mardi 22 mai 2018

Rapport : les élèves passés par ECR connaissent mal les religions, mais sont tolérants envers les signes religieux

Au Québec, les élèves des cégeps ont peu de connaissances générales sur les différentes religions, mais ils se montrent tolérants à l’égard des signes religieux dans l’espace public. Il s’agit des élèves auquel le Monopole de l’Éducation du Québec a imposé le controversé programme d’éthique et de culture religieuse (ECR) pendant quasiment toute leur scolarité. Les résultats ne sont pas étonnants puisque le programme d’ECR n’est pas un programme « encyclopédique » (les faits ont en fait peu d’importance, voir ici), c’est l’attitude tolérante envers la diversité des religieux qui est valorisée. Attitude tolérante qui peut s’accompagner d’une certaine banalisation ou relativisation des religions : elles se valent toutes autant ou aussi peu.

Rappel (extrait) :

Pour Pierre Lucier, « un enseignement de type encyclopédique sur le contenu ou l’histoire des doctrines et des traditions religieuses » ne serait pas approprié, étant donné les « objectifs sociaux et visées éducatives du programme ». En fait, comme l’indique Georges Leroux, les connaissances ne font même pas partie du programme comme tel, elles sont au strict service des compétences : « Dans l’univers très riche des programmes formulés selon des compétences, nous ne travaillons pas à partir de contenus prédéterminés : les jeunes ne recevront pas dans ce programme des connaissances encyclopédiques sur telle ou telle religion, ou doctrine morale ». L’important dans le programme ÉCR, ce sont les « compétences » et les « visées éducatives ».

Quelles sont ces visées éducatives ? Selon le rapport Proulx (p. 90) qui a servi de base théorique à l’imposition de ce programme, il s’agit de développer « l’ouverture et la tolérance ».

Selon un rapport de recherche du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR), moins de la moitié des répondants (sur 991) a fourni des bonnes réponses aux questions sur l’islam et le judaïsme. Même pour le christianisme, les pourcentages de bonnes réponses étaient globalement faibles.

Pour 50 % des sondés, les actions terroristes sont principalement dues à des idéologies religieuses alors que plusieurs sont commises au nom d’idéologies non religieuses.

Selon les auteurs du rapport, il ressort encore que les étudiants ne connaissent pas les groupes extrémistes québécois et que leurs connaissances en matière de radicalisation sont minimes.

« On peut craindre que l’ignorance ne fasse le lit de la radicalisation tout en renforçant des orientations politiques inappropriées et contreproductives », ont affirmé les chercheurs. Ils recommandent de revoir les cours d’éthique et de culture religieuse, que les étudiants interrogés ont par ailleurs tous suivis lors de leur scolarité, afin de mieux outiller les jeunes dans la compréhension de la radicalisation et des idéologies religieuses.

Rétention de l’islam, effondrement du christianisme chez les jeunes ?
Le détail du rapport est instructif. Le tableau ci-dessous donne les caractéristiques de l’échantillon des élèves sondés comparées à celles de la population de la région métropolitaine montréalaise voisine des cégeps sondés, ainsi qu’à celles de la population Québec pour des classes d’âge similaires.




Pour les auteurs du rapport, la surreprésentation des individus « sans religion » dans l’échantillon des cégépiens sondés, pourrait être le résultat d’une série de facteurs. Les données de l’Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada pourraient poser problème ici, car ce sont les chefs de ménage qui répondent pour les autres membres du ménage aux questions de ce sondage national. En d’autres mots, ce sont souvent les parents des jeunes de 15 à 24 ans qui répondent à la question de l’affiliation religieuse de ceux-ci. Il se peut donc que les réponses des parents soient erronées quant à l’affiliation religieuse de leurs enfants (les parents supposent qu’ils sont catholiques par exemple), alors qu’on retrouve des taux beaucoup plus élevés de « sans religion » lorsqu’on pose la question « Quelle est votre religion, si vous en avez une ? » aux jeunes mêmes. Il se peut également que la juxtaposition des mots « religion » et « radicalisation » dans le titre du sondage, dans le but d’indiquer l’objet de l’étude aux répondants, ait poussé certains qui ont des attaches plus faibles avec la tradition religieuse à laquelle ils ou elles s’identifient à mettre de côté leur identité religieuse habituelle dans le contexte de ce sondage. Il se pourrait aussi que des individus qui sont généralement contre la religion, mais s’y intéressent pour mieux appuyer leurs positions et sentiments antireligieux aient répondu au sondage en plus grand nombre comparativement à leur poids sociodémographique dans la population générale. Notons cependant que les musulmans ne semblent pas affectés par cette divergence entre les chiffres de Statistiques Canada et ceux du sondage.

Très faible connaissance du christianisme, très faible connaissance de la part des athées et agnostiques

Les élèves de 17 à 24 ans sondés devaient répondre à quatre (4 !) questions de bases sur le christianisme et le catholicisme pour évaluer (très superficiellement) leurs connaissances du christianisme. Si 63 % des collégiens peuvent identifier l’énoncé sur l’eucharistie comme vrai, seuls 14 % peuvent identifier l’énoncé sur les quatre Évangiles comme faux (Paul n’est pas un des évangélistes, il manque Luc).


Les connaissances sur le judaïsme ou l’islam sont encore moins bonnes.

Un recoupement de ces résultats avec les profils des cégépiens permet d’établir que les hommes connaissent mieux, en moyenne, le christianisme et l’islam que les femmes. En deuxième lieu, comme on pouvait s’y attendre, les membres affiliés à une religion en connaissent plus sur cette dernière. Par exemple, les catholiques ont un score moyen de 0,204 point plus élevé sur l’échelle du christianisme que les athées et les agnostiques. Cette échelle de la connaissance religieuse va de 0 à 4, un point par bonne réponse. Les musulmans ont un score moyen de 0,840 point plus élevé sur l’échelle de l’islam que les athées et les agnostiques, et un résultat moyen de 0,527 point plus faible sur l’échelle du christianisme que les athées et les agnostiques.



Les répondants avec un niveau de religiosité plus élevé ont en moyenne plus de connaissance en ce qui concerne chacune des trois traditions religieuses : une augmentation d’un point sur l’échelle de religiosité est associée à une augmentation moyenne de 0,452 point sur l’échelle des connaissances du christianisme, de 0,203 point sur l’échelle des connaissances du judaïsme et de 0,112 point sur l’échelle des connaissances de l’islam.

Surestimation du poids (actuel) de l’islam et sous-estimation du christianisme

La conclusion principale qu’on peut tirer de ces résultats est que la vaste majorité des élèves surestime la présence des minorités religieuses musulmane et juive dans la province, peut-être en raison de la plus grande visibilité de ces minorités dans les médias ou parmi les jeunes que côtoient les cégépiens. À l’inverse, la plupart sous-estiment l’affiliation au christianisme peut-être à cause du silence de l’Église catholique depuis des décennies et du peu d’importance dans leur vie de jeunes souvent sans religion.

Comment lire le graphique 8 : 20 % des cégépiens ont estimé correctement la proportion de chrétiens au Québec (plus de 60 % de la population), 80 % des cégépiens ont sous-estimé ce poids.

Attitudes des élèves sortis de l’école québécoise envers les enjeux sociaux

Le sondage Connaissances et perceptions de la religion et du phénomène de la radicalisation chez les étudiants au collégial a également posé une série de questions aux répondants quant au niveau d’importance qu’ils accordent à certains enjeux de société, qui incluent la protection de l’environnement, la prévention et la lutte au terrorisme, le financement des services publics, l’intégration des immigrants, la croissance économique ainsi que les inégalités sociales.


Les résultats présentés au Graphique 9 indiquent qu’une majorité des répondants étudiants sont d’avis que tous ces enjeux sont importants ou très importants pour notre société. La protection de l’environnement et les inégalités sociales sont les deux enjeux qui ont reçu les plus grandes proportions de répondants indiquant que ces enjeux sont très importants (64 % et 62 % respectivement). La croissance économique est l’enjeu qui a reçu le taux le plus faible de répondants indiquant que cet enjeu est très important (25 %), et le taux le plus élevé de ceux qui disent que cet enjeu n’est pas très/pas du tout important (24 %).

Cela n’est pas une surprise étant donné les priorités instillées dès le plus jeune âge par l’école québécoise : l’immigration c’est bien par définition, la protection environnementale prend même dans des manuels d’ECR du primaire le pas sur le développement économique, voir analyse de trois manuels approuvés d’ECR. Ces manuels parleront du réchauffement climatique, oui, en ECR, des ours polaires qui mourraient anormalement de faim, il demandera à l’enfant conditionné « Explique comment ces actions contribuent à la santé de la planète », mais jamais les trois manuels analysés utilisés dans la même école ne parleront de notre développement, notre richesse, notre confort, etc. Il semble qu’il n’existe pas de responsabilité éthique à se développer dans ces trois manuels par exemple. Rappelons que l’Institut du Québec vient de publier un portrait de Montréal en comparaison avec d’autres grandes villes nord-américaines. On y trouve une mine incroyable d’informations sur l’état de Montréal, et notamment sur la position de Montréal par rapport à d’autres grandes villes. Au chapitre du niveau de vie, parmi les quinze grandes villes faisant l’objet de la comparaison, Montréal arrive dernière. Même quant au revenu disponible. Montréal est la plus pauvre. Cette année encore, comme l’an dernier.

Les immigrants s’intègreraient bien, le Québec ne devrait pas accueillir moins d’immigrants

Selon le rapport, 59 % de l’échantillon de cégépiens est tout à fait ou plutôt d’accord avec la déclation selon laquelle la très grande majorité des immigrants s’intègre bien à la société québécoise, et seulement 15 % pensent que le Québec devrait accueillir moins d’immigrants par année.


Certains effets sociodémographiques sont présents auprès des répondants qui sont plus méfiants envers l’immigration au Québec. Les répondants étudiants plus âgés (du groupe pourtant âgé de moins de 24 ans) sont plus enclins à avoir ces attitudes plus réservées envers l’immigration. Le rapport affirme que plus les cégépiens connaissent les religions, moins ils sont réservés envers l’immigration. Mais cette diminution est très petite, dix moins moindre qu’avoir un parent né hors Canada. Ces deux variables ne sont d’ailleurs pas nécessairement indépendantes (les musulmans, des immigrés, baignant dans une culture occidentale connaissent mieux les trois religions que les catholiques culturels). En outre, comme on pouvait s’y attendre, les élèves de première et de deuxième génération d’immigration ont généralement moins sujets à exprimer une telle méfiance envers l’immigration.

Pour le port de toutes formes de symboles religieux pour les employés de la fonction publique et contre une préférence de l’immigration chrétienne


Les résultats présentés dans le Graphique 12 nous indiquent que 47 % des cégépiens de l’échantillon sont tout à fait ou plutôt d’accord avec le port des symboles religieux par les employés de la fonction publique, 19 % sont indécis et 33 % sont plutôt ou tout à fait en désaccord. La vaste majorité des élèves (76 %) est plutôt ou tout à fait en désaccord que le Québec devrait accueillir moins d’immigrants de confession musulmane au profit de ceux et celles de cultures chrétiennes. Enfin, 47 % des cégépiens sont plutôt ou tout à fait en désaccord avec l’idée que les individus avec de fortes convictions religieuses tentent de les imposer aux autres, 23 % sont indécis quant à cet énoncé et 30 % sont plutôt ou tout à fait en accord.

La majorité des cégépiens de notre échantillon est également tout à fait ou plutôt d’accord avec l’idée que les enseignants et enseignantes devraient être autorisés à porter le hijab (67 %), une croix (74 %) ou la kippa (70 %) s’ils ou elles le souhaitent (voir Graphique 13).

Les résultats du graphique 14 (non illustré) indiquent, quant à eux, que la majorité des élèves serait à l’aise si un membre de leur famille avait un nouvel amoureuse ou amoureux musulman (72 %), chrétien (80 %) ou juif (73 %). Cela n’est pas étonnant pour des jeunes qui ne donnent guère d’importance à la religion, mais qui ont été instruits à être tolérants envers toutes les expressions de la religion (vue comme un ensemble indistinct, voir le peu de différence de traitement entre la croix, le hijab et la kippa dans un pays pourtant historiquement catholique).