mardi 16 août 2016

Un nouveau cours d'histoire du Québec et du Canada qui diviserait

En gestation depuis deux ans, le nouveau programme Histoire du Québec et du Canada fait progressivement son entrée au secondaire. Les écoles qui veulent l’enseigner dès cette année peuvent le faire ; mais il faudra attendre la rentrée 2017 avant que ce cours, axé sur les « particularités du parcours de la société québécoise », ne devienne obligatoire.

Le Soleil de Québec a mis la main sur le programme de troisième secondaire de ce nouveau cours, rédigé par le ministère de l’Éducation en date du 30 mai. Visant à remplacer le controversé cours Histoire et éducation à la citoyenneté, qui est enseigné depuis 2006, le nouveau cours opte pour une approche chronologique, en troisième puis en quatrième secondaire, au lieu d’une approche par thèmes, qui a été décriée par plusieurs enseignants ces dernières années. Ces derniers avaient l’impression d’être redondants, en racontant l’histoire plusieurs fois, selon différentes perspectives.


En mai, le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx a annoncé qu’il faudra une année de plus avant que le programme ne soit étendu à toutes les écoles. « On veut se donner le temps d’évaluer une cohorte au complet, car le cours n’a pas encore été donné en quatrième secondaire », justifie son attachée de presse Marie Deschamps.

Ce nouveau cours a toutefois eu la faveur de plusieurs écoles, qui ont décidé de plonger et de l’enseigner en troisième secondaire cette année, selon Raymond Bédard, président de la Société des professeurs d’histoire du Québec. « La réforme n’est pas reportée, le ministre Proulx a simplement permis aux écoles qui ne se sentaient pas prêtes de retarder d’un an son application. Le matériel est disponible et la majorité des écoles vont de l’avant », souligne M. Bédard dans un échange de courriels.

Le ministère de l’Éducation pourrait encore y apporter quelques modifications en cours d’année. « Comme tout autre projet pilote, on va recevoir les commentaires et on est ouverts aux rétroactions des professeurs », indique Mme Deschamps.

Ajout de la notion d’esclavagisme

Entre la version préliminaire de janvier 2016 et celle de mai 2016, il n’y a eu que peu de changements dans le programme, a constaté Le Soleil. Le seul changement significatif est l’ajout de la notion d’esclavagisme en Nouvelle-France : le moment où les premiers esclaves ont mis les pieds au Canada et celui où l’esclavagisme a été aboli.

[Note du carnet : ce fut quand même un phénomène relativement marginal (à moins que le programme parle aussi de l’esclavage chez les Amérindiens ?), aucun navire négrier n’accostera en Canada.

Pour tout le XVIIe siècle, on n’a dénombré que 35 esclaves en Canada, dont 7 Noirs. Entre 1700 et 1760, on en a recensé quelque 2 000, Amérindiens et Noirs compris. En Canada, près des trois quarts des esclaves furent d’origine non pas africaine, mais bien amérindienne. Les populations autochtones avaient coutume d’asservir des prisonniers de guerre avant l’établissement des Français, mais cette réalité prend de l’ampleur avec l’expansion vers l’ouest. À compter des années 1670, les Français reçoivent de leurs partenaires autochtones des captifs en gage d’amitié, au cours d’échanges commerciaux ou diplomatiques. Les Illinois étaient particulièrement reconnus pour les raids qu’ils menaient contre les nations du sud-ouest dont ils ramenaient des captifs.

Contrairement aux esclaves de la Nouvelle-Angleterre, qui étaient surtout exploités dans un contexte agricole, les esclaves de la Nouvelle-France étaient exploités en milieu urbain, notamment à Montréal, comme domestiques.

Après 1760, le nombre de Noirs esclaves dans la colonie a augmenté considérablement, passant de 300 à plus de 800. Cette augmentation est en grande partie attribuable à l’arrivée des Loyalistes au Québec, après 1783, qui ont amené leurs propres esclaves.

Cet ajout au programme semble être une concession à des communautés ethniques récemment immigrées, comme en France où l’on ne parle que de la traite transatlantique et l’on escamote les autres traites négrières.]

Pour le reste, les mots conquête et assimilation s’y trouvent toujours pour décrire la bataille des plaines d’Abraham, en 1759, et ses conséquences. Le cours parle aussi de « nationalisme » quand vient le temps d’aborder la révolte des Patriotes, en 1837 et 1838.

La réforme du programme d’histoire a commencé sous Marie Malavoy, ex-ministre de l’Éducation du Parti québécois. Elle est basée sur un rapport, signé par le sociologue Jacques Beauchemin et l’historienne Nadia Fahmy-Eid, qui préconisait un renforcement de l’enseignement de l’histoire au secondaire. Les deux experts proposaient que l’histoire soit racontée en suivant la « trame nationale » de la province.

Des anglophones déçus du peu de changements

« On aurait aimé mieux que l’histoire soit enseignée de façon plus neutre. Que ça ne reflète pas les bons [francophones] et les méchants [anglophones], mais la contribution des différentes communautés à la construction du Québec », commente Rita Legault, directrice des communications du Quebec Community Groups Network (QCGN). [Note du carnet : est-ce que le rôle des Loyalistes et des Anglais est dépeint de manière « neutre » dans les manuels d’histoire américains quand il traite de leur guerre d’indépendance & amp ; nbsp;?]

Son organisme, qui avait fait des pressions au printemps pour que des modifications soient apportées au programme, est « déçu » de constater que peu de changements ont été faits. Selon Mme Legault, tous les élèves québécois auraient bénéficié d’un enseignement plus inclusif, « qui ne raconte pas seulement l’histoire du Québec, mais les histoires du Québec », souligne-t-elle. [Note du carnet & amp ; nbsp ; : voudrait-on que les immigrés s’identifient à une autre histoire que celle de la majorité francophone ? Afin d’encore moins bien les intégrer ?]

Le QCGN a encore espoir que de petits changements puissent s’opérer dans le programme d’avant 1840, mais mise maintenant sur le projet-pilote qui démarre en quatrième secondaire et qui touche à l’histoire plus récente. « On espère qu’après la Seconde Guerre mondiale, on va parler de l’apport des Juifs, des Italiens et des Grecs, par exemple », explique-t-elle.

Ces préoccupations sur la façon dont l’histoire est racontée n’ont toutefois par ralenti les neuf commissions scolaires anglophones du Québec, qui ont toutes décidé d’aller de l’avant et d’enseigner le nouveau programme d’histoire en septembre. Selon ces commissions scolaires, le nouveau programme est meilleur sur le plan pédagogique et plus facile à enseigner que l’ancien.

« L’ancien cours n’était pas parfait, on le reconnaît. Mais même si on a un meilleur contenant, on trouve qu’il manque des bouts dans le contenu », justifie Mme Legault.

Le cours de 3e secondaire divisé en quatre périodes
DES ORIGINES À 1608

L’expérience des Amérindiens et le projet de colonie

Expliquer comment les relations entre les peuples amérindiens et leur connaissance du territoire ont contribué à l’exploitation de ses ressources par les Français ainsi qu’à leurs tentatives d’établissement. Concepts : alliance, échange, environnement

DE 1608 À 1760

L’évolution de la société coloniale sous l’autorité de la métropole française

Expliquer les relations entre la société coloniale et la France. Concepts : adaptation, évangélisation, mercantilisme

DE 1760 À 1791

La Conquête et le changement d’empire

Expliquer comment le changement d’empire a marqué la réalité de la société coloniale. Concepts : allégeance, assimilation, constitution

DE 1791 À 1840

Les revendications et les luttes nationales

Expliquer la montée du nationalisme dans une colonie en quête d’autonomie politique. Concepts : bourgeoisie, nationalisme, parlementarisme

Extraits du programme

« Les jalons de l’expérience singulière du Québec se posent dès les premiers contacts avec le territoire nord-américain. La nation n’est jamais achevée ; elle est ouverte et changeante. »

« Au fil de leur apprentissage de l’histoire du Québec et du Canada, les élèves se questionnent sur leur identité et sur leur inscription en tant que sujet de l’histoire. »

« Le cours d’histoire est un espace de discussion et de recherche où l’esprit d’ouverture et la curiosité intellectuelle sont valorisés. »

« L’année 1840 constitue le point de bascule entre les deux années du programme en raison de l’importance des changements, par ailleurs complexes, qu’elle rappelle, cette date correspondant à l’émergence d’un État libéral moderne. »

« Alors que se développe la colonie, les populations amérindiennes se fragilisent, en proie aux guerres et aux épidémies. »

« Les Britanniques contrôlent une importante partie du territoire de la Nouvelle-France, dévastée par plusieurs années de guerre au détriment des populations, exténuées. »

« Les rébellions de 1837 et 1838 sont matées, des centaines de rebelles sont appréhendés, certains sont condamnés à l’exil et d’autres sont exécutés. »

En bref
Histoire du Québec et du Canada
Cours donné sur 2 ans de façon chronologique
3e secondaire : des origines jusqu’à 1840
4e secondaire : de 1840 à nos jours
100 heures de cours d’histoire par année

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