Dans cette nouvelle pièce intitulée « Moi, Jeanne », la pucelle de Domrémy, figure historique et vénérée comme sainte par les catholiques, figurera en personnage « non-binaire ». Isobel Thom, qui l’interprètera, utilisera uniquement les pronoms neutres « they » (ils/elles) et « them » (leurs) pour désigner ses interlocuteurs. Et ces derniers en feront de même avec elle. Cette lecture ne fait pas l’unanimité. Frank Furedi, professeur émérite à l’Université du Kent cité par le quotidien britannique The Times, craint que la pièce soit une occasion de « réécrire l’histoire ». « Quelqu’un comme Jeanne d’Arc n’aurait aucune idée de ce qu’est être un non binaire. C’est une requalification de quelque chose qui n’existait même pas à l’époque », déclare-t-il, qualifiant le projet de « fantasme à l’envers ».
Jeanne d’Arc, bergère Lorraine, était âgée de 18 ans lorsqu’elle a pris les armes pour défendre le roi de France Charles VII, en pleine guerre de Cent Ans, avant d’être brûlée sur un bûcher en 1431. Selon Charlie Josephine, auteur de la pièce et elle-même « non binaire », celle qu’on appelle la « pucelle d’Orléans » est « cette jeune personne de la classe ouvrière qui transgressait le genre, à une époque où c’était vraiment dangereux ».« L’histoire a fourni d’innombrables et merveilleux exemples de Jeanne dépeinte en tant que femme. Cette production offre simplement la possibilité d’un autre point de vue », affirme à son tour Michelle Terry. La directrice artistique de ce théâtre shakespearien, réplique de celui où officiait le dramaturge au XVIe siècle, sur la rive sud de la Tamise, a déclaré par ailleurs ne pas faire partie des premiers « à présenter Jeanne de cette manière, et nous ne serons pas les derniers ».
Cette lecture de la figure historique s’inscrit d’ailleurs, avance-t-elle, dans celle de l’Oxford English Dictionary, qui retrace l’usage du pronom « they » y compris pour une personne singulière dès l’année 1375, bien avant Jeanne d’Arc. « Les théâtres ne traitent pas d’une réalité historique », défend-elle, ils « produisent des pièces, et dans les pièces, tout peut être possible ».
L’ancien maître des lieux, affirme encore Michelle Terry, aurait approuvé cette version de la sainte. « Shakespeare n’a pas écrit de pièces historiquement exactes. Il a pris des personnages du passé pour poser des questions sur le monde qui l’entoure », argumente Michelle Terry. « Nos écrivains d’aujourd’hui ne font pas de différence, qu’il s’agisse d’Ann Boleyn, Nell Gwynn, Aemilia Bassano, Édouard II ou Jeanne d’Arc. Le Globe est un lieu d’imagination. Un lieu où, pour un court laps de temps, on peut au moins envisager la possibilité de mondes autres ».
Cette lecture ne fait pas l’unanimité. Frank Furedi, professeur émérite à l’Université du Kent cité par le quotidien britannique The Times, craint que la pièce soit une occasion de « réécrire l’histoire ». « Quelqu’un comme Jeanne d’Arc n’aurait aucune idée de ce qu’est être un non binaire. C’est une requalification de quelque chose qui n’existait même pas à l’époque », déclare-t-il, qualifiant le projet de « fantasme à l’envers ».
La Reine Elizabeth Ire serait aussi non binaire
« Je sais que je n’ai que le corps d’une femme faible et chétive », a dit un jour Elizabeth Ire pour rallier ses troupes face à l’Armada espagnole, « mais j’ai le cœur et l’estomac d’un roi ». Et elle aurait également été une personne non binaire, selon des universitaires travaillant pour le Shakespeare’s Globe, qui ont jeté le doute sur l’identité sexuelle de l’une des plus grandes reines d’Angleterre.
Dans un essai publié par le théâtre, Elizabeth I a été présentée comme pouvant être non-binaire, et la reine y est désignée par les pronoms neutres « they/them » (ils/eux). « Les femmes historiques ont adopté une identité masculine ».
L’essai a été rédigé par un « formateur en sensibilisation aux questions de transsexualité » pour défendre la décision du Globe de monter une nouvelle pièce mettant en scène une Jeanne d’Arc non binaire, mais la pièce et l’essai ont suscité des inquiétudes quant à la disparition de femmes célèbres dans l’histoire. L’essai affirme : « Elizabeth I… se décrivait régulièrement dans ses discours comme “roi”, “reine” et “prince”, choisissant stratégiquement de souligner son identité féminine ou son rôle monarchique masculin à différents moments. »
Elizabeth Ire d’Angleterre |
L’essai publié sur le site internet du théâtre du Globe, écrit par le militant trans Dr Kit Heyam, suggère que les femmes historiques n’étaient pas seulement des rebelles pour avoir accompli des tâches considérées comme typiquement masculines, mais qu’elles ont aussi, dans un certain sens, adopté une identité masculine.
L’auteur JK Rowling a fait part de sa stupéfaction à l’idée que le Shakespeare’s Globe dépeigne Jeanne d’Arc comme une personne non binaire en aimant un message sur Twitter : « Bientôt : Napoléon était une femme parce qu’il a été vaincu à Waterloo. »
Dr Kit Heyam (ils/eux ou il/lui) sont/est des/un formateur·s de sensibilisation trans basé·s à Leeds |
« Des femmes célèbres rayées de l’histoire »
Les intellectuelles féministes craignent que la remise en cause de la féminité de femmes éminentes (parce qu’elles ont adopté des comportements virils ou fait des choses censément « viriles ») élimine de l’histoire des femmes de nombreuses figures célèbres.
Le Dr Jane Clare Jones, philosophe, a déclaré : « C’est un très bon exemple du conservatisme de genre inhérent à l’idéologie de l’identité de genre. Le conservatisme de genre traditionnel dit que les hommes doivent faire des choses “viriles” et les femmes des choses “féminines”. L’idéologie de l’identité de genre inverse cela et nous nous retrouvons avec l’idée que toute personne qui fait des choses “viriles” doit être un homme, et que toute personne qui fait des choses “féminines” doit être une femme. C’est ainsi que nous nous retrouvons dans une situation où les femmes historiques qui ont joué des rôles traditionnellement “masculins” finissent par être reclassées dans la catégorie des “hommes trans” ou des “non-binaires” ou des “non-femmes” en quelque sorte. »
« C’est un message vraiment régressif à envoyer, surtout aux jeunes femmes »
Joan Smith, auteur de l’ouvrage féministe Misogynies, a déclaré au Telegraph : « Les femmes et les filles ont le droit de rejeter les stéréotypes sans perdre leur sexe. Nous n’avions pas assez de modèles féminins au départ, nous avons passé des décennies à redécouvrir des femmes artistes, auteurs, leaders. Et maintenant, une idéologie régressive tente de les faire disparaître. »