Article du Telegraph de Londres.
Emmanuel Macron, humilié, préside un pays qui a perdu sa raison d’être.
Qu’est devenue la France ? Autrefois le pays le plus beau, le plus brillant et le plus civilisé du monde, il est maintenant pris dans une spirale de déclin apparemment irréversible. Les Français le savent — une enquête de l’année dernière a révélé que 61 % d’entre eux pensent que le pays est en déclin — mais ils se sentent impuissants à l’empêcher.
L’ambiance est maussade, pleine de ressentiment et de colère. La violence couve juste sous la surface, comme lors des manifestations des gilets jaunes il y a quatre ans. Ceux qui osent regarder derrière la façade en ruine de l’État français découvrent une nation en crise existentielle.
Les causes de cette crise sont innombrables. Au cœur de la crise, cependant, se trouve le désespoir d’un peuple qui a été trompé pendant si longtemps qu’il ne croit plus rien de ce que disent ses dirigeants, même quand ils disent la vérité. L’atmosphère est sombre, parfois presque apocalyptique, car ceux qui ont été maintenus dans le déni sont confrontés à un présent qui se moque de leurs espoirs pour l’avenir. Le reste de gloire avec laquelle ils associent leur passé s’éloigne rapidement.
Au début de l’année, alors que le sort de la France était en jeu lors de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’est rapidement débarrassé de sa rivale, Marine Le Pen, en la décrivant, lors de leur débat télévisé, comme le caniche de Poutine. Il a été dûment réélu par une majorité substantielle.
Pourtant, il n’y a pas eu la jubilation qui avait accueilli sa première victoire en 2017. Cette fois, les Français ne prenaient plus au sérieux les promesses de leur président : lui et son entourage n’étaient considérés que comme le moindre des deux maux. En un mois, son parti avait perdu le contrôle d’une Assemblée nationale dominée par l’extrême-gauche et [la prétendue] extrême-droite.
.@LaurentObertone : « Les 2/3 des crimes et délits commis sur notre sol sont commis par des individus issus de l’immigration. C’est une reconnaissance qui ne va pas au fond des choses! » #FaceÀBockCôté #Cnews #Immigration #Insécurité #Darmanin pic.twitter.com/5jkoelHTgk
— 🇫🇷 Nicolas 🇮🇱 (@walZemm) November 5, 2022
Macron a été humilié : un président qui n’en a que le nom, sa fonction étant privée du pouvoir et de la gloire que l’architecte de la Cinquième République, le général de Gaulle, avait voulus.
« La voie que nous prenons aujourd’hui est celle du chaos »
— Magnus (@Magnus_editions) November 6, 2022
🎙@LaurentObertone était hier l’invité de @mbockcote sur #CNEWS : https://t.co/NDGoXHzlJ3 pic.twitter.com/kYpK6FCuMQ
Depuis lors, l’enfant prodige vieillissant a cherché à regagner la confiance de son peuple en admettant ce que tous savent : que son pays n’est plus la fierté de la civilisation européenne, mais une nation mal à l’aise avec elle-même, incapable de préserver sa propre identité, sans parler de son héritage révolutionnaire en tant que champion mondial des droits de l’homme.
Une grande partie de la France est dans un état perpétuel de panique ou de rage face à l’immigration incontrôlée et à sa propre population musulmane très marginalisée.
La semaine dernière, lors d’une interview télévisée, Macron a défendu son bilan en matière d’ordre public après le meurtre retentissant de Lola, une fillette parisienne de 12 ans, mais a pour la première fois concédé une vérité qui dérange : « Si l’on regarde la criminalité à Paris aujourd’hui, on ne peut que constater qu’au moins la moitié des crimes provient d’étrangers, soit des immigrés clandestins, soit des personnes en attente d’un titre de séjour. »
Il y a encore un an, Macron aurait condamné avec véhémence de telles opinions de la part d’un de ses rivaux de droite. Le fait qu’il le dise maintenant lui-même est un signe de son désespoir. Car cela implique non seulement que l’État français a perdu le contrôle de ses frontières, mais aussi qu’il ne parvient pas à intégrer la proportion rapidement croissante de la population dont les origines se trouvent dans les anciennes colonies françaises.
Paris est, après tout, un microcosme de la France. L’anarchie des banlieues qui entourent la capitale, qui s’apparente quasiment à du terrorisme de bas niveau, se reflète dans presque toutes les autres villes. Les graffitis, le vandalisme et la saleté qui défigurent les rues de Paris sont omniprésents ailleurs aussi.
Le délabrement des infrastructures, les monuments hideux des « starchitectes » d’avant-garde, reflètent l’extinction de l’élégance parisienne dans l’art, l’habillement et les manières. Et la catastrophe qui a presque détruit la cathédrale Notre-Dame en 2019 a symbolisé l’effondrement du christianisme dans ce qui était autrefois un pays plus dévoué à la Vierge que n’importe quel autre.
Paris est, après tout, un microcosme de la France. L’anarchie des banlieues qui entourent la capitale, qui s’apparente quasiment à du terrorisme de bas niveau, se reflète dans presque toutes les autres villes. Les graffitis, le vandalisme et la saleté qui défigurent les rues de Paris sont omniprésents ailleurs aussi.
Le délabrement des infrastructures, les monuments hideux des « starchitectes » d’avant-garde, reflètent l’extinction de l’élégance parisienne dans l’art, l’habillement et les manières. Et la catastrophe qui a presque détruit la cathédrale Notre-Dame en 2019 a symbolisé l’effondrement du christianisme dans ce qui était autrefois un pays plus dévoué à la Vierge que n’importe quel autre.
Le déclin de la France se manifeste de nombreuses façons. Le malaise politique est sous-tendu par un malaise économique qui a été accéléré, mais pas causé, par les chocs de la pandémie de Covid et de la guerre en Ukraine. La longue histoire des gouvernements dirigistes français de gauche et de droite, qui ont privilégié le contrôle de l’État à la libre entreprise, a légué une économie centralisée qui semble incapable de s’adapter aux vents contraires du monde.
Prenons l’exemple de l’industrie automobile : elle emploie encore 800 000 travailleurs, mais elle a été plongée dans ce que Le Monde a appelé en avril dernier « une crise existentielle », avec des ventes en baisse de 17 % par rapport à 2021. Depuis lors, le coût de l’énergie a contraint des entreprises comme Renault, Peugeot et Citröen à lutter pour survivre. Une nation de pionniers de la mécanique, traditionnellement obsédée par la route, a perdu l’amour de l’automobile. Pourtant, les dirigeants industriels se comportent comme des lapins pris dans des phares.
Il en va de même avec l’énergie nucléaire, qui fournit 70 % de l’électricité française. L’incapacité à remplacer les infrastructures vieillissantes [pour des raisons politoc-écologistes] a laissé plus de la moitié des 56 réacteurs hors service à l’approche de ce qui va ressembler au pire hiver de mémoire d’homme.
EDF, qui exploite les centrales, a été nationalisée et, pour la première fois depuis des décennies, la France importe plus d’énergie qu’elle n’en exporte, évitant de justesse jusqu’à présent les pannes d’électricité. Pour le futur proche, le pays a non seulement été dépassé par la Suède en tant que premier exportateur d’électricité en Europe, mais il a également perdu sa réputation en matière de sécurité énergétique.
L’agriculture française perd également du terrain face à la concurrence étrangère, notamment dans le secteur de la production de viande bovine. Au cours des 20 dernières années, la quantité de viande bovine produite en France a diminué de 9 % pour atteindre 1,4 million de tonnes, selon Eurostat.
Parallèlement, l’inflation des produits alimentaires a atteint 11,8 % le mois dernier, les produits frais ayant augmenté de près de 17 % en un an. Si les subventions publiques ont permis de maintenir l’inflation globale en dessous de la moyenne européenne, cette politique consistant à soudoyer les consommateurs avec leur propre argent pour masquer la réalité n’est pas soutenable à moyen terme.
La pression fiscale en France est l’une des plus élevées du monde développé. Le taux impôts/PIB français, à 45,4 %, trône en deuxième place du palmarès des pays les plus imposés de l'OCDE. Ce taux pour le Royaume-Uni est de 32,8 %. En d’autres termes, le gouvernement français dépense près de 53 % du PIB ; le gouvernement britannique environ 10 % de moins. Ainsi, bien que les Britanniques paient les impôts les plus élevés depuis 70 ans, nous sommes autorisés à conserver une part beaucoup plus importante de nos revenus par rapport aux Français.
Le chômage des jeunes en France reste également obstinément élevé, à 15,6 %, contre 9 % en Grande-Bretagne. Entre-temps, la croissance du PIB s’élèvera à 2,5 % cette année, selon les prévisions du Fonds monétaire international, tandis que l’économie britannique devrait croître de 3,6 %.
Pourtant, gonflé par ses politiques fiscales confiscatoires et malgré ses politiques commerciales protectionnistes, l’État français n’a pas réussi à empêcher la chute vers un déclin fatal de ses régions industrielles. L’équivalent du « mur rouge » en Angleterre se trouve dans le nord et l’est de la France, tandis que l’arrière-pays rural est tout aussi déprimé. Les sondages d’opinion donnent maintenant au Rassemblement national de Le Pen près de 50 %, la plupart de ces électeurs protestataires étant concentrés dans les régions de la ceinture de la rouille et dans la France profonde.
Environ 3 millions de logements français sont vides, soit 8,2 % du total, a révélé l’année dernière l’office national des statistiques. Ce chiffre est en hausse depuis le début du millénaire, où il s’élevait à 6,9 %. Dans certaines communes, le taux de vacance est supérieur à 20 %.
Le vieux problème d’une bureaucratie centralisée qui étouffe le marché libre signifie que, contrairement à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, le déclin des anciennes industries françaises n’a pas été compensé par l’essor de nouvelles industries. Au lieu de réduire les impôts et la bureaucratie afin de retenir les jeunes entreprenants et d’attirer les investisseurs, la France a adopté les goûts les moins attrayants des « Anglo-Saxons ».
Bien qu’ils aient créé le concept même du restaurant, les Français sont plus enclins à prendre un « McDo » pour déjeuner que n’importe quel autre Européen. Mais la vulgarité de McDonalds et d’autres aspects du mercantilisme américain ne sont en aucun cas la pire des importations transatlantiques françaises.
À l’instar de leurs homologues américains, les universitaires et les politiciens se sont récemment affrontés au sujet de la propagation de la politique identitaire woke, qui, selon le président Macron, risque de « briser la république en deux ».
Après la décapitation de l’instituteur Samuel Paty par un islamiste il y a deux ans, une dispute acrimonieuse a éclaté dans les cercles intellectuels français à propos de l’affirmation du ministre de l’Éducation selon laquelle les « islamo-gauchistes » sur les campus universitaires fermaient les yeux sur le radicalisme.
Frédérique Vidal avait prévenu que certains enseignants voyaient « tout à travers le prisme de leur volonté de diviser, de scinder, de désigner l’ennemi ».
Le wokisme, avec son intolérance totalitaire et son philistinisme inné, est une menace mortelle pour la vie de l’esprit partout, mais peut-être surtout en France. Pourquoi ? Parce que la France est déjà passée par là.
Comme en mai 1968, les universités sont le maillon faible. À l’époque comme aujourd’hui, les attitudes égoïstes et complaisantes d’une génération d’étudiants menacent de submerger leurs timides professeurs. Les générations françaises plus âgées commencent tout juste à réaliser à quel point elles ont été envoûtées par les gourous intellectuels qui ont pris le pouvoir dans l’après-coup chaotique de 1968.
Le plus intelligent, le plus cynique et le plus pernicieux de ces joueurs de flûte était peut-être Michel Foucault. Ses livres et ses conférences ont sapé les fondements moraux de l’histoire, de la société et de la vie intellectuelle françaises. Ce n’est que maintenant, des décennies après sa mort en 1984, que la France accepte progressivement le fait qu’elle a laissé son esprit collectif être embrouillé par un génie maléfique — qui était aussi un pédophile prédateur présumé, selon un contemporain.
Comme tant d’amoralistes d’après 1968, Foucault était le fils d’une famille bourgeoise strictement catholique et il a reçu une excellente éducation. Ce qui sous-tend bon nombre des mécontentements français actuels, c’est la perte de toutes ces choses. L’Église a largement perdu sa place dans la société, la bourgeoisie s’est vidée, la famille s’est désintégrée et le système éducatif a abdiqué son rôle d’encouragement aux activités intellectuelles.
Le déclin des écoles françaises à tous les niveaux est particulièrement désolant pour ceux qui les ont connues à leur apogée. Les lycées et les grandes écoles étaient très compétitifs et résolument élitistes, mais ils ont atteint leur objectif d’équiper la direction de la France à un niveau superlatif. Après 1968, cependant, la pourriture s’est installée et a depuis touché toutes les parties du système.
Macron a fermé l’École nationale d’administration, l’école de finition d’élite pour les dirigeants et les bureaucrates du pays qu’il a lui-même fréquentée, l’année dernière alors qu’elle était devenue une autre institution à être capturée par la pensée de groupe d’élite. Il a été créé à l’origine par Charles de Gaulle en 1945 pour briser l’emprise des classes supérieures sur les leviers du pouvoir français.
Macron, produit typique du système, a malheureusement présidé à une accélération de son déclin. La France obtient de mauvais résultats au PISA (Programme for International Student Achievement), se classant bien en dessous du Royaume-Uni ou de l’Allemagne. La France a glissé du 19e au 23e rang du classement des compétences en lecture en 2018. Le Royaume-Uni s’est classé 14e. Une seule université française (PSL Paris) figure dans le top 50 mondial, selon le classement Times Higher Education. [Ces classements favorisent d’office les universités anglophones qui font beaucoup de recherche alors que dans d’autres pays cette recherche est concentrée dans des instituts spécialisés et les universités se concentrent sur la formation.]
L’une des conséquences en a été le déclin de la science française. Cela a été révélé par la pandémie, lorsque Macron a dû admettre que son pays était incapable de produire son propre vaccin Covid — contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni et à l’Allemagne. Les autorités françaises ont également mis beaucoup plus de temps à vacciner leur population que leurs homologues britanniques.
De tels faits ne sont pas une surprise. La France n’a jamais été une pure méritocratie : ses rigueurs ont toujours été tempérées par les relations, la corruption et la classe. Mais l’appauvrissement éducatif et économique de la bourgeoisie a mis à mal des professions telles que la justice, la médecine, l’armée et les médias. La qualité des politiciens est également étonnamment faible. De même que Macron n’est pas de Gaulle, il n’y a pas non plus de journalistes du calibre du grand critique du général Raymond Aron. La vie publique française est un paysage lunaire de médiocrités.
La décadence intérieure s’est accompagnée d’un déclin géopolitique. Sous Macron, la France n’a pas soutenu l’Ukraine contre l’agression russe et a perdu son influence dans son arrière-cour nord-africaine. Qui pourrait oublier le contraste entre l’admiration non feinte de Volodymyr Zelensky pour Boris Johnson et son exaspération lorsqu’il s’est retrouvé enlacé par Emmanuel Macron ?[Comme si l'Ukraine déjà très pauvre, très corrompu et en plein déclin démographique bien avant 2022 était un allié de poids pour la France ou même la Grande-Bretagne.]
Quelques mois plus tôt, le président français avait été contraint de défendre le retrait des troupes de son pays de l’ancienne colonie malienne après une décennie de lutte contre les groupes djihadistes. Sa décision, motivée par une brouille avec la junte militaire au pouvoir, a laissé les Casques bleus britanniques alliés sans soutien aérien et a ouvert la porte à une plus grande influence de la Russie, qui a envoyé des entrepreneurs militaires privés dans la région.
Même les Allemands, que les Français ont d’autant plus étreints depuis le Brexit, se détachent brutalement d’un partenaire dont les intérêts sont de plus en plus divergents.
Des réunions intergouvernementales et une visite conjointe à Pékin ont été annulées, tandis qu’un déjeuner Macron-Scholz le mois dernier n’a résolu aucun des problèmes en suspens. L’Allemagne sous Scholz suit sa propre voie, anéantissant les espoirs de Macron de diriger l’UE après le départ à la retraite d’Angela Merkel. Les nouveaux États membres méprisent les tentatives du président français de négocier la paix avec Poutine ; ignorer le plus simplement sa posture.
Le même sentiment d’une puissance mondiale en déclin s’applique, à plus forte raison, au domaine dans lequel la France excellait autrefois : la haute culture. Le mois dernier, le prix Nobel de littérature a été décerné à Annie Ernaux, 84 ans. Comme le célèbre écrivain norvégien Karl Ove Knausgaard, Ernaux écrit de l’« autofiction », obligeant le lecteur à se soumettre aux anecdotes immersives de son quotidien.
Une telle expérience indirecte de la mondanité fascine évidemment un lectorat croissant, mais ce n’est pas l’étoffe dont est faite la grande littérature d’une nation sûre d’elle-même. Au contraire, les œuvres d’Ernaux sont saturées du solipsisme et du nihilisme d’une nation en déclin.
Un écrivain français plus subtil qu’Ernaux, Michel Houellebecq, a publié un roman beaucoup plus prophétique plus tôt cette année. Anéantir (« Détruire ») se déroule en 2027, alors que Macron quitte ses fonctions. Sa vision de la France est sombre : frappée par la pauvreté et le chômage, c’est une société qui vieillit rapidement. Il se concentre donc sur les maladies mortelles. Contrairement à Ernaux, dont la description de la démence de sa mère est d’un sang-froid choquant, l’écriture de Houellebecq sur la fin de la vie est empreinte d’humanité.
Pourtant, même Houellebecq ne voit pas de hautes terres ensoleillées pour la France. Pour lui, comme pour la plupart de ses compatriotes, Macron ne peut pas avouer assez tôt les échecs du leadership qui ont réduit la France à un tel déclin économique, social, politique et éducatif. Le pessimisme du plus grand écrivain du pays en dit long sur une nation en proie à la politique du désespoir culturel.
Le dernier testament de Houellebecq est son élégie d’adieu pour une France qui a perdu sa raison d’être. Sous Macron, les Français ont renversé le Cogito de Descartes, ergo sum. Maintenant, il devrait se lire : « Je ne pense plus, donc je ne suis plus ». [Iam non cogito, ergo non sum ?]