Si le seuil de renouvellement des générations est de 2,1 enfants par femme environ, il est plus élevé lorsqu’on considère des lignées uniques (votre descendance directe).
En France, où la mortalité infantile est inférieure à la moyenne mondiale, le taux de remplacement des générations est de 2,06 enfants par femme.
Avec la baisse du taux de natalité dans la majorité des pays, la question de la valeur du seuil de renouvellement des générations, le nombre d’enfants par femme qu’il faut atteindre pour stabiliser une population et éviter qu’elle ne décline, se pose de manière aiguë. Une étude japonaise parue dans la revue Plos One estimerait aujourd’hui « que les populations humaines ont besoin d’au moins 2,7 enfants par femme - un taux de fécondité bien plus élevé que ce que l’on pensait jusqu’à présent- pour éviter de manière fiable une extinction à long terme », selon un communiqué qui accompagne l’étude. Ce chiffre est en effet bien au-delà du seuil de 2,1 enfants par femme communément admis pour atteindre un équilibre démographique, et un renouvellement des générations sans augmentation ni diminution de la population.
L’argument des chercheurs japonais est que l’estimation habituelle du seuil de renouvellement ne prend pas assez en compte certains aspects aléatoires, comme des variations imprévisibles de la fécondité des individus d’une génération à l’autre, un phénomène appelé «stochasticité démographique».
Le « résultat » de 2,7 enfants par femme est donc l’illustration assez « logique que la probabilité d’extinction d’une seule lignée est assez élevée, car il peut y avoir des générations sans aucun enfant, pour des raisons diverses, des accidents ou des personnes infertiles », remarque Gilles Pison, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle et conseiller à la direction de l’INED
Rappelons que le seuil de 2,1 de renouvellement des générations n’est pas un paramètre absolu, mais le résultat pour les pays développés d’un calcul réalisé à partir de deux paramètres. Le premier d’entre eux est assez inattendu, et prend en compte le léger déséquilibre entre les sexes à la naissance, « avec en moyenne sur la planète 105 garçons pour 100 filles», rappelle Gilles Pison. Or pour des raisons assez facilement compréhensibles, ce léger déficit de femmes augmente à 2,05 le nombre d’enfant que chacune d’entre elles doit avoir pour stabiliser une population.
« Avortements sélectifs »
La situation peut se compliquer pour les pays, notamment en Asie, où les gens ont favorisé les naissances masculines, pour des raisons culturelles. «Dans des États comme la Chine, la Corée du Sud et le Vietnam, l’introduction d’appareils d’échographie portables ont permis de connaître le sexe de l’embryon avant le troisième mois de grossesse, et de procéder à des avortements sélectifs », raconte Gilles Pison. « En Chine, le déséquilibre a ainsi atteint un pic de 118 garçons pour 100 filles à la naissance dans les années 2000, ce qui fait mathématiquement grimper le seuil de renouvellement à plus de 2,2 enfants par femme.» Et vingt ans plus tard, malgré une politique visant désormais 3 enfants par femme en Chine, la courbe de fécondité poursuit sa descente, autour de 1 enfant par femme. Dans ce contexte, la pénurie de femmes ne fait qu’aggraver la situation, ce qui entraîne un vieillissement rapide du pays et une baisse rapide de sa population.
Le deuxième facteur pour calculer le seuil de renouvellement, et de loin le plus important, est celui de la mortalité qui survient avant l’âge de la maternité. Avec 24 femmes pour 1 000 qui meurent avant de pouvoir avoir enfant, cela fait passer le seuil de renouvellement de 2,05 au fameux 2,1. En France, où la mortalité infantile est inférieure à la moyenne mondiale, le taux de remplacement des générations est de 2,06 enfants par femme.
Mais dans les pays avec un plus fort taux de mortalité, ou dans le passé, les seuils pouvaient être bien plus élevés. «Sous l’ancien Régime, où seulement 55% des naissances féminines parvenaient à l’âge de 33 ans, âge moyen à la maternité, le taux de remplacement était 2,05 divisé par 0,55, soit 4,6 enfants par femme, ce qui explique que malgré une fécondité un peu supérieure à 5 enfants par femme, la population ne s’accroissait que lentement », rapporte Hervé Le Bras. En Nouvelle-France, la situation était différente, voir encadré ci-dessous.
D’après la Banque mondiale, le taux de fertilité planétaire était de 2,3 en 2020, il est aujourd’hui voisin de 2,2 et il devrait poursuivre sa baisse. La population mondiale devrait ainsi atteindre un pic prochainement, autour de 10,3 milliards dans les années 2080, selon les Nations unies, avant de commencer à décroître inexorablement.
En Nouvelle-France (principalement le Canada, centré sur la vallée du Saint-Laurent), la dynamique démographique était significativement différente de celle en France, avec une croissance rapide de la population malgré un faible apport migratoire.
En effet, les femmes en Nouvelle-France avaient environ 30 % d’enfants de plus que leurs homologues en France métropolitaine (voir les travaux d’Hubert Charbonneau ou du PRDH). La fécondité moyenne était d’environ 6 à 7 enfants par femme, voire plus pour les couples stables, grâce à plusieurs facteurs :
- Mariage précoce : Les femmes se mariaient plus jeunes (souvent entre 20 et 22 ans), ce qui allongeait leur période de fécondité.
- Conditions de vie : Les colons bénéficiaient d’une alimentation abondante (viande, poisson, eau pure) et de bonnes conditions de conservation des aliments en hiver, contrairement aux crises de subsistance fréquentes en France. Yves Landry note que « les Canadiens avaient une alimentation exceptionnelle pour l’époque », ce qui réduisait la malnutrition et soutenait la santé reproductive.
Notons un autre facteur qui influença la croissance démographique: la mortalité infantile plus faible en Nouvelle-France. En effet, bien que la mortalité infantile existât, elle était moindre qu’en France grâce à un environnement moins insalubre et à l’absence de grandes épidémies urbaines. Cette dynamique s’est poursuivie jusqu’au XVIIIe siècle, faisant des Canadiens une population majoritairement issue de la croissance naturelle plutôt que de l'immigration.
Contrairement à la France métropolitaine, où une fécondité de plus de 5 enfants par femme ne suffisait qu’à une croissance lente en raison d’une mortalité élevée (55 % des filles survivant jusqu’à 33 ans, nécessitant 4,6 enfants pour le remplacement), la Nouvelle-France connaissait une croissance démographique rapide. Avec une fécondité de 6 à 7 enfants par femme, une mortalité moindre, des mariages précoces et des conditions de vie favorables, la population a explosé, passant de 3 300 en 1666 à 90 000 en 1763.