mercredi 20 avril 2022

Les (mots) gaulois sont parmi nous !

Le Sénonais Jacques Lacroix est à la fois docteur ès lettres et linguiste. Au fil d’une dizaine d’ouvrages, il s’est imposé comme un spécialiste de l’étymologie gauloise. Les irréductibles mots gaulois est paru en septembre chez Lemme Édit (sciences humaines) et sa réimpression est déjà lancée. Un succès que l’on doit à un postulat nouveau audacieux, basé sur ses recherches. Pour lui, un millier de mots d’origine gauloise subsistent dans notre langue usuelle, touchant au plus près de la vie quotidienne. Le caractère gaulois, le paysage, la nature, la politique (de la guerre à la paix), l’artisanat du cuir et du tissage, du bois et du métal, l’agriculture, l’élevage, le commerce et jusqu’à la spiritualité !

Un « Galli » gaulois

Cette remise en cause concerne le mot « gaulois » même… « Le nom galli (gaulois) est bien antérieur à l’époque germanique : il est déjà attesté chez plusieurs auteurs au IIe siècle avant notre ère », assène en préambule le linguiste. Il s’appuie sur le caractère même de ces Gaulois. « La racine celtique gal désigne la vigueur, la vaillance. Le mot français gaillard a la même origine que gaulois et désigne un homme fort, vigoureux… » Le sens premier de la racine « gal » est « chaud », « bouillonnant ». Ainsi, rappelle le linguiste, l’historien grec Polybe écrit : « Effrayants étaient l’aspect et le mouvement de ces hommes, remarquables par l’éclat de leur vigueur ». D’autres mots éclairent la qualité première des gaulois : les mots « battre » « combattre », « combattant » issus de bat, qui signifie « frapper », « heurter ». Les armes sont à l’avenant avec le glaive (issu de cladios), la lance (lancia) ou le javelot (gaballacos). « Ces mots gaulois sont une mémoire endormie, un patrimoine immatériel… » Jacques Lacroix, linguiste Guerriers, les Gaulois ont aussi la capacité d’envisager la paix. Le radical ambacti a donné « ambassadeur », indique Jacques Lacroix, et vassos, le « vassal » et le « valet ».


Du paysage à l’agriculture

Dans l’espace qui nous entoure, le gaulois est partout encore. Lande, bruyère, dune, talus, grève, berge, gravier, galet, marne, glaise, bourbe, boue, combe, aven, etc. Une dizaine de noms d’arbres « tirent aussi leur appellation des habitants de la Gaule : l’alisier, le bouleau, le cormier, le coudrier, l’érable, mais aussi l’if, le chêne, le mélèze, le sapin… » détaille le linguiste. Naturellement, dans ce paysage gaulois, les Gaulois ont nommé les animaux. Des mammifères : daims et chamois de cambo-uxo, ou « haute courbe ». Des oiseaux : bécasses, alouettes, pinsons. Des poissons aussi : limande, saumon, lotte, tanche, truite, goujon, lamproie ou brochet. De l’animal sauvage à l’animal domestique, il n’y a qu’un pas. Jacques Lacroix y ajoute le mouton, le bouc (qui donnera aussi le « boucher »), la truie, le goret, le cheval…

 

Du travail à la spiritualité

Le gaulois a imprégné l’ensemble des domaines dans lesquels le peuple excellait. Agriculture et élevage, certes, mais aussi l’artisanat et notamment le travail du textile, du cuir, du bois ou du métal. Le drap, toujours actuel, mais aussi les « braies » passées de mode (de braga) qui a généré « braguette » et le verbe « débrayer ». Nos Gaulois qui exploitaient le fer du Pays d’Othe sont à l’origine des mots du verbe « creuser », des termes « mine » et « minerai », poursuit le Sénonais. Au forgeron qui le met en forme, on doit le « soc », la « gouge » ou la « tarière ». L’apport des Celtes est plus considérable encore dans le travail du bois. S’ils ont nommé des essences, ils sont également à l’origine des termes « charpentier », « charron », « tonnelier », « boisselier » et plus largement de la « souche », de la « bille » de bois ou du « copeau » (scolpellos). Et ils ont nommé aussi leur production artisanale : « berceaux », « baquet », « bassines », mais « barriques » et « tonneaux » aussi. Et une autre part du travail du bois bien plus élaboré avec les mots « chars », « charrettes » ainsi que le « charron » et la « charronnerie ».

Le gaulois est partout dans la toponymie, l’exemple du thème kanto

Une culture dissoute dans le chaudron

La spiritualité des Gaulois nous échappe davantage, mais les mots ont laissé des jalons et sont sources d’une certaine poésie. L’alouette — du gaulois alauda — « emporte droit dans l’au-delà l’âme des guerriers celtes morts au combat, dans son vol vertical », explique Jacques Lacroix. La noisette — symbole de richesse intérieure, de vie éternelle de l’esprit — est présente dans un vieux synonyme, le « coudier », issu du mot collos. L’if — symbole de longévité — émane du gaulois ivos. Le chêne — de cassanos — est symbole de force. Le druide, enfin, de deru, autre terme relatif au chêne. Ces mêmes druides par lesquels la culture celte était transmise oralement, à certains initiés, et qui s’est dissoute dans le chaudron gallo-romain.

Source : Nord Éclair


Les irréductibles mots gaulois

par Jacques Lacroix
aux éditions Lemme Edit
à Chamalières,
paru en septembre 2020
156 pp.
ISBN : 978-2-917575-89-5
EAN : 9 782 917 575 895

Québec — discrimination négative envers les candidates policières blanches

Les femmes blanches sont depuis peu exclues d’une formation maintenant offerte seulement « aux membres des minorités visibles ou ethniques » et aux Autochtones. Deux d’entre elles racontent leur désenchantement.

Des femmes blanches rêvant de devenir policières ont été exclues d’un programme d’études chapeauté par le ministère de la Sécurité publique du Québec, désormais réservé aux Autochtones et aux groupes racisés.

187e cohorte (section féminine) de l'école de police du Québec

« C’est l’énergie et l’espoir que tu mets là-dedans, pour finalement te faire couper l’herbe sous le pied », lance Annie*, aspirante au programme AEC Diversité du ministère de la Sécurité publique (MSP). Occupant un emploi civil dans le milieu policier, sans être policière, cette femme a demandé l’anonymat par peur des répercussions sur sa carrière.

En 2021, elle a cru pouvoir atteindre son rêve de devenir policière grâce à un programme visant à accroître la diversité dans les corps de police. Mais les critères d’admission ont changé… quelques mois après le dépôt de sa candidature.

Au Québec, un policier sur trois est une femme, selon les données du MSP. Ces chiffres concordent avec ceux de l’École nationale de police du Québec (ENPQ), où de 25,5 % à 34 % des recrues étaient des femmes entre 2010 et 2021, selon des informations recueillies par La Presse.

Dans tous les corps policiers de la province, moins de 6 policiers sur 100 étaient issus des « minorités visibles et ethniques » en 2020, hommes et femmes confondus, selon le MSP.

Un programme spécifique

Le Ministère offre le programme de formation accéléré AEC Diversité. « Une mesure de formation exceptionnelle qui répond à des besoins précis de main-d’œuvre policière », précise le MSP par courriel.

Y sont admissibles les personnes possédant déjà un diplôme et travaillant dans le milieu, sans être policiers. Les candidats sélectionnés ont le privilège de suivre une formation accélérée de neuf mois, avant d’entrer dans le programme de l’ENPQ – obligatoire pour tous les futurs policiers.

Chaque année, un comité révise les critères d’admissibilité.

Pour l’AEC 2022-2023, le Comité a convenu de prioriser les candidatures des personnes issues de minorités visibles et ethniques ainsi que celles provenant de corps de police desservant des régions éloignées des grands centres.

Le ministère de la Sécurité publique

Le critère de « région éloignée » correspond « aux zones situées en dehors des grands centres et desservies par certains points de services de la Sûreté du Québec et par des services policiers autochtones », spécifie le MSP.

Bref, les femmes blanches des principales villes du Québec ont été exclues du processus. Et pour certaines, la pilule a été dure à avaler.

Déception

« Je ne peux même pas vous exprimer à quel point ma déception était immense, parce que le processus allait bien, des deux côtés », confie Annie. Elle avait validé plusieurs fois son admissibilité au programme avant de déposer sa candidature auprès de deux corps policiers, dès septembre 2021.

« J’avais passé mes premiers tests, j’étais allée chercher mes rapports de chirurgie oculaire, j’avais subi des tests de sécurité très intrusifs, où une personne des Crimes majeurs avait passé en entrevue mon entourage, mes anciens employeurs, etc. », poursuit l’aspirante policière. Sans compter l’entraînement intensif pour se préparer aux tests physiques.

Le couperet est tombé sous forme de courriels, début 2022. « Dans le cadre du programme AEC Diversité, sachez que le ministère a revu certains des critères d’admission, indiquait l’un d’eux, que La Presse a consulté. Il a été déterminé que cette année, le programme s’adresserait uniquement aux membres issus de groupes minoritaires, c’est-à-dire aux personnes d’origine autochtone et aux membres des minorités visibles ou ethniques. »

Les mêmes critères s’appliquaient aussi à sa deuxième candidature : « Exceptionnellement cette année, il a été décidé que seuls des candidats provenant de certains groupes cibles seraient considérés dans le processus », a-t-elle appris par courriel.

Sophie* espérait devenir policière grâce au programme AEC Diversité.

« Exclure les femmes [blanches], pour moi, ça n’a pas de sens, parce qu’il manque énormément de femmes dans les corps policiers », déplore Sophie*, une autre recrue ayant vécu une situation semblable et qui a aussi demandé l’anonymat. Sophie, comme Annie, ne provient pas d’une région éloignée.

« Aucun groupe ne veut la charité »

La discrimination positive [nécessairement négative pour les autres] existe pour permettre de rattraper un manque à gagner, explique Martine St-Victor, stratège en communication et directrice générale de la firme Edelman.

Il n’y a aucun groupe prioritaire qui veut avoir un passe-droit, ou la charité. Ce qui est mal compris, avec la discrimination positive, c’est que trop de gens pensent que [les personnes ciblées] sont non qualifiées. Et c’est archifaux. [Alors pourquoi les privilégier ?]

Martine St-Victor, stratège en communication

La modification des critères d’admission suit les recommandations du rapport du Comité consultatif sur la réalité policière, publié en 2021, a précisé le MSP à La Presse.

« Dans une société métissée comme le Québec, que des services policiers d’envergure ne comptent aucun représentant des minorités visibles ou ethniques dans leurs rangs est inadmissible », relève le document.

Parmi les multiples recommandations du rapport, « développer et mettre en œuvre rapidement une stratégie agressive de recrutement proactive dans les milieux de vie à l’intention des candidats racisés ».

« Dans des domaines où l’inégalité des chances a été flagrante depuis des lustres, ces mesures sont encore plus nécessaires », estime Mme St-Victor. « Ma vision de l’équité et de l’égalité des chances veut dire qu’on ajoute des chaises à la table, nuance-t-elle toutefois. Elle ne veut certainement pas dire qu’on en retire. »

* Prénoms fictifs

EN SAVOIR PLUS

13 %
Proportion de la population québécoise qui fait partie d’une minorité visible
SOURCE : STATISTIQUE CANADA, RECENSEMENT DE LA POPULATION DE 2016

33 %
Proportion de la population montréalaise qui fait partie d’une minorité visible
SOURCE : STATISTIQUE CANADA, RECENSEMENT DE LA POPULATION DE 2016

Source : La Presse