samedi 22 octobre 2022

Vers l'interdiction du russe en Ukraine ?

Le secrétaire du Conseil de la sécurité nationale et de la défense de l’Ukraine a déclaré que le pays allait interdire complètement la langue russe. « La langue russe devrait disparaître complètement de notre territoire en tant qu’élément de propagande hostile », c’est ce qu’a déclaré Alexei Danilov le 20 octobre 2022 à l’émission télévisée « Ici, le Grand Lvov ». Lvov est une ville ukrainienne proche de la Pologne, également connue sous les noms de Lviv, Léopol (en français), Lemberg (allemand) et Lwow (polonais).

Il a ajouté : « L’anglais est obligatoire, notre langue maternelle est obligatoire. Il est très dangereux d’implanter ces récits russes chez nous. C’est une erreur de penser que nous devons les comprendre, pour comprendre quelque chose. Écoutez, nous n’avons besoin de rien d’eux, qu’ils se détachent de nous […] laissez-les aller dans leurs marais et croasser dans leur langue russe […] La décision a été prise qu’il fallait commencer par la langue de communication internationale — l’anglais. Et le reste des langues (français, allemand, arabe) seront ajoutées. »

Plus de 30 % de l’Ukraine parle le russe comme langue maternelle, principalement dans les régions annexées par la Russie, à Nikolaev, Odessa, Boudjak, Kharkov et la région frontalière de Soumy et Tchernigov. Une bonne partie du reste de l’Ukraine parle un mélange d’ukrainien et de russe étant donné que ces deux idiomes forment un continuum linguistique allant de l’Ouest très ukrainien à l’Est très russe sans solution de continuité géographique nette avant les campagnes d’ukrainisation récentes qui diffuse et impose une norme occidentale de l’idiome ukrainien.

Ironiquement, Alexei (Oleksiy à l’ukrainienne) Danilov est né dans la région de Lougansk, massivement russophone, récemment rattachée à la Russie. Il fut maire de la ville de Lougansk de 1994 à 1997, puis président de l’administration de la région de Lougansk en 2005. Vétérinaire de profession, il est diplômé de l’école technique de la ferme d’État de Starobelsk, toujours dans la même région, dont l’enseignant était prodigué en russe.

Dérussification à marche forcée

Adoptée en 1996, la nouvelle Constitution de l’Ukraine a confirmé le statut d’État officiel de la langue ukrainienne et a garanti le libre développement, l’utilisation et la protection du russe et d’autres langues des minorités nationales d’Ukraine.

Malgré la Constitution, la loi sur l’éducation (qui accorde en principe aux familles ukrainiennes le droit de choisir leur langue maternelle pour l’école et les études) ainsi que la loi sur les langues (qui garantit en théorie la protection de toutes les langues en Ukraine), le gouvernement ukrainien a progressivement transformé le système scolaire qui n’était que partiellement ukrainien en un système qui l’est en très grande majorité. En 2000, la proportion d’élèves recevant un enseignement en russe était inférieure à la proportion de citoyens qui considèrent le russe comme leur langue maternelle. Lors de l’année universitaire 2002/2003 dans la région de Lougansk — où pourtant la population qui parle le russe en famille constitue une vaste majorité absolue — l’enseignement prodigué par l’Institut pédagogique régional de Lougansk fut donné en ukrainien alors que l’État décida de commencer à enseigner le russe comme langue étrangère.

En 2004, le gouvernement ukrainien a imposé des restrictions sur les programmes de télévision et de radio en langue russe. Les programmes en langue russe doivent inclure une traduction ou des sous-titres en ukrainien. Les stations de radio et de télévision locales n’ont le droit de diffuser en russe que si elles peuvent prouver qu’elles ont un public russe. Les films non russes et non ukrainiens qui étaient doublés en russe ne peuvent désormais être doublés, postsynchronisés ou sous-titrés qu’en ukrainien.

Le 20 mai 2008, le conseil municipal de Donetsk a adopté une résolution limitant l’expansion de l’enseignement en ukrainien dans la ville. Le lendemain, le procureur de la ville a déclaré la décision illégale.

Le 1er novembre 2008, le Conseil national de la radiodiffusion d’Ukraine a décidé d’interdire la diffusion des chaînes de télévision russes qui n’étaient pas adaptées à la diffusion ukrainienne. L’opérateur de télévision par câble en Ukraine, Volya, a cessé de diffuser une demi-douzaine de chaînes russes dont Первый канал (la « Première chaîne ») regardée par 5,2 millions de Russes par jour en 2020. Un certain nombre de câblo-opérateurs à Zaporojié, Odessa, Lougansk, Kharkov, les villes de Crimée et d’autres villes dans la partie sud-est de l’Ukraine ont refusé de se conformer à l’ordre du Ministère, et la société Volya a continué à diffuser la Première chaîne à Kiev.

Après le coup d’État de Maïdan, en 2014, l’Ukraine a bloqué 14 autres chaînes de télévision russes. Le 23 mai 2017, le parlement ukrainien a approuvé la loi proposée en novembre 2016 qui exige que les réseaux de télévision et de radio nationaux, régionaux, par satellite et multicanaux diffusent au moins 75 % de leur contenu (résumé chaque semaine séparément à des intervalles de temps de 7 h – 18 h et 18 h – 22 h) en ukrainien à partir du 13 octobre 2017. 50 % sont requis pour les réseaux locaux et 75 % des programmes d’information sont requis en ukrainien pour tous les réseaux. Les films et les émissions qui ne sont pas des produits de ces réseaux et qui ont été produits après 1991 doivent être diffusés exclusivement en ukrainien. Depuis le 8 novembre 2018, les radios ukrainiennes doivent diffuser au moins 35 % de chansons en ukrainien ou seulement 25 % si elles diffusent 60 % de leurs chansons dans « les langues officielles de l’Union européenne » (comprendre l’anglais, par exemple, mais pas le russe).

Le 25 septembre 2017, une nouvelle loi sur l’éducation a été signée par le président (projet approuvé par Rada le 5 septembre 2017) qui stipulait que la langue ukrainienne est la langue d’enseignement à tous les niveaux, à l’exception des matières autorisées à être enseignées en deux langues ou plus, à savoir l’anglais ou l’une des autres langues officielles de l’Union européenne (le hongrois ou le roumain, mais pas le russe donc). La loi prévoit une période transitoire de 3 ans pour entrer pleinement en vigueur. En février 2018, cette période a été prolongée jusqu’en 2023.

L’interdiction des livres russes en Ukraine est entrée en vigueur le 30 décembre 2016, lorsque le président Petro Porochenko a signé une loi qui restreignait l’importation de livres en Ukraine depuis la Russie. Selon la loi, une personne peut importer au maximum 10 livres russes sans permis. La distribution non autorisée de livres en provenance de Russie est également interdite. Les livres russes représentaient alors quelque 60 % du marché.

Le 19 juin 2022, le Parlement ukrainien a adopté une loi qui renforce ces interdictions. Il interdit toute importation de toute production de livres et d’édition en provenance de la Fédération de Russie et de la Biélorussie, ainsi que des territoires rattachés à la Russie. En outre, toutes les publications en langue russe importées de pays tiers (c’est-à-dire principalement d’autres États postsoviétiques) doivent d’abord être examinées avant d’être autorisées à la distribution et à la vente en Ukraine. Une autre stipulation est qu’à partir du 1er janvier 2023, il ne sera permis en Ukraine de publier que des livres en ukrainien, les langues des groupes ethniques « autochtones » d’Ukraine (c’est-à-dire le tatar de Crimée [installé depuis la fin du Moyen-âge en Crimée…], le karaïm [langue turcique, 80 locuteurs juifs] et le krymtchak [langue turcique, 200 locuteurs juifs]), parallèlement aux « langues officielles de l’Union européenne ». En outre, au cours de la même séance, le Parlement a adopté une loi qui interdit l’importation, la mise en scène et la diffusion de musique russe et de langue russe en Ukraine.

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