dimanche 29 mai 2022

L'économiste Pierre Fortin critique la politique d'immigration actuelle

Transcription

— Est-ce que l’immigration est l’une des grandes solutions à la pénurie de main-d’œuvre dont on parle ? Bon et puis, est-ce que l’immigration est l’une des grandes solutions à la pénurie de main-d’œuvre dont on parle ? La politique d’immigration au Canada est en tout cas dommageable pour l’ensemble du pays et pour le Québec notamment, selon l’économiste Pierre Fortin. Dans le cadre d’une étude préparée pour le ministère de l’Immigration du Québec, Pierre Fortin affirme que le Québec devrait avoir le contrôle total, entier de son immigration. On le rejoint ce soir. Pierre Fortin est professeur émérite au département des sciences économiques de l’ESG UQAM. Pierre Fortin, bonsoir.

— Bonsoir.

— Vous posez un regard quand même sévère dans l’étude sur l’approche, sur la gestion de l’immigration du gouvernement fédéral. Est-ce qu’Ottawa se trompe, selon vous, sur toute la ligne présentement en misant sur l’immigration pour assurer la croissance, et la prospérité du pays ?

— Oui, on pense qu’avec 450 000 et éventuellement 500 000 immigrants nouveaux par année, on va réussir à faire un Canada qui, premièrement, va être de beaucoup plus grande taille, qui va être plus riche, qui va être plus puissant dans le monde. Et cette espèce de grande fierté d’être Canadien qui pourrait être améliorée avec le temps et l’objectif final, c’est sur le plan démographique, on veut être 100 millions de Canadiens à l’année 2100 alors qu’on est présentement 38 millions.

— Et donc, on présente ça comme étant une solution quand même, une solution économique, une solution à la pénurie de main-d’œuvre. Est-ce que ça en est une ?

— Oui, il y a trois choses qui sont recherchées. 

  • Premièrement, que beaucoup plus d’immigration aiderait à résoudre des problèmes de pénurie de main-d’œuvre. 
  • Deuxièmement, que ça réduirait le vieillissement de la population parce que les immigrants, en moyenne, sont d’âge un peu plus jeune que la moyenne de la population. 
  • Et puis, troisièmement, que le niveau de vie progresserait plus rapidement. La croissance du PIB par habitant serait plus élevée. 

Alors quand on passe en revue la littérature scientifique sur ces trois points-là, on se rend compte qu’aucun de ces… aucune de ces trois affirmations-là ne trouve un appui de la part des recherches existantes. 

Premièrement, le PIB par habitant, le revenu par habitant et relativement insensible à l’immigration. Prenez juste, par exemple, la croissance économique dans la région de Québec, la région métropolitaine de Québec, c’est la plus élevée au Canada depuis 20 ans. Or, à Québec, il n’y a à Québec presque aucun immigrant qui arrive. Seulement 7 % de la population immigrante. Alors que, à Vancouver, par exemple, à l’inverse, on a 45 % de la population qui est d’origine immigrante, la croissance économique par habitant, la croissance, le niveau de vie est plus faible qu’à Québec. Donc ça ne veut pas dire que l’immigration est négative pour la croissance économique, mais ça veut dire qu’elle ne pousse pas dans la direction d’une croissance économique par habitant, du niveau de vie qui soit plus rapide. 

— Mais quand on a 1 million de postes vacants. C’est ce dont on parle ce soir, il y a 1 million de postes vacants. C’est un nombre record. Ça prend des bras pour les combler [pourvoir], ces postes vacants. Les immigrants ne représentent pas la première solution ?

— Non. Le taux de postes vacants au Québec est inférieur au taux de postes vacants aux États-Unis et est inférieur au taux de postes vacants à Colombie-Britannique, par exemple. Oui, on a un taux de postes vacants qui est relativement élevé au Québec. C’est la première génération de gens d’affaires qui font face à ce problème-là. Parce qu’autrefois, le taux de chômage au Québec était toujours dans les deux chiffres. On avait des 10, des 12 % de chômage. Alors il n’y avait jamais de manque de main — d’œuvre. Il y en avait toujours de disponibles, qui était en chômage et qui était prête à entrer au travail. Mais maintenant, il faut changer notre point de vue. L’économie du Québec, ce n’est pas une économie qui traîne en arrière. C’est une économie qui est très dynamique et en fait, quand on regarde les villes au Canada, c’est les villes du Québec et les villes de la Colombie-Britannique qui sont les plus dynamiques sur le plan économique. Et donc, quand le chômage est bas, le taux de postes vacants est forcément plus élevé. Nous, c’est la première génération qu’on a ça. Nos gens d’affaires sont en état de choc à cause de ça et ils doivent évidemment utiliser bien d’autres moyens que seulement l’immigration. Ça prendrait à mon avis un pacte économique entre les gens d’affaires et le gouvernement du Québec pour déterminer, bon, oui, on fait venir des immigrants, on s’assure que la composition de l’immigration est bien adaptée aux besoins réels. On cherche tous les moyens de réduire le temps d’attente, d’améliorer l’adéquation entre les gens qui viennent et les besoins de nos entreprises, on fait tout ça, mais on ne peut pas penser réussir ça si on fait passer le taux d’immigration, par exemple, de 50 000 par année à 100 000 par année. 

— OK. 

— Ça va être le chaos social, je veux dire… Puis là, l’opinion de la majorité des Québécois de leurs entreprises va devenir très négative. Aussi, on est plus sensibles au risque social qu’il y ait de monter l’attitude de la population interne contre l’immigration.  Au Québec, à l’heure actuelle, nos gens sont plus favorables à l’immigration que dans le reste du Canada. On est plus favorable à l’immigration au Québec…

— Et il ne faut pas que ça change.

— … que dans le reste du Canada. Mais si on pousse trop fort, il y a danger, avec trop d’immigrants, et ça, c’est le grave danger qui menace le reste du Canada.

— OK. 

— Le danger que ça attise la xénophobie et éventuellement le racisme et qu’on recule finalement à 20 000 ou 10 000 immigrants par année plutôt que de rester plus haut.

— Absolument. Merci beaucoup pour cette analyse avec nous ce soir.


Les économies avancées d'Asie ont désormais des indices de fécondité inférieurs à ceux du Japon

La liste des choses pour lesquelles le Japon jouit d’une réputation mondiale comprend une cuisine délicieuse, une technologie de pointe, une offre excédentaire de bars karaoké et un nombre insuffisant de bébés. En 1990, le Japon a atteint un indice de fécondité record pour l’année précédente — le fameux « choc de 1,57 ». Soit 1,57 enfant par femme. Pendant des années, l’archipel nippon a été considéré comme un précurseur du vieillissement et de la contraction des sociétés riches.


Une grande partie de l’Asie l’a maintenant rattrapé ou dépassé. Le taux de fécondité du Japon était de 1,3 enfant par femme en 2020, la dernière année pour laquelle des chiffres comparables sont disponibles, cela le place à égalité avec la Chine continentale, selon le Population Research Bureau, une agence américaine. Le taux de natalité de la Chine est probablement déjà tombé sous celui du Japon : il y a eu 10,6 millions de naissances chinoises l’année dernière, contre 12 millions en 2020, soit une baisse de 11 % alors que le nombre de naissances n’a baissé que de 3 % au Japon.

La fécondité japonaise est très basse par rapport à presque toutes les sociétés de l’histoire humaine. Pourtant, il est maintenant plus élevé que celui de n’importe quelle économie prospère de l’Extrême-Orient (l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud-Est). L’indice de fécondité de natalité à Hong Kong, Macao, Singapour, la Corée du Sud et Taïwan se situait entre 0,8 et 1,1 en 2020 (voir graphique ci-dessus). Il ne s’agit pas non plus d’un accident temporaire causé par la pandémie : la natalité du Japon était également supérieure à tous ces pays en 2019.

Ces pays asiatiques riches et qui boudent les naissances ont trois choses en commun. Premièrement, leur peuple a peu d’enfants hors mariage. Seuls 2 % environ des naissances au Japon et en Corée du Sud sont le fait de mères célibataires, les niveaux les plus bas de l’OCDE, un club de pays riches. Dans les pays occidentaux riches, ce chiffre se situe généralement entre 30 % et 60 %.  Ce taux de naissances hors mariage est de 62,4 % au Québec en 2019 avec un indice de fécondité d’environ 1,5 enfant/femme. En Chine, les rares femmes qui tombent enceintes hors mariage se voient souvent refuser des prestations. La baisse des naissances dans la région a suivi de près une baisse des mariages.

Un deuxième facteur commun est la scolarité coûteuse. Les cours particuliers onéreux et d’autres formes « d’éducation parallèle » qui vident le porte-monnaie, comme on appelle ces extras, sont courants en Asie de l’Est. La raison la plus fréquemment citée par les couples japonais pour avoir moins d’enfants est le coût de leur instruction et leur coût de la vie pour les élever. Lucy Crehan, chercheuse en éducation, affirme que ces problèmes pourraient être encore pires dans d’autres parties de l’Asie. Les élèves japonais ne sont confrontés à leurs premiers examens cruciaux qu’à l’âge de 15 ans. En revanche, les enfants de Chang-haï et de Singapour doivent passer ces tests dès l’école primaire, ce qui accroît la pression parentale et alourdit les frais de scolarité de la famille.

Pourtant, c’est le troisième facteur qui pourrait expliquer pourquoi le Japon surpasse ses riches homologues asiatiques. Une vague de recherches ces dernières années suggère que les prix élevés de l’immobilier poussent les jeunes couples à retarder la venue d’enfants. Un article a révélé qu’une augmentation de 10 000 $ des prix des maisons aux États-Unis entraînait une augmentation de 5 % de l’indice de fécondité chez les propriétaires, mais une diminution de 2,4 % chez les locataires. Dans une grande partie de l’Asie de l’Est et en particulier dans la Chine urbaine, l’achat d’une maison est une tâche ardue pour les jeunes. La Corée du Sud, dont le taux de fécondité de 0,8 est le plus bas de la région, a en conséquence un ratio prix de l’immobilier/revenu (le nombre d’années de revenu nécessaire pour acheter une maison) de 16,6, le plus élevé de l’OCDE après la Nouvelle-Zélande. Le ratio japonais de 7,5 est parmi les plus bas. 

Rappelons que le Canada se classe parmi les pays où le prix des logements par rapport aux revenus est le plus haut.

Le problème des prix élevés de l’immobilier qui empêchent les jeunes familles de s’installer n’est pas propre à l’Asie. Mais le marché immobilier japonais est différent. Contrairement à la plupart des pays riches, il a des règles d’urbanisme qui facilitent relativement la construction de plus de maisons. Le parc de logements à Tokyo a constamment augmenté plus rapidement que la population de la ville (qui continue également d’augmenter). De plus, les maisons japonaises ne sont pas construites pour durer, elles sont donc démolies et remplacées régulièrement. Le fisc japonais considère que les maisons japonaises en bois se déprécient pour atteindre une valeur de zéro après 22 ans. Cela signifie que le marché secondaire de l’immobilier résidentiel est plus limité et incite les propriétaires fonciers à démolir les vieux bâtiments et à en construire de plus grands.

Les économistes se demandent dans quelle mesure le logement relativement abordable du Japon est dû à ces politiques d’offre et de construction ou dans quelle mesure ces logements abordables sont dus à la lenteur de la croissance économique du pays. Mais la facilité de construction est susceptible de juguler l’augmentation des prix.

Source : The Economist

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