vendredi 2 avril 2021

La Passion, la crucifixion, non ce n'est pas une regrettable méprise

On retrouvera ci-dessous la recension du film La Passion de Mel Gibson par Mark Steyn.

Le titre de la critique du film faite par le Washington Post résumait : « La Passion est une vision sanguinolente de la fin violente d’un maître doux ». Quelqu’un semble confondre son Évangile (Gospel) avec l’opéra-rock Godspell. Quelques jours avant la « fin violente », le gentil maître avait jeté des tables au temple. Et, même si vous oubliez ces gestes violents, au niveau de son discours le Christ était aussi énergique qu’Il était doux.

Car il s’agit de cela dans La Passion du Christ. Le film n’oppose pas les chrétiens aux juifs, mais les chrétiens croyants à la culture post-chrétienne occidentale, un terme qui recouvre une grande partie de notre société : des médias de grands chemins au vicaire anglican moyen. Certains, dans cette culture post-chrétienne, ne croient en rien, certains sont criblés de doutes, mais même ceux qui n’ont qu’un vague souvenir diffus de l’histoire religieuse sont d’accord pour dire qu’un Jésus qui ne serait qu’un « maître doux » ne présente pas de danger. Pour les adeptes de cette vision, si Jésus revenait aujourd’hui, il serait très probablement un évêque anglican homosexuel dans une relation sérieuse, il conduirait une voiture hybride avec un autocollant « Arms Are For Hugging » [jeu de mots : les armes/les bras servent à embrasser] en route vers un dialogue interreligieux avec une Wiccan et un couple d’imams wahhabites. Si c’est comme cela que vous le voyez, le film de Mel Gibson n’est pas pour vous.

En effet, bien que Mel soit catholique, sa Passion est devenue un succès grâce aux protestants évangéliques — ceux qui croient que la Bible est la vérité littérale et non un « récit utile » aboutissant à ce que l’évêque de Durham a appelé un « tour de passe-passe avec des os ». Au lieu de Jésus la Mauviette, Mel nous donne Jésus le Rédempteur. Il est mort pour nos péchés — c’est-à-dire que la « fin violente » est l’élément critique, pas seulement un malheureux malentendu coupant cruellement court à une carrière prometteuse dans l’enseignement doux. Les disciples contemporains de Jésus La Mauviette semblent croire qu’Il est mort pour nous permettre de pécher — Jésus nous aime tels que nous sommes, peu importe ce qui vous botte, ça Lui va.

En tant qu’offre purement commerciale, Jésus La Mauviette est un créneau perdant : les églises qui empruntent ce chemin se vident et meurent. Ceux qui croient au Christ Rédempteur sont, comparativement, en plein essor, et en 2004, Mel Gibson a fait un film pour eux. Si les producteurs d’Hollywood étaient aussi futés qu’ils le croient, ils auraient damé le pion à Gibson. Mais ce n’est pas le cas. Et comme la plupart des cadres des studios n’ont jamais vu un chrétien évangélique sauf dans des films où ils se révèlent être des pédophiles ou des tueurs en série, il n’est pas étonnant qu’ils aient été déconcertés par le succès de La Passion.

La première scène a lieu dans le jardin de Gethsémané avec l’arrestation du Christ au cours de laquelle un serviteur du grand prêtre se fait couper l’oreille et, dans la mêlée, est tranquillement guéri par Jésus. (Ceci est tiré de Luc ; les trois autres évangiles évoquent l’oreille tranchée, mais pas la guérison.) Pour Gibson, c’est le point crucial : Christ avait le pouvoir de dominer Ses ravisseurs, mais il ne l’a pas utilisé et Son sacrifice est notre salut. À cette fin, le réalisateur a mis au point une structure qui intègre de multiples retours en arrière dans la vie de Jésus pendant les deux heures de flagellation et de crucifixion, vraisemblablement pour nous rappeler que c’est par la « fin violente » que « l’enseignement doux » devient vérité universelle.

Parfois cela fonctionne très bien : la Dernière Cène — « Ceci est mon corps, ceci est mon sang » — entrecoupée de plaies béantes du corps réel et de rivières de vrai sang — a une intensité rare. L’idée de narrer la vie de Christ lors de sa mise à mort est un procédé cinématographique intelligent. Un réalisateur plus agile en aurait tiré plus. Mais Gibson est en quelque sorte un conteur impassible et son film prend un rythme presque mécanique : écorchage - retour en arrière - passage à tabac — retour en arrière - clouage - retour en arrière. Jim Caviezel est un Jésus physiquement conventionnel, dont le corps maigre et longiligne semble avoir été choisi en fonction de l’apparence qu’il aura lorsqu’il sera battu et dégoulinant de sang. Il s’en tire bien dans les scènes pré-arrestation, à l’exception d’une étrange décision de tourner le Sermon sur la montagne en imitant Richard Gere, tout sourires tristes et gestes de la main précieux.

Le dialogue est en araméen et en latin, mais il n’y en a pas beaucoup et des actrices comme Maia Morgenstern (Marie) et Monica Bellucci (Marie Madeleine) ont apparemment été choisies pour leurs expressions faciales angoissées et leur capacité à refléter la douleur du Christ plutôt que leur maîtrise de la langue araméenne. Mademoiselle Bellucci, l’institutrice aguicheuse dans Malena, est ce qui ressemble le plus à une vedette perdue dans une distribution d’inconnus. C’est sûrement une bonne idée : des visages célèbres détourneraient l’attention de l’histoire (à l’instar des épopées bibliques d’Hollywood à l’ancienne), mais c’est moins efficace que cela pourrait l’être parce que, même s’ils sont joués par des acteurs obscurs, presque tout le monde a l’air d’être un archétype de celui qu’il est censé incarner — Caïphe, Ponce Pilate et sa bourgeoise ; Barrabas est une caricature immonde qui agite la langue.

C’est un autre défaut du film de Mel. Bien que les acteurs parlent l’araméen et le latin, la vraie langue du film est le hollywoodien. Par exemple, l’un des retours en arrière montre Jésus le charpentier en train de fabriquer ce qui ressemble pour Marie à une « haute » table. Jésus explique que c’est pour un homme riche qui aime manger assis sur des « chaises » et mime la position [plutôt qu’accoudés comme les Anciens]. « Cela ne prendra jamais », dit Marie.

L’iconographie s’enracine dans la tradition : toutes les stations de la Croix sauf une sont illustrées (la huitième a été coupée pour des raisons de temps, ce qui, pour une raison quelconque, me rappelle le Jésus de Nazareth de Lew Grade, également soucieux des coûts : « faut-il vraiment avoir douze disciples ? ») Mais la réalisation par Mel Gibson doit autant à la sténographie hollywoodienne qu’aux gloires de l’art chrétien : Judas est hanté par des figurants trollesques congédiés par les producteurs de Harry Potter et du Seigneur des anneaux. Jésus est traqué par un croisement de Nosferatu et de Jessica Lange dans Que le Spectacle commence ! Les pires sont les soldats romains qui torturent le Christ, rient, crachent et se moquent comme des flics corrompus d’une république bananière dans un film d’action. Peu importe s’il s’agit d’un affront envers l’un des grands empires de notre civilisation, cela dessert Mel Gibson : les péchés pour lesquels Jésus est mort sont nos péchés quotidiens, pas les pires excès d’un rapport d’Amnistie internationale. Des soldats plus vifs et plus professionnels auraient mieux fait ressortir cet aspect.

Mais c’est pinailler. Mel Gibson était animé par sa propre passion de faire un film qui parle à des millions de personnes. Et, comme je le dis toujours, si ce n’est pas le film de Jésus que vous auriez fait, alors allez faire le vôtre. En 2004, je l’ai vu dans une salle comble un lundi soir — un événement rare en soi — et la foule était ravie et étrangement silencieuse, à l’exception de quelques sanglots occasionnels. Il est vrai que, si vous ne croyez pas que la mort du Christ sur la croix est l’événement central de son temps sur Terre, alors le récit de Mel Gibson ne vous convaincra pas et le film ressemblera, comme ce fut le cas pour Christopher Hitchens, à un festival sadomaso. On peut considérer cela comme une critique de Gibson. D’un autre côté, toutes sortes de films — Star Wars, X-Men — vous laissent froid si vous n’êtes pas déjà un adepte. Pour des millions de personnes, Mel Gibson leur montre leur Jésus et leur salut. Joyeuses Pâques !

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