En octobre, 1 940 bébés sont nés chaque jour — en moyenne — sur le territoire français. Ce sont les chiffres les plus bas ayant été observés depuis 1993.
C’est un coup dur pour la démographie en France. Comme le rapporte La Croix, lundi 5 décembre, la natalité est en chute libre dans l’Hexagone, à l’exception des zones rurales.
D’après l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), 1 940 bébés sont nés chaque jour en France — en moyenne — en octobre dernier. Autrement dit, il s’agit des chiffres les plus bas ayant été observés depuis 1993. Dans le même temps, cette étude nous apprend que la « géographie des naissances se modifie considérablement », selon le démographe Gérard-François Dumont, dont les propos sont cités par le quotidien.
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Un projet d’enfants renvoyé « à des jours meilleurs » ?
Cette baisse globale de la natalité est importante. Selon les chiffres obtenus par l’Insee, le nombre de naissances quotidiennes pour le mois d’octobre 2022 est 10 % plus faible que celui observé en octobre 2021, poursuit La Croix. Aussi, ce même chiffre est 6 % plus faible que celui d’octobre 2020, période à laquelle l’évolution des naissances n’avait pas encore été affectée par la crise sanitaire.
Selon Didier Breton, démographe de l’Institut national d’études démographiques (Ined), il s’agirait du creux le plus notable depuis ceux identifiés en 1975 et 1993. « Deux dates lors desquelles la France subissait des crises économiques majeures », a rappelé le spécialiste dont les propos sont cités par le même média. Lui estime que ce nouveau décrochage correspond à une baisse des conceptions en janvier 2022. Autrement dit, une période à laquelle le variant Omicron faisait la une des médias, tandis que la France avait connu — quelques mois avant – une saison estivale caniculaire. Et de conclure : « Dans un monde très incertain, des parents ont pu décider de remettre leur projet d’enfant à des jours meilleurs. »
Fin janvier 2022, Aleteia avait publié un article dans lequel il était indiqué que l’année 2021 avait enregistré une hausse de la fécondité et un rebond des mariages, selon une étude de l’Insee parue peu avant. Fin 2021, les naissances avaient ainsi atteint le chiffre de 738 000 ; c’est-à-dire 3 000 naissances supplémentaires que l’année 2020.
La natalité française longtemps vantée
La natalité française, longtemps vantée comme l’un des atouts du pays, serait-elle en passe de devenir un de ses problèmes ? Selon les derniers chiffres communiqués par l’Insee, entre mai 2020 et mai 2021, le nombre de naissances a connu une baisse de 2 %, après d’autres baisses depuis le début de l’année. Bien sûr, l’angoisse née de la pandémie de Covid-19 avec sa spirale confinement-déconfinement-reconfinement explique cette retenue. Mais la tendance est en fait plus durable. Depuis 2010, le nombre de naissances va en diminuant, passant de plus de 800 000 il y a onze ans à moins de 700 000 l’an dernier selon les chiffres de l’Institut national d’études démographiques (Ined), soit une baisse de 13 %, tandis que le taux de fécondité passait, lui, de 2,03 enfants par femme, très proche du seuil de renouvellement des générations (2,05 enfants par femme pour compenser le fait qu’il naît 105 garçons pour 100 filles), à 1,84 en 2020.
La France a pourtant longtemps échappé à ce fléau de la natalité en berne. La politique familiale tricolore, créée au lendemain de la Première Guerre mondiale pour combler le coût humain des tranchées, s’est révélée redoutablement efficace pour maintenir les naissances à un niveau élevé. Les « suppléments salariaux », versés dans un premier temps par l’État et quelques entreprises généreuses, furent généralisés par la loi du 11 mars 1932, puis encore élargis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec la création de la Sécurité sociale et des caisses d’allocations familiales. Considérée comme l’une des plus généreuses d’Europe au début des années 1950, la politique familiale a ainsi permis de maintenir le taux de fécondité à près de trois enfants par femme.
La baisse de la natalité fragilise l’État-providence qui repose sur la solidarité nationale
La fin du baby-boom, au milieu des années 1960, a marqué un premier coup d’arrêt : sous l’effet de la libération des mœurs portée par Mai-68, de la banalisation du divorce et de la démocratisation de la contraception — jusqu’à la loi Neuwirth de 1967, elle était interdite en France — dans un premier temps, puis des deux chocs pétroliers, la natalité est rapidement tombée à moins de deux enfants par femme à la fin des années 1970. Après avoir connu un léger regain entre le milieu des années 1990 et 2014, jusqu’à s’approcher du seuil de renouvellement de la population, le taux de fécondité est reparti à la baisse.
S’il est difficile de dégager une explication claire, les crises économiques et financières successives depuis 2008 ne sont certainement pas innocentes, tout comme les coupes franches décidées par François Hollande, pour qui la politique familiale était davantage un outil de lutte contre la pauvreté qu’un moyen de favoriser les naissances.
Baisse de la natalité, effets pervers sur l’économie comme la société
Le problème, c’est que la baisse de la natalité induit de nombreux effets pervers, dans l’économie comme dans la société. Comme le rappelait François Bayrou dans une note du Haut-Commissariat au Plan il y a quelques semaines, le « modèle social français » repose pour beaucoup sur le principe de la solidarité nationale : les retraites sont payées grâce aux cotisations et impôts de ceux qui travaillent, tout comme l’éducation, la santé ou les indemnités chômage. Quand la population en âge de travailler diminue tandis que le nombre de seniors augmente, c’est tout le système qui se fragilise : un nombre plus faible d’actifs doit supporter financièrement un nombre plus important d’inactifs, jusqu’à rendre la charge insupportable pour les premiers. En 1950, la France comptait quatre cotisants pour un retraité. Ce ratio est désormais de 1,7 pour un, et menace de descendre à 1,2 pour un d’ici à 2050. « On peut comprendre que les générations nouvelles aient le sentiment qu’elles vont devoir porter le poids de choix dont elles n’ont pas eu la responsabilité. […] Le risque d’une incompréhension entre les générations, déjà à l’œuvre avant la crise, existe », résume François Bayrou dans son rapport.
L’immigration, fausse solution
Pour compenser la baisse du nombre d’actifs, la solution généralement envisagée est le recours à l’immigration. En Allemagne, où un million de travailleurs manquent à l’appel du fait d’une natalité faible — le taux de fécondité y était de 1,54 enfant par femme avant la crise sanitaire —, l’État a adopté fin 2019, sous la pression des patrons, une loi sur l’immigration visant à faire venir de l’étranger la main-d’œuvre nécessaire pour compenser la pénurie. Sauf que, si les mathématiques s’y retrouvent, il est clair aujourd’hui qu’un tel afflux de population étrangère est source de conflictualités. « Si cela se produisait en France, étant donné la situation psychologique du pays et les tensions, je pense que ça ferait des dégâts considérables qui produiraient du déséquilibre et le déséquilibre produit de la dénatalité, c’est-à-dire le contraire de l’objectif », commentait François Bayrou lors d’une audition devant les sénateurs, le 20 mai dernier. De fait, en France, la défiance envers l’immigration est déjà très élevée, comme le montrent les études menées régulièrement par l’IFOP sur la question : entre 2006 et 2020, la part de Français estimant qu’« on en fait plus pour les immigrés que pour les Français » est passée de 40 à 64 % ; et entre 2006 et 2020, la part de ceux qui considèrent que « l’immigration est une chance pour la France » a baissé de 49 % en 2007 à 37 % en 2020.
Au-delà de ces enjeux économiques et sociaux, la baisse de la natalité est étroitement liée à notre vision de l’avenir de la société. Les écologistes les plus radicaux, pour qui la planète court à sa perte, considèrent que le simple fait de donner naissance à de nouveaux êtres humains est criminel, autant pour eux que pour la planète. Réunis derrière l’acronyme Gink (pour « green inclination, no kids », en français « j’ai un penchant écologiste, je ne veux pas d’enfants »), ils rappellent régulièrement que la solution la plus radicale pour diminuer l’empreinte carbone de l’humanité consiste à réduire sa descendance. En 2017, la revue scientifique Environmental Research Letters évaluait ainsi qu’un enfant de moins permettait de diminuer son empreinte carbone de 58,6 tonnes de CO2 par an. L’étude, qui bien sûr ne prenait pas la peine de s’interroger sur l’évolution des progrès techniques, des modes de consommation ou les conséquences économiques et sociales de la disparition des enfants, avait déclenché un tollé, mais n’en soulignait pas moins en creux l’existence de cet état d’esprit mortifère.
Le désir d’enfant toujours bien présent
Si certains ne veulent pas d’enfants par peur de l’avenir, cette natalité anémique contribue précisément à rendre cet avenir inquiétant. Les enfants incarnent la relation des individus à leur propre futur : en transmettant leurs valeurs, en éduquant leurs enfants, les parents — et les grands-parents — créent un lien concret avec le futur. Le monde de demain, ce n’est plus seulement celui auquel seront confrontées d’hypothétiques « générations futures », mais celui dans lequel notre propre descendance devra vivre. Or la diminution du nombre d’enfants atténue progressivement ce lien avec le futur. Comme l’explique l’intellectuel conservateur américain Ross Douthat dans son livre The Decadent Society, « c’est à travers nos enfants, la chair de notre chair, que nous pouvons entrevoir le futur. Mais dans un monde avec moins d’enfants et encore moins de petits-enfants, il devient bien plus difficile d’apercevoir ce futur ». C’est ce que décrit également l’auteur britannique P. D. James dans les Fils de l’homme, paru en 1992 — et brillamment adapté au cinéma par Alfonso Cuarón en 2006. James imagine l’Angleterre de 2021, où plus aucun bébé n’est né depuis vingt-cinq ans. Elle décrit un monde où la société s’enfonce progressivement dans le désespoir, où les plus jeunes font régner la terreur et où l’idée même de « faire société » s’effondre progressivement, chacun se laissant engourdir dans son petit confort personnel tandis que la civilisation disparaît. Dystopie oblige, le trait est forcé à l’extrême, mais certains éléments développés, tels le fossé entre jeunes et seniors ou encore le désintérêt généralisé pour les institutions, résonnent étrangement avec l’actualité.
Faut-il donc se résigner à voir la population française sombrer dans le déclinisme ? Paradoxalement, alors même que la fécondité baisse, le désir d’enfant reste, lui, élevé : selon une étude menée fin 2020 par l’institut Kantar pour l’Union nationale des associations familiales, le nombre moyen d’enfants souhaités atteint encore 2,39. S’il y a moins d’enfants, ce n’est donc pas par manque d’envie, mais bien parce que les désirs ne se concrétisent pas, accroissant au passage d’autant la frustration des familles. En Occident, un seul pays échappe à la baisse de la natalité généralisée : Israël, où le taux de fécondité, qui se situait autour de 2,7 enfants par femme au début des années 1990, a régulièrement progressé depuis et atteint désormais 3,09 enfants par femme.
En 2018, la presse relevait que de nombreux dirigeants européens n’avaient pas d’enfants. Comme un signe de l’incapacité de ces hommes et femmes à saisir les enjeux liés à la natalité.
Deux facteurs au moins expliquent cela. D’une part, l’identité forte du pays, une nation juive entourée de pays musulmans hostiles à son égard ; et d’autre part le caractère fortement religieux de la société, qui traditionnellement tire la natalité vers le haut. Comme l’expliquait dès 1977 Raymond Ruyer dans les Cent Prochains Siècles, les peuples religieux finissent toujours par prendre le dessus sur les peuples « émancipés ». Ce n’est pas pour rien si, dans les Fils de l’homme, le groupe qui se rebelle contre l’autorité se fait appeler les « poissons » en référence aux premiers chrétiens, se réunit dans une église désaffectée, autour d’un prêtre, et finit par donner naissance à un enfant, qui sera baptisé par le héros.
Plus concrètement, l’étude des différents taux de fécondité en Europe fait ressortir une tendance forte : les pays du nord du continent, France, Danemark, Suède entre autres, affichent des taux de fécondité largement supérieurs à ceux de l’Europe du Sud, Italie, Espagne et Grèce notamment. Pour Gilles Pison, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et chercheur associé à l’Ined, cela s’explique par un soutien bien plus important aux familles : « Dans le Nord, les prestations familiales atteignent en moyenne 3,5 % du PIB, contre 1,5 % dans le Sud. Les congés parentaux sont mieux rémunérés, l’offre de garde d’enfant est plus développée. » Pourtant, dans ces pays, la politique familiale ne vise pas à encourager les naissances, mais plutôt à inciter les femmes à travailler. « On a longtemps considéré que, pour avoir plus d’enfants, il fallait que les femmes restent à la maison. Aujourd’hui, on constate que c’est l’exact inverse, résume Gilles Pison. Pour maintenir leur niveau de vie, les foyers ont souvent besoin de deux sources de revenus. Dans les pays où les aides aux jeunes mères sont réduites, les femmes doivent souvent reporter leur désir d’enfant, voire y renoncer entièrement. »
Dirigeants européens sans enfants
Mais nos dirigeants peuvent-ils seulement comprendre cette question ? En 2018, la presse relevait que de nombreux dirigeants européens, d’Angela Merkel à Theresa May, en passant par Emmanuel Macron, le Premier ministre italien Paolo Gentiloni ou encore le président de la Commission européenne, Jean-Claude Junker, n’avaient pas d’enfants. Comme un signe de l’incapacité de ces hommes et femmes à saisir les enjeux liés à la natalité.