dimanche 25 février 2018

Québec — Éducation à la sexualité (uniformisée) — Revue de presse commentée.

Après avoir été abolie il y a plus de 15 ans en tant que matière autonome obligatoire, l’éducation à la sexualité sera de retour dans toutes les écoles du Québec et à tous les niveaux du préscolaire, primaire et secondaire, dès l’automne prochain.

Québec veut imposer (« offrir » dans la novlangue du ministère) un programme formaté et uniformisé d’éducation à la sexualité. Rappelons cependant que les écoles donnent déjà des cours de ce type, mais pas en tant que matière autonome au programme : son contenu et la pédagogie adoptée peuvent être très variables d'une école à l'autre.

Revue de presse commentée sur l'imposition de ce nouveau programme gouvernemental.

L’opposition à Québec a dénoncé mercredi les retards « inadmissibles » et le « cafouillage » du ministère de l’Éducation dans la préparation du programme d’éducation à la sexualité.

« J’ai peur que des gens deviennent contre le programme d’éducation à la sexualité, et ce n’est pas ce qu’on souhaite », s’inquiète Jean-François Roberge de la Coalition avenir Québec (CAQ). Jean-François Roberge est un ancien instituteur du primaire, il est un fervent partisan de l’imposition du controversé programme gouvernemental d’Éthique et de culture religieuse. Il y a quelques années, il s’est levé en congrès de la CAQ pour défendre cette créature, il fut à l’époque fut mis en minorité par les militants de la CAQ. Il est également un partisan d’une plus grande surveillance étatique vis-à-vis des enfants instruits à la maison. Il y aurait, selon lui, « un manque d’encadrement pour les jeunes qui font l’école à la maison » (J.-F. Roberge, 7/XII/2016). Bref, un étatiste moderne bon teint.

Le Journal de Québec publiait mercredi que les enseignants ne se sentent pas prêts à parler de sexualité en classe, alors que dans six mois, l’implantation de ce programme sera obligatoire dans toutes les écoles du Québec.

« Parler d’agression sexuelle à des enfants de première année... Si je devais faire ça demain matin, je passerais des nuits blanches », illustre Nathalie Morel de la Fédération autonome de l’enseignement, qui représente plus de 34 000 professeurs.

Le Journal constatait notamment que les canevas pédagogiques fournis par le ministère sont incomplets, même si un projet pilote est en marche depuis deux ans.

« C’est inadmissible », s’exclame Carole Poirier du Parti québécois (PQ).

Les enseignants dénonçaient aussi le flou entourant la façon dont ils seront formés par l’État.

« Si seulement on avait formé les enseignants graduellement au cours des 18 derniers mois, on n’en serait pas là », dit M. Roberge, qui parle de « cafouillage ».

Le ministre Sébastien Proulx s’est dit convaincu mercredi que les enseignants seront prêts à temps et que les écoles n’auront besoin de forcer aucun prof pour ce programme. « Moi, je pense qu’on aura assez de gens disponibles. »

Les directeurs d’école sont toutefois sceptiques et veulent savoir ce qu’ils devront faire, advenant qu’il n’y ait aucun professeur volontaire dans leur école, explique Lorraine Normand-Charbonneau, de la Fédération québécoise des directions d’établissements d’enseignement (FQDE).

Elle estime que pour une école secondaire de 800 élèves, le programme d’éducation à la sexualité demanderait l’équivalent de 1,2 professeur à temps complet.

Malgré tout, ni les partis de l’opposition ni la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) ne croient qu’il est nécessaire d’interroger sur l’imposition d’un programme gouvernemental uniforme ni de repousser l’entrée en vigueur du programme.

Des thèmes (sensibles) sont absents et aucun canevas n’a été transmis pour les élèves de quatrième et sixième année du primaire ni pour ceux de cinquième secondaire.

Les enseignants ignorent quand et de quelle façon ils seront formés pour parler de sexualité. Seront-ils libérés ? Et si c’est le cas, qui les remplacera pendant qu’ils s’absenteront pour recevoir la formation, considérant que les écoles vivent déjà une pénurie de profs, ont soulevé les syndicats.

« Ceux qui donneront cet enseignement sont censés être volontaires. Mais qu’est-ce qu’on fait si, dans une école, il n’y a aucun volontaire ? » se demande Josée Scalabrini de la Fédération des syndicats de l’enseignement, dont font partie plus de 65 000 professeurs. Qui seront les volontaires, les plus militants sur le plan de la sexualité ?

Il est donc probable que des profs soient forcés de l’enseigner même s’ils ne se sentent pas à l’aise de parler de sexualité, dit Mme Morel.

Militants dénoncent l’absence de sujet sur les transgenres

Des sexologues et intervenants militants déplorent que l’avortement et la réalité des transgenres, deux sujets délicats, ne soient toujours pas au programme d’éducation sexuelle pour les élèves du secondaire.

L’avortement n’apparaît nulle part dans les canevas pédagogiques qui ont été transmis au Journal de Québec. En revanche, la plupart des moyens de contraception sont abordés, y compris la pilule du lendemain.

La réalité des personnes transgenres est également absente des canevas du programme pour les élèves du secondaire.

« C’est vraiment un manque », déplore Valérie Boyer, militante et intervenante à l’organisme Le Néo, qui donne déjà des ateliers dans les écoles de Lanaudière. Car, comme on l’a dit en début de ce billet, l’information sur la sexualité peut déjà être donnée, mais pour l’instant elle n’est pas imposée uniformément d’en haut. Il s’agit d’un sujet sur lequel les adolescents posent beaucoup de questions, les personnes transgenres étant de plus en plus visibles dans notre société, note-t-elle. [Voir le professeur psychologue-clinicien Jordan Peterson, Debrah Soh et l’augmentation des jeunes « trans » (une épidémie d’autodiagnostic chez les jeunes) et Angleterre — Au moindre soupçon, des écoles considèrent les élèves comme transgenres (et les envoient à la clinique de dysphorie du genre, statistique)]. On peut se demander si l’école moderne « adaptée aux transgenres » dès le primaire ne participe pas cette « épidémie ».

« Qu’est-ce qu’une personne trans ? Pourquoi certaines personnes le sont-elles ? Est-ce que l’on change d’orientation sexuelle quand on [change de sexe] ? » énumère l’intervenant militant Gabriel Amyot.

L’identité sexuelle, dicterait si une personne se sent homme ou femme la fluidité peut-être totale pour certains militants LGBTQ2SSAI+, cette identification variant souvent pour une même personne au cours de sa vie, ne devrait pas être confondue avec l’orientation sexuelle, qui dicterait plutôt envers qui une personne est attirée selon Gabriel Amyot. Notons qu’il n’est justement pas du tout clair que les deux notions soient orthogonales, indépendantes l’une de l’autre contrairement à ce qu’affirme Gabriel Amyot.

Dans le programme du ministère, l’identité sexuelle est pourtant abordée dès le primaire, mais le contenu ne semble pas avoir encore été élaboré. La lutte contre les « stéréotypes » (de l’idéologie donc...) y a bonne place dès le primaire. En quoi est-ce la responsabilité de l’État de lutter contre les « stéréotypes » (les filles sont délicates, préfèrent les métiers de relations humaines, les garçons les métiers de choses, d’ingénieur, d’informaticien, etc.) ? En vertu de quoi a-t-il le droit de lutter contre cette répartition traditionnelle, de vouloir en changer, d’imposer un ordre du jour souvent féministe militant ? 

Voici les « intervenants » payés par le contribuable. L’organisme Ensemble pour le respect de la diversité organise aussi des ateliers sur la « diversité sexuelle » et la lutte contre les « stéréotypes » genrés et l’« homophobie » à la fin du primaire.

Richard Martineau et le manque de nuance...

Citons le chroniqueur-vedette du Journal de Montréal :

« Quoi, vous allez parler d’homo­sexualité, de masturbation, de relations sexuelles entre mineurs et de sexe hors mariage ? [Martineau oublie : le transgenre, l’avortement [déjà vu en ECR] et la lutte contre les stéréotypes trop traditionnels. Il omet aussi de parler de l’âge des enfants quand ces sujets sont abordés et de la manière de présenter ces sujets.] Ça va à l’encontre des valeurs que j’enseigne à mon enfant. Je demande — non, j’exige qu’il soit dispensé de suivre ce cours ! »

Ils vont faire quoi, les profs ? Ils vont se battre contre les parents ?

Non : ils vont abdiquer.

Si on a accepté qu’une jeune musulmane porte des écouteurs sur les oreilles pour ne pas entendre de musique dans son cours de musique, sous prétexte que ça allait à l’encontre de sa religion, on va permettre aux croyants de « protéger » leurs enfants en les retirant de ce cours.

N’importe quoi pour acheter la paix.

Regardez ce qui se passe en Ontario­­­. Le cours d’éducation sexuelle y est obligatoire, mais des dizaines d’élèves ne le suivent pas, car leurs parents ont obtenu une exemption pour raison religieuse.

Vous pensez que le ministre de l’Éducation va se tenir debout et défendre nos valeurs ?

Depuis quand « nos » valeurs s’opposent-elles à la décence conservatrice ou à la religion chrétienne ? Décence qui peuvent parfaitement s'opposer à ce qu'on parle de certains sujets délicats à un certain âge et d'une certaine manière. Richard Martineau devrait parler en son nom.

L’amalgame chic : toutes les religions, tous les conservatismes dans le même sac

Mais on l’aura compris c’est l’amalgame chic et laïc : beaucoup de gens craignent l’islam, on leur fait croire que toutes les religions sont néfastes comme l’islam et qu’il ne faut « donc » plus faire de place pour le pudeur ou la moralité traditionnelle d’inspiration chrétienne.

Il s’agit de la même stratégie adaptée par d’aucuns pour limiter l’ouverture des écoles hors contrat en France. On prend comme exemple une unique école islamique (alors qu’il existe des centaines d’écoles hors contrat dont seulement 20 % sont d’ailleurs confessionnelles et alors dans leur immense majorité catholique) pour restreindre la liberté de tous les parents qui ne rentrent pas dans les clous, le passage zébré, prévu par les bureaucrates. C’est ainsi que le sénateur socialiste français David Assouline expliquait son soutien aux nouvelles entraves proposées pour freiner l’ouverture d’écoles libres : « Notre timidité à cet égard fait le lit des fondamentalismes issus de toutes les religions, qui régulièrement s’unissent pour mener des combats contre le progrès, comme lors des manifestations contre le mariage pour tous »…

Bref, ceux qui s’opposent à l’imposition des « valeurs » sexuelles « modernes » sont tous d’affreux fondamentalistes religieux et on sait à quoi cela mène (Daech !), pour éviter cela il faut faire fi de l’avis et des droits éducatifs des parents conservateurs (chrétiens ou non) qui peuvent penser que l’on peut aborder ces sujets de manières différentes, moins désinvoltes et moins précoces, et qu’il revient légitimement aux parents et aux professeurs qu’ils choisissent de décider de cela et qu’il n’est pas acceptable de se voir imposer une moralité sexualité par des bureaucrates soutenus par des chroniqueurs peu nuancés (la femme de Martineau est dans le même registre caricatural quand elle parle d’éducation à la sexualité).

En 1992, l’idée de dispenser des élèves du programme d’éducation à la sexualité avait été acceptée par le ministre de l’époque, aujourd’hui le raidissement semble complet, plus aucune dispense.
On ne peut qu’être frappé par ce raidissement des anciens progressistes qui tant qu’ils étaient minoritaires prônaient la diversité d’opinion et la tolérance. C’est l’étrange paradoxe de cette société « diversitaire » : plus elle devient ethniquement et religieusement diverse par le fait de politiques d’immigration délibérées soutenues par les progressistes, plus ces progressistes cherchent à étouffer la liberté des parents de souche afin d’assurer le « vivre ensemble » de cette « riche courtepointe » qu’elle a créée à force de larges contingents annuels d’immigrants provenant des quatre coins du monde.

Les mêmes progressistes demandaient naguère que le gouvernement ne se mêlât pas de ce qui se passait dans les chambres à coucher. Aujourd’hui aux manettes de l’Éducation obligatoire, ils utilisent ce même gouvernement pour inculquer aux enfants des autres non plus des faits biologiques et médicaux sur la sexualité, mais comment il faut concevoir celle-ci en luttant contre les « stéréotypes de genre », l’hétérosexisme, la transphobie, l’homophobie, etc.

Voir aussi

L’État québécois impose son programme d’éducation à la sexualité, car les écoles ne l’ont pas adopté volontairement

Priorité éducative du Québec (du moment) : Urgence : « Adapter l’école aux écoliers transgenres »
Tyrannie du « genre » : école annule la traditionnelle danse père-fille

Angleterre — Au moindre soupçon, des écoles considèrent les élèves comme transgenres (et les envoient à la clinique de dysphorie du genre, statistique)

Multiculturalisme (et LGBTQ) à l’école : ateliers « offerts » sur l’inclusion et la diversité


Jordan Peterson sur Trudeau et son « peoplekind », les danses père-fille annulées et les transgenres.

Dérapage en ECR (avortement) : enfant prône élimination des trisomiques, devant le frère d’un tel enfant, silence complice de l’enseignant

Rémi Brague : ne pas renvoyer dos à dos [violence dans l’] islam et [et dans le] christianismehttp://www.pouruneécolelibre.com/2015/08/quebec-education-sexuelle-dispense-en.html

Québec — éducation sexuelle : dispense en 1992, aucune exemption en 2015.

France — La Fondation pour l'école salue certains amendements sénatoriaux de la Loi sur les écoles hors contrat

Communiqué du 23 février 2018 sur la proposition de loi Gatel sur l'encadrement des écoles privées sans contrat adoptée au sénat

Ce mercredi 21 février 2018, la proposition de loi Gatel, numéro 589, qui vise à « encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat » a été adoptée au Sénat par 240 voix pour et 94 voix contre.

Suite aux différentes consultations, la Sénatrice Gatel a proposé elle-même des amendements à sa propre proposition de loi, qui ont été adoptés en séance publique. Ainsi amendée, cette proposition de loi est plus respectueuse de la liberté d'enseignement. Telle qu'adoptée au Sénat, la proposition de loi Gatel présente un équilibre assez acceptable, si l'objectif est bien de clarifier et simplifier le cadre juridique relatif à ce type d'école [et non de lutter contre des pédagogies non musulmanes que certains législateurs n'aiment pas, voir l'article de Causeur et l'affirmation confondante du sénateur socialiste David Assouline qui visait les écoles catholiques ou l'orientation idéologique (féministe laïcarde) de l'intervenante qui a déclaré au ministre Blanquer qu'ouvrir une école hors contrat était aussi facile que d'ouvrir un kébab, lequel Ministre approuva cette description caricaturale.]


1- Un régime qui serait plutôt clarifié, si la loi est adoptée dans les mêmes termes par l'Assemblée [ce qui reste encore à faire après son adoption par le Sénat], avec :

— la création d’un « guichet unique » au niveau du Rectorat, qui centraliserait la déclaration et la transmettrait « au maire de la commune dans laquelle l’établissement est situé, au représentant de l’État dans le département et au procureur de la République ». Cela limiterait à un seul interlocuteur l’ensemble des démarches.
— La limitation des pièces du dossier à fournir, lesquelles seraient inscrites dans la loi et non plus déterminées par décret, comme cela était prévu dans la première mouture du texte.
—  La clarification des délais d’opposition, certes allongés à trois mois, mais dont le déclenchement est clarifié.
—  La réaffirmation de la liberté pédagogique, alors que le projet initial comportait de forts risques d'entraves administratives dans ce domaine qui est au cœur de la capacité d'innovation des classes privées sans contrat.

2- Ce texte comporte néanmoins des dispositions au sens peu défini, source d'insécurité juridique, et dont le juge donnera l'interprétation. Ainsi, l'administration doit vérifier si une école est bien "un établissement scolaire", sans que la définition en soit donnée. Il y a là une source d'arbitraire.

3- La proposition de loi adoptée le 22 février comporte aussi des archaïsmes regrettables dans le régime d’ouverture et de contrôle prévu par la proposition de loi.

Ainsi, un Américain ou demain un Britannique, par exemple, ne pourraient toujours pas enseigner ou diriger un établissement sans contrat en France (sauf à obtenir une dérogation administrative, qui est loin d'être accordée automatiquement) : en effet, seuls les ressortissants d’un pays de l’Union européenne ou de l'AELE le pourraient. À l'heure où les écoles internationales se multiplient et où l'on recrute les talents au niveau mondial, cette restriction ne peut que laisser perplexe.

De plus, la proposition de loi impose aux écoles sans contrat un recrutement endogène puisque seule une personne issue du monde de l'enseignement a le droit de créer un établissement scolaire. En effet, la loi exige 5 ans comme enseignant ou surveillant dans un établissement d'enseignement pour pouvoir fonder une école.

C'est condamner des profils issus de la société civile. Un Xavier Niel [richissime entrepreneur français dans le monde de l'Internet], créateur d'école 42 dans le supérieur, n'aurait donc pas le droit d'ouvrir un lycée ! Ces dispositions sont en décalage avec les besoins de l'innovation.

De même, la proposition de loi exige des enseignants, même en primaire, une licence. C'est sans doute une manière de reconnaître que la licence aujourd'hui équivaut à peine au baccalauréat d'antan, mais c'est là encore une rigidité sans utilité : ce n'est pas parce qu'un enseignant est titulaire d'une licence qu'il saura bien apprendre à lire, écrire et compter à des enfants de CP.  

[Cette exigence existe aussi au Québec, le Québec est encore plus restrictif : les enseignants doivent normalement avoir des diplômes en enseignement (ceux dont les candidats réussissent si bien en français...)]

Les amendements adoptés sont consultables sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/enseance/2016-2017/589/liste_discussion.html
Le texte définitif du Sénat est consultable sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/leg/tas17-068.html

France — Les écoles hors contrat, coupables de mieux réussir que l’Etat ?

« Les écoles hors contrat, coupables de mieux réussir que l’État ? » C’est la question que soulève le magazine Causeur dans un article publié alors que la proposition de loi 589 visant à restreindre la liberté d’ouvrir les écoles sans contrat a été adoptée plus tôt cette semaine par le Sénat.

Le Sénat veut punir le bon élève de l’école française

Par Jean Thomas Lesueur — 21 février 2018

Une proposition de loi, discutée aujourd’hui et demain au Sénat, veut « simplifier [!!!] et renforcer l’encadrement » des écoles hors contrat. Sous prétexte de lutter contre l’islamisme, des parlementaires comptent menotter un enseignement dont la réussite fait de l’ombre au système public.

Tous les matins, 6,8 millions d’élèves rejoignent les bancs du premier degré. Parmi ces enfants, environ 40 000 suivent l’enseignement de ce que l’État appelle les écoles « hors contrat », terme à la fois imprécis et réducteur pour rendre compte d’une réalité multiple.

Les écoles hors contrat, c’est beaucoup plus que ça

Imprécis, car il est faux de dire que ces écoles n’ont aucun devoir, aucune responsabilité envers la collectivité publique : les lois Goblet du 30 octobre 1886, Falloux du 15 mars 1850 et Astier du 25 juillet 1919 régissent ainsi l’ouverture de ces écoles. Rappelons également que 73 % des établissements hors contrat ouverts à la rentrée 2017 auront été contrôlés d’ici juin.

Réducteur, car il ne saisit pas des réalités diverses : parmi ces écoles, certaines encouragent des formes de pédagogie innovantes (comme les écoles Montessori), d’autres ont pour ambition de venir en aide aux enfants les plus défavorisés (comme les écoles Espérance Banlieues), d’autres, enfin, ont vocation à enseigner dans un cadre confessionnel (20 % seulement des écoles hors contrat, contrairement à ce que pourraient croire les laïcs les plus vigilants)… Plutôt que des écoles hors contrat, on pourrait donc les appeler des écoles « de la société civile », chacune manifestant l’engagement d’enseignants, de responsables et de parents en faveur du bien commun des générations futures.

École hors contrat Montessori bilangue en Haute-Savoie, février 2016

Si certains passent à côté de cette mosaïque éducative, tous se rejoignent sur trois constats. Le premier, le plus connu sans doute, est la dynamique exceptionnelle de l’école libre : ces huit dernières années, les effectifs du privé hors contrat ont plus que doublé dans le premier degré. Ce plébiscite des parents se manifeste symétriquement par la désaffection de plus en plus manifeste pour l’enseignement public. Alors même que l’école publique attire chaque année moins d’élèves, le hors contrat croît en moyenne de 15 % chaque année. Mieux : sur les 22 académies où l’enseignement public est en baisse en 2017, 14 voient les effectifs du privé hors contrat augmenter. Le privé hors contrat est ce que l’on pourrait appeler le bon élève du système éducatif français.

Les écoles hors contrat, l’arbre qui montre la forêt

Alors que la rue de Grenelle ne cesse de financer des classes de préscolarisation (en l’occurrence, des enseignements pour les enfants de deux ans) pour un résultat médiocre (-3 % d’élèves en REP+ [éducation prioritaire renforcée] – et -1,7 % en REP [éducation prioritaire] cette année), le hors contrat agit et remplit les objectifs du ministre Jean-Michel Blanquer : +16,1 % en REP et REP+ à la rentrée 2017. Quand on sait que les classements internationaux insistent justement sur la nécessité de la préscolarisation pour lutter contre les inégalités scolaires, il faut se réjouir de la présence d’écoles hors contrat sur les territoires populaires et dans les communes difficiles. Enfin, les initiatives liées au hors contrat, tant dans le premier degré qu’ensuite, tendent à se professionnaliser : l’école 42 de Xavier Niel en est un exemple, comme le lycée pilote ouvert par Acadomia à Nice ou les onze écoles du réseau Espérance Banlieues dont la vocation est d’aider les enfants des quartiers défavorisés.

Vitalité, engagement, professionnalisation : trois termes qui décrivent concrètement la vocation des écoles hors contrat. Dans ce contexte, la proposition de loi « visant à simplifier [note du carnet : terme orwellien ici] et mieux encadrer » le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat, déposée au Sénat en juin 2017 et discutée aujourd’hui et demain (21 et 22 février), pose problème. Annick Billon, rapporteur de cette proposition, prévoit en effet de lutter contre « des phénomènes de radicalisation religieuse, de sectarisme, d’amateurisme ou d’insuffisance pédagogique », prenant l’exemple de la fermeture de l’école islamique Al-Badr à Toulouse. Que des écoles soient gangrenées, en France, par le fondamentalisme musulman, c’est sans doute le cas. [Les djihadistes français sont massivement passés par l’école publique... Où se trouverait cette gangrène...?] Que certaines insuffisances pédagogiques puissent être constatées dans nos écoles, cela n’étonnera pas les anciens élèves que nous sommes. Mais en quoi consiste cette proposition de loi ? Trois articles la composent : le premier impose l’allongement des délais d’opposition du maire et des services de l’État lors de la constitution d’une nouvelle école ; le second oblige un contrôle régulier, tous les cinq ans, des établissements ; et le troisième exige un niveau pédagogique minimum pour chaque chef d’établissement. En somme, le Sénat souhaite combattre les dérives fondamentalistes et l’endoctrinement idéologique à coup d’allongements administratifs. La belle affaire !

Le Sénat se trompe de combat

Ajouter de nouvelles réglementations et de nouvelles contraintes à notre arsenal n’y changera rien. C’est se tromper de combat que de chercher à entraver un modèle en plein essor. À moins qu’il n’y ait des raisons moins avouables, comme le laisse entendre l’affirmation confondante du sénateur socialiste David Assouline : « Notre timidité à cet égard fait le lit des fondamentalismes issus de toutes les religions, qui régulièrement s’unissent pour mener des combats contre le progrès, comme lors des manifestations contre le mariage pour tous »…

Si le législateur souhaite s’attaquer au mal qui ronge notre société, qu’il le fasse clairement et efficacement : c’est en démantelant les écoles coraniques, en faisant la chasse aux madrasas illégales implantées sur notre sol et en évaluant, sur pièce, le contenu pédagogique de chaque établissement que l’État protègera les enfants, rassurera les familles et œuvrera pour le bien du pays. Mais imposer aux écoles hors contrat toute une série de normes ex ante [au préalable] ne conduira encore une fois qu’à tuer dans l’œuf une vitalité et des initiatives innovantes, que tel service administratif obscur pourra juger bonnes ou mauvaises. Au contraire, évaluer régulièrement les méthodes pédagogiques employées dans toutes les écoles françaises — privées et publiques, d’ailleurs — se révèlera bien plus utile pour les élèves.

Finalement, l’école privée hors contrat dérange parce qu’elle réussit et qu’elle s’efforce d’apporter des réponses nouvelles et originales aux maux d’un système éducatif ankylosé. Mais, de grâce, laissons pour une fois l’idéologie de côté, épargnons du travail inutile à l’administration de l’Éducation nationale et laissons vivre et fleurir la liberté scolaire afin de nous attaquer à un problème, bien réel cette fois : le fondamentalisme musulman.