Galvanisé par les premiers résultats positifs enregistrés au niveau macroéconomique (baisse de l’inflation, excédent fiscal, renforcement de la monnaie nationale), Javier Milei, 54 ans, fête son premier anniversaire au pouvoir dans une conjoncture « très favorable », analyse le politologue Pablo Touzon. En dépit d’une récession qui peine à se dissiper, « l’inflation a été contenue, les mouvements sociaux restent muets et Trump, que Milei soutient depuis le début, vient d’être élu président », détaille ce spécialiste de la politique argentine.
Javier Milei en campagne électorale avec sa tronçonneuse, emblème de la cure d’amaigrissement qu’il veut infliger à l’État argentin |
La participation de l’entrepreneur Elon Musk, un proche de Milei, à l’équipe de Trump facilitera d’autant plus les liens entre Washington et Buenos Aires. Fière figure de proue de la nouvelle droite internationale, Milei se positionne comme un interlocuteur prioritaire dans une Amérique latine presque toute entière gouvernée par la gauche. D’autant que les États-Unis incarnent la vision du progrès aux yeux de cet économiste biberonné aux théories des libertariens. Durant le premier débat de la campagne présidentielle en octobre 2023, alors candidat, il avait déclaré : « Si vous me donnez vingt ans, nous serons l’Italie. Si vous m’en donnez trente-cinq, nous deviendrons les États-Unis ».
En croisade contre la gabegie
Un an après son accession au pouvoir, l’Argentine reste l’Argentine. Un pays divisé entre ceux qui l’ont porté au pouvoir, dont le soutien semble indéfectible, et de fervents opposants, eux aussi confortés dans leurs certitudes. Les courbes de popularité montrent que l’économiste ultralibéral était parti de plus bas que ses prédécesseurs en début de mandat, mais que sa cote a augmenté depuis, tutoyant aujourd’hui les 50 % de soutien. L’indice de confiance dans le gouvernement, mesuré par l’Université Torcuato Di Tella, affiche une hausse significative en octobre et situe l’actuel gouvernement à un niveau supérieur aux moyennes observées ces dernières années. « Depuis son arrivée au pouvoir, Milei s’est renforcé, confirme le consultant Roberto Starke, cofondateur de l’agence Infomedia. Il doit toutefois prendre garde à ne pas tomber dans le piège de ceux qui ont le vent en poupe, à savoir l’isolement. Or, son entourage semble plus enclin à saluer sa réussite qu’à lui signaler ses erreurs. En outre, son caractère autoritaire s’est encore accentué au fil des mois de pouvoir. »
De fait, seul capitaine du navire, le président continue sa croisade contre la gabegie à tous les étages. L’université publique et gratuite a été l’un de ses chevaux de bataille. L’institution, qui fait pourtant consensus au sein de la société argentine, ne servirait, selon lui, « à personne d’autre qu’aux enfants des riches et de la classe moyenne supérieure ».
En un an, Milei a gouverné en minorité, jonglant entre une fermeté totale dans les discours et des accords bien menés en coulisses, notamment avec le parti Proposition républicaine (Pro), de l’ex-président de centre droit Mauricio Macri (2015-2019). Vu le poids très relatif au Congrès de son propre parti, La Libertad avanza (seulement 15 % des députés et 9 % des sénateurs), chaque pas a donné lieu à une épreuve de force. Après avoir essentiellement gouverné par décret, Milei compte sur les élections législatives d’octobre 2025, dont les primaires auront lieu le 3 août, pour faciliter l’action du gouvernement sur le terrain législatif.
À quelques mois de ce scrutin déterminant, l’Argentin bombe le torse, sous son costume noir qui a remplacé son blouson en cuir usé de vieux rockeur. À l’épreuve du pouvoir, le personnage tonitruant de la campagne électorale a mis (un peu) d’eau dans son vin. La tronçonneuse, récemment exhibée pour annoncer de prochaines restrictions budgétaires, n’a pas complètement disparu de son arsenal de communication. Mais « une certaine dose de pragmatisme a été insufflée », observe Roberto Starke, soulignant le rôle des proches du président dans les négociations avec la « caste » politique qu’il avait promis de faire imploser. C’est en effet son entourage qui se charge de tisser des liens en dehors du parti gouvernemental : sa sœur, Karina Milei, secrétaire générale de la Présidence, son ministre de l’Économie, Luis Caputo, et le chef du Cabinet ministériel, Guillermo Francos.
193 % d’inflation sur un an !
Élu sur le terreau d’une crise économique abyssale, le gouvernement a fait de la restauration du pouvoir d’achat sa politique sociale numéro un. La route est encore longue. Pas sûr que l’effet de ruissellement suffise à endiguer l’augmentation de la pauvreté, qui touche désormais plus de 50 % de la population. La fin annoncée de la récession serait corroborée par certaines statistiques, telles que la réduction du nombre de salariés pauvres. Selon les calculs du centre de réflexion économique ExQuanti, leur proportion, qui avait augmenté de manière continue depuis fin 2023, vient de baisser de 29,2 % à 26,5 %. Un taux encore trop élevé pour que le gouvernement puisse crier victoire.
En Argentine, plus que jamais, c’est l’économie qui domine les enjeux. Arrivé au pouvoir le 10 décembre 2023, Milei avait pour mandat de contenir l’inflation galopante et d’instaurer un nouvel ordre économique. L’augmentation des prix a été ralentie, puisqu’elle atteint 2,7 % (mensuel) en octobre, mais reste astronomique sur l’ensemble de l’année (193 %). Milei sera jugé à l’aune de ces indicateurs. « Il faut convaincre la société, en particulier les jeunes, de s’engager à changer le pays en faisant confiance à ce projet politique, dit, enthousiaste, Frances Berthet, courtière immobilière chez Cobrokers Real Estate, à Buenos Aires. La première étape, celle de l’ajustement budgétaire, a été la plus dure. Cette année, il devrait y avoir un rééquilibrage des prix et un rebond de la production. Dans le secteur immobilier, sous l’impulsion du retour des crédits, l’activité a déjà repris ! »
Pour Berthet, qui considère le péronisme comme le mal numéro un du pays, Milei peut réussir là où les autres ont échoué — le libéral de centre droit Mauricio Macri (2015-2019) et, avant lui, le péroniste libéral Carlos Menem (1989-1999). Les références aux années 1990, celles de l’ouverture économique, des privatisations massives et du « uno a uno » (la parité entre le dollar et le peso argentin) inspirent les commentateurs. « À cette époque, l’Argentine c’étaient les États-Unis, se souvient Berthet. Les gens étaient pleins d’espoir. Il y avait une pluie d’investissements étrangers, les salaires étaient très élevés, on voyageait de par le monde ! Avec Milei, on a la sensation que c’est à nouveau un changement en profondeur qui s’installe. »
Outre sa remise en question de l’université publique, Milei a adopté une rhétorique visant à déconstruire l’imaginaire « progressiste » des années Kirchner. Le centre culturel Kirchner (CCK) est devenu le palais Liberté Sarmiento. La journée du respect de la diversité culturelle, célébrée le jour de l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique, a repris son nom d’antan : la Fête de la race [hispanique].
Les péronistes K.-O.
Élu pour renverser la table, Milei a mis K.-O. le clan péroniste, qui peine à désigner ses nouveaux chefs et dont une grande partie refuse de s’aligner sur l’ex-présidente Cristina Kirchner. Si le chef de l’État garde pour priorité la stabilisation macroéconomique, son programme social et culturel est tout sauf neutre. Sa « bataille culturelle », Milei la mène notamment à longueur de discours, et au gré de ses fréquents voyages. Une quinzaine, dont la moitié aux États-Unis, de Davos au G20 de Rio, en passant par la Bourse de Wall Street ou l’hémicycle de l’ONU. Les féministes, les écologistes, les « wokes », les socialistes… Avec lui, tous en prennent pour leur grade.
« Milei conserve une attitude contestataire, qui séduit ici, car cela correspond à un profil typiquement argentin, tout en défendant un programme politique global », résume Tobías Belgrano. Cette position clivante, Milei la défend sur le terrain géopolitique, mais aussi en interne. Les employés de l’agence publique d’informations Télam, qu’il a pris en grippe dès son arrivée au pouvoir, en ont fait les frais. « On nous a signifié qu’il ne fallait plus écrire sur les sujets liés à l’agenda 2030 (de développement durable de l’ONU, NDLR), au féminisme, à la marche des fiertés… Il y a un musellement de l’information par le gouvernement, qui nous considérait comme un élément de propagande kirchnériste (en référence à l’ex-présidente, NDLR) », témoigne un journaliste de Télam avec plus de vingt ans d’expérience dans l’agence. Cette source préfère garder l’anonymat pour ne pas « tomber sous le coup de la chasse aux sorcières du pouvoir », déplorant qu’« aujourd’hui, l’enjeu économique clôt tout type de débat. Nous ne pouvons que constater le manque de solidarité à tous les niveaux. Les valeurs se perdent ! »
Dans un pays fondé par des écrivains, la littérature vient naturellement compléter le diagnostic. L’essai « Notre pauvre individualisme », du grand écrivain national Jorge Luis Borges, explique ainsi que l’Argentin, qui « ne s’identifie pas à l’État (…) est un individu, pas un citoyen ». Doit-on trouver là une clef pour comprendre l’électeur de Milei, pourfendeur de l’action étatique ? Il serait ainsi l’incarnation de l’Argentin selon Borges ? « Ces deux positions sont diamétralement opposées, corrige l’écrivain Carlos Gamerro. Borges considère que l’opposition à l’État conduit à la formation de liens solidaires entre les individus. Mais le projet porté par le gouvernement actuel invite seulement à se fédérer dans la désignation d’un ennemi politique. »
Source : Le Figaro
Il y a une leçon que je voudrais retenir de Javier Milei. Quand il a pris le pouvoir, il a prévenu : « Il n’y a plus d’argent ! ». « Nous savons que la situation va empirer à court terme. Mais après nous verrons les fruits de nos efforts ». Il a fait ce qu’il a dit. Nous… https://t.co/U2x3fR1yz1
— Eugénie Bastié (@EugenieBastie) December 10, 2024