pour être acceptés dans les meilleures universités, les Asiatiques devaient en moyenne obtenir (sur un total de 2 400 points) 140 points de plus que les étudiants blancs, 270 points de plus que les « Hispaniques » et 450 points de plus que les « Afro-Américains » aux tests intellectuels SAT. La politique de discrimination positive a été pensée pendant les années 1960 pour aider les minorités raciales défavorisées. Elle affronte aujourd’hui une grave crise : les associations asiatiques sont convaincues que la politique de discrimination positive construite par les blancs pour aider les Hispaniques et les noirs est devenue un instrument pour réduire la place des Asiatiques.

Aux États-Unis, les différences économiques entre communautés deviennent gigantesques. Les statistiques gouvernementales montrent que les familles Asiatiques gagnent 81 431 dollars par an contre 65 041 pour les « Blancs », 47 675 pour les « Hispaniques » et 39 490 dollars pour les « Noirs » (US Census Bureau, Current Population Survey). Les Asiatiques gagnent donc 2,06 fois plus que les noirs et nettement plus que les blancs.

Certains généticiens réputés jettent de l’huile sur le feu et implorent l’opinion de rouvrir un autre débat miné : le lien entre notre race, notre ADN et nos caractéristiques y compris intellectuelles. Dans le New York Times du 23 mars 2018, David Reich — généticien de réputation internationale à Harvard — a défendu l’idée que nier les différences interraciales sera contre­productif et renforcera le racisme : « En tant que généticien, je sais aussi qu’il n’est [...] plus possible d’ignorer les différences génétiques moyennes entre les “races”. Il sera impossible — en fait, antiscientifique, stupide et absurde — de nier ces différences. » Je ne suis pas d’accord avec David Reich. J’ai expliqué dans « Le Monde » que je n’étais pas favorable à l’ouverture de ce débat.

En revanche, je suis favorable à une lutte déterminée contre les inégalités entre communautés.

La France connaît sans aucun doute également de grandes disparités d’accès aux grandes écoles et de revenus, mais l’interdiction des statistiques ethniques ne permet pas de les mesurer et d’y remédier : les sociologues et politiciens peuvent dormir sur leurs deux oreilles, ils ne seront jamais perturbés par les criantes inégalités intercommunautaires ! Personnellement, je suis favorable aux inégalités positives pour diminuer les écarts intercommunautaires et donc aux statistiques ethniques pour les monitorer. Nous refusons de regarder en face les différences socio-économiques intercommunautaires. En croyant être bienveillants, nous nous empêchons en réalité de combattre les inégalités entre communautés.

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L'imposition de l’écriture jawi (arabe) enflamme la Malaisie

Le ministre de l’Éducation de la Malaisie, Maszlee Malik, a démissionné le 2 janvier. Les ennuis ont commencé lorsque le gouvernement a annoncé qu’il obligerait tous les enfants de dix ans à apprendre l’écriture jawi. Il s’agit d’une écriture analogue à l’arabe. Les textes en malais, langue de la majorité de la population de Malaisie, utilisaient cette écriture avant que les réformateurs du XXe siècle n’imposent l’alphabet latin comme norme administrative et scolaire.

Le jawi n’est plus guère utilisé de nos jours, bien qu’on trouve des traces sur les timbres, les billets de banque et quelques autres endroits. Sa préservation est importante pour les Malais de souche qui craignent que leur héritage et leur culture ne soient menacés par le multiculturalisme de la Malaisie moderne, héritage du colonialisme britannique.

Les Malais ne sont pas les uniques citoyens de la fédération malaise. Environ 25 % de Malaisiens est d’origine chinoise et 10 % d’origine indienne, établis depuis plusieurs générations. Il y a, en outre, les « Orang Asli » (populations autochtones). L’origine ethnique des citoyens (malaise, chinoise, tamoule ou autre) est mentionnée sur la carte d’identité et le passeport. On trouve des minorités eurasiennes à Kuala Lumpur, Melaka et Penang.

Même texte en malais (« No1, réputé et digne de confiance ») écrit dans l’écriture traditionnelle jawi (en haut) et en lettres latines (en bas). Les deux lignes se prononcent de la même façon. Panneau affiché à Kutuan la capitale de l’État malais du Pahang.

L’an dernier, les autorités de Pahang, le plus grand État de la péninsule malaisienne, ont décrété que les panneaux de circulation et les enseignes commerciales devaient tous être écrits à la fois en écritures jawi et latine.

L’introduction des cours d’écriture jawi a alarmé les écoles dont la clientèle est principalement issue des minorités ethniques chinoises et indiennes de Malaisie. Minorités qui représentent ensemble environ un tiers de la population du pays. Ces écoles jouissent d’une certaine liberté pour établir leurs propres programmes. Leurs directions ont déclaré que l’imposition du jawi était incompatible avec cette liberté pédagogique. Certaines écoles craignent que, en cédant sur l’imposition du jawi, elles n’établissent un précédent et enhardissent les autorités malaisiennes qui voudraient imposer aux écoles minoritaires d’autres matières scolaires chères à la majorité ethnique malaise, notamment davantage de contenu islamique. Certains groupes marginaux en Malaisie s’opposent catégoriquement à l’enseignement en chinois et en tamoul. En octobre, plusieurs mouvements promalais, réunis lors d’une conférence baptisée « Congrès de la dignité malaise », ont fait valoir qu’il fallait mettre un terme aux écoles chinoises et tamoules.

Le gouvernement a quelque peu reculé. Il a réduit les heures consacrées au jawi dans son nouveau programme d’études et a déclaré que les écoles n’auront à l’enseigner que si la majorité des parents d’élèves sont d’accord.

Ces mesures n’ont pas réussi à apaiser les écoles des minorités ethniques et leur résistance continue a, à son tour, rendu furieux certains nationalistes promalais. Fin décembre, la police a interdit à Dong Jiao Zong, une association éducative qui défend les intérêts des étudiants chinois, d’organiser des réunions pour discuter de la controverse. Certains groupes promalais avaient prévu de manifester lors de ces réunions. Les autorités semblaient craindre que ces réunions n’occasionnent des violences.

La démission de M. Maszlee pourrait ramener le calme. M. Maszlee avait accumulé les maladresses, il n’avait pas notamment réussi à convaincre les sceptiques qu’il n’y avait pas d’ordre du jour caché derrière l’imposition du jawi, qu’il n’y avait « pas de crevette sous roche », pour utiliser une expression malaise.

Il est le premier membre du cabinet à démissionner depuis que le Pakatan Harapan (PH), la coalition multiethnique au pouvoir, a remporté les élections générales en 2018. L’accession au pouvoir du PH avait suscité l’espoir de rapports apaisés entre les communautés ethniques de la Malaisie qui trancheraient avec ceux entretenus lors des mandats de son prédécesseur, le Barisan Nasional (Front national). Le BN était au pouvoir depuis l’indépendance du pays, en 1957, jusqu’aux élections de mai 2018. Le BN est une alliance de mouvements conservateurs, d’adeptes du suprématisme malais et de libéraux économiques. Ces espoirs ont été déçus et le PH semble plutôt avoir ravivé la contestation identitaire.