mercredi 29 décembre 2021

Belgique — Pourquoi nos ministres négligent-ils notre appartenance à la Francophonie ?

Une carte blanche de Paul-Henry Gendebien, ancien député, étudiant à l’Université de Louvain-Leuven de 1959 à 1964, publié dans La Libre (Belgique)

Je viens de le constater : un panneau annonçant "l’University of Louvain" a été installé sur l’autoroute Namur-Bruxelles. On est en droit de s’interroger : qui a pris cette décision, qui l’a demandée ? À qui veut-elle complaire ? À un voyageur anglophone incapable de comprendre "Université de Louvain" ?

On peut aimer et pratiquer la langue de Shakespeare et dans le même temps s’inquiéter de la promotion systématique d’innombrables anglicismes à Bruxelles et en Wallonie. C’est un phénomène en progrès constant, véhiculé par la publicité commerciale, par les médias, par la communication des pouvoirs publics, par le monde de la culture. Illustrations récentes : nous avons eu droit à un "Heritage Day" à Bruxelles, à un "Inside Magritte" à Liège, à un "Get up Wallonia", sans oublier les "testing et tracing" sanitaires, ou encore les quotidiens "booster la relance" et même un ahurissant "l’immobilier a boomé cette année"… On en conviendra, nous voici en face d’une inventivité hautement productive, aussi époustouflante que ridicule.

Une véritable submersion

Nous abdiquons. Nous nous résignons collectivement à une diminutio capitis de notre langue française, comme s'il était désormais gênant, voire honteux, d'en conserver l'usage, d'en assurer la défense et l'illustration. Tout se passe comme si une minorité agissante et puissante, parmi nos élites et nos dirigeants, se laissait envahir par un snobisme déplacé doublé d'un complexe d'infériorité à l'égard de sa propre langue.

Il est grand temps de combattre ce fléau, sans quoi nous subirons une véritable submersion non seulement linguistique mais également culturelle. Une servitude volontaire. Déjà elle nous contamine, peu ou prou, non pas lentement mais sûrement, non pas sournoisement mais ouvertement. Si nous nous laissons aller, c'est une colonisation des esprits qui nous guette, suivie d'une dénaturation de notre vie sociale. Notre identité n'est pas définie par notre domicile, ni par notre origine, ni par la couleur de notre peau, mais bien par la langue que nous parlons. Albert Camus le proclamait : "La langue française est ma patrie." Plaise au ciel que cette patrie-là, au moins, soit protégée et promue.

Je le pressens : en invoquant l’idée de patrie, j’emploie un gros mot qui fera mal aux oreilles des activistes de la "déconstruction" de notre histoire et de notre culture qui vont me qualifier d’élitiste, de passéiste, d’identitaire, de réactionnaire. Que ne voient-ils pas, comme l’ont montré une Jacqueline de Romilly et une Anne-Marie Ortese, qu’une bonne connaissance de la langue maternelle est un chemin vers plus de liberté mais aussi un sésame pour accéder à un statut personnel et professionnel, pour une meilleure insertion dans la société, un facteur d’intégration, un outil de promotion sociale ?

L’appauvrissement de notre langue

Faut-il ajouter que les nouvelles générations sont les premières victimes de l’appauvrissement dramatique de notre langue, sans cesse aggravé par les technologies modernes ? Je me joins dès lors à ces enseignants qui s’efforcent encore de donner un bon apprentissage du français à leurs élèves et qui refusent de se rallier à l’inqualifiable écriture inclusive déjà encouragée par certaines administrations et même par des universités…

Par ailleurs, j’ose espérer qu’il se trouvera quelques "justes" parmi nos responsables politiques et nos journalistes pour s’attaquer à cette anglomanie qui s’infiltre partout. Nombreux sont les citoyens qui s’interrogent : pourquoi la Fédération Wallonie-Bruxelles et nos deux Régions se désintéressent-elles de ce devoir ? Pourquoi ne donnent-elles que peu de suites aux recommandations de la commission permanente de contrôle linguistique ? Pourquoi notre Conseil supérieur de la langue française et nos Académies ne s’expriment-ils pas ? Pourquoi le décret Spaak sur la protection de la langue française demeure-t-il lettre morte ? Pourquoi nos parlementaires ne réagissent-ils pas comme l’auraient fait jadis les Marcel Thiry, les Jacques Hoyaux, les André Lagasse ? Pourquoi nos ministres négligent-ils notre appartenance à la Francophonie, qui est un privilège qui nous oblige ?

Le français expulsé de l’Université

Je reviens au panneau installé sur l’autoroute E411 pour la gloire de l’University of Louvain. Je demande comment serait jugée cette incongruité par ceux-là mêmes qui furent les accoucheurs de Louvain-la-Neuve, de Mgr Massaut à Yves du Monceau et à Michel Woitrin. Il me semble qu’ils n’auraient pas apprécié une initative de cette espèce, même s’ils étaient largement ouverts sur le monde extérieur.

En 1968, la section française multiséculaire de Louvain était expulsée de Leuven [en français Louvain] parce que française ; aujourd’hui notre Université francophone et wallonne expulse elle-même la langue française de l’image qu’elle donne. Puisse l’autorité compétente réparer cette bévue illégale avant que la Commission permanente de contrôle linguistique en soit saisie.

Il faut remplacer le panneau litigieux par un autre, en français s’il vous plaît, et sans honte. [S'il n'y avait que les panneaux... Les cours en anglais y sont de plus en plus nombreux...]