mardi 14 juin 2022

Études de médecine : la fin de l’eldorado belge pour les Français ?

Les étudiants français sont toujours plus nombreux à tenter leur chance en Belgique en 2021, ils étaient près de 35 % à présenter l’examen d’entrée là-bas. Mais le remplacement de cet examen par un concours pourrait changer la donne, d’autant qu’il devrait s’accompagner de la baisse du nombre de non-résidents, donc de Français, autorisés à étudier.

Examen d’entrée aux études de médecine en Belgique (francophone) en 2007

Petite révolution en Belgique francophone. Qui pourrait rejaillir sur les très nombreux étudiants français qui y vont pour tenter médecine. À partir de 2023, l’examen d’entrée en études de médecine-dentisterie en Fédération Wallonie-Bruxelles sera remplacé par un concours d’entrée. Une réforme qui reverrait à la baisse le pourcentage d’étudiants étrangers autorisés à y faire leur cursus. Ce n’est pas la première fois que nos voisins belges modifient les modalités de sélection en médecine. Au milieu des années 1990, la décision est prise de réglementer l’offre médicale en fixant chaque année un nombre de médecins agréés par l’institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami). Sans tergiverser, la Flandre met en place un examen d’entrée, qui devient en 2017 un concours, respectant ainsi le nombre de numéros Inami qui lui est accordé. À l’inverse, la Fédération Wallonie-Bruxelles teste différents filtrages (en fin de troisième année, en fin de première année), passe plusieurs années sans aucune sélection, avant d’instaurer en 2017 un examen d’entrée. Mais les francophones diplôment toujours un nombre de médecins dépassant le nombre de numéros Inami qui leur est attribué, piochant chaque année dans le stock de numéros des années suivantes et constituant ainsi une « dette » grandissante. « Il faut bien le reconnaître, cela a constitué une certaine cacophonie », admet Vincent Blondel, le recteur de l’université catholique de Louvain.

Satisfaction des universités

Pendant plus d’un demi-siècle, cette dichotomie entre les néerlandophones et les francophones empoisonna la vie politique belge. Les tensions étaient telles que, en 2021, le ministre fédéral de la Santé, Frank Vandenbroucke, tapa du poing sur la table. Via un projet de loi, il menaça de mettre en place un système de délivrance d’attestations de contingentement en fin de première année d’études, qui seules permettraient d’obtenir un numéro Inami, laissant ainsi les autres étudiants ayant réussi leurs examens sans perspective. Un projet inacceptable pour les francophones. Des négociations s’ouvrirent entre le gouvernement fédéral, compétent sur les questions de santé, et le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, chargé de gérer l’enseignement supérieur dans la partie francophone du pays. Les deux parties parvinrent finalement à un accord au printemps 2022. En échange de la garantie que tous les étudiants recevraient bien un numéro Inami à l’issue de leurs études, et d’un calcul « plus fin » des besoins en matière d’offre médicale par la commission de planification fédérale, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’engagea à remplacer à partir de 2023 son examen par un concours d’entrée, comme le pratique déjà la Flandre. Pour 2028, les quotas sont fixés à 744 pour la partie francophone et 1 104 pour la partie néerlandophone. Ils évolueront en fonction des besoins pour les années suivantes.

« Je ne dis pas que c’est le grand soir, mais je pense que cela va apaiser les relations entre les communautés. On a la preuve qu’on est capables de fonctionner ensemble sur la base d’un fédéralisme mature », se réjouit auprès du Figaro Valérie Glatigny, ministre du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, notamment chargée de l’enseignement supérieur.

« Nous clôturons un chapitre épineux qui s’est éternisé pendant plus de vingt-cinq ans. Nous repartons d’une feuille blanche sur la base d’une estimation objective des besoins par la commission de planification fédérale », réagit le ministre fédéral de la Santé. Les universités concernées, au nombre de cinq, se disent également satisfaites. « C’est la solution la plus respectable au vu de l’épée de Damoclès qui planait au-dessus de la tête des étudiants », commente Nicolas Mavroudakis, doyen de la faculté de médecine à L’ULB [Bruxelles]. « C’est une bonne solution, je suis heureux de l’issue de ces négociations », renchérit Vincent Blondel, le recteur de L’UCL [Louvain-La-Neuve, mais avec un hôpital universitaire à Bruxelles]. « Ça permet aux étudiants d’étudier sereinement », complète Françoise Smets, doyenne de la faculté de médecine de L’UCL.

Les étudiants sont quant à eux partagés. Si tous se félicitent de la garantie d’obtenir un numéro Inami à la sortie de leurs études, certains rappellent leur opposition à toute forme de sélection, qu’elle prenne la forme d’un examen ou d’un concours. « Les étudiants soulignent que l’enseignement secondaire en Belgique est très inégalitaire et donc que, s’il y a une sélection dès l’entrée en études de médecine, ceux qui ont été moins favorisés dans le secondaire seront pénalisés », résume Françoise Smets. 

« L’enseignement secondaire belge est connu pour être l’un des plus inégalitaires de L’OCDE », insiste Yazdan, en deuxième année à L’UCL. Ceux qui ont le plus de chance de réussir « sont ceux qui viennent d’un milieu favorisé. Le concours va renforcer le caractère élitiste des études de médecine et favoriser un entre-soi social dans la profession », estime Lucas van Molle, président de la Fédération des étudiants francophones (FEF). « Nous pouvons comprendre cette position, reprend Françoise Smets. Mais nous pensons qu’une sélection reste indispensable pour plusieurs raisons. Et qu’il vaut mieux qu’elle ait lieu à l’entrée pour éviter à ceux qui échouent de perdre un an, deux ans ou trois ans, et pour faire disparaître toute idée de compétition entre étudiants par la suite. » Tiziana, en quatrième année à l’ULB, est également d’avis qu’« il faut bien sélectionner quelque part ». « Il y a beaucoup de jeunes qui veulent faire médecine. On ne peut pas prendre tout le monde… De toute façon, le vrai problème, ce n’est pas “concours ou examen ?” Pour moi, la question, c’est de savoir si, sur le long terme, le nombre de médecins sera suffisant. »

Côté flamand, les réactions sont plus que mitigées.

« Pas certain que tous les doyens flamands voient cet accord d’un bon œil », glisse un francophone. « Certains sont encore très rancuniers, parce que la Fédération Wallonie-Bruxelles ne s’est pas mise en ordre aussi vite et efficacement que la Flandre. » Par la voix de sa vice-présidente, Valérie Van Peel, le parti [nationaliste flamand] N-VA dénonce quant à lui un « pardon général », et ce « seulement en échange de la promesse d’organiser un concours d’admission ». La ministre Valérie Glatigny l’assure pourtant : l’examen d’entrée en médecine en Fédération Wallonie-Bruxelles aura bel et bien lieu cet été pour la dernière fois. Ou plutôt pour les dernières fois, puisque deux sessions sont organisées, une le 5 juillet, l’autre le 27 août. Les candidats peuvent se présenter soit à la première, soit à la deuxième, soit aux deux. L’examen est composé de deux épreuves comportant chacune quatre matières : une de connaissance et compréhension des matières scientifiques (chimie, biologie, physique, mathématiques), l’autre de communication et analyse critique de l’information. Pour être reçu, un candidat doit obtenir une moyenne supérieure à 10 sur 20 dans chacune des deux parties, avec un minimum de 8 sur 20 dans chacune des huit matières. Cet examen est extrêmement sélectif. En 2021, 5443 candidats s’étaient présentés à la session de juillet, 3975 à la session d’août. 483 avaient été retenus à la première session (soit 8,9 %), 744 à la seconde (soit 18,7 %).

Adieu aux notes minimales

Dès 2023, l’examen sera remplacé par un concours d’entrée, qui devrait avoir lieu en une session unique organisée à la fin du mois d’août. Les modalités de ce concours ne sont pas encore totalement définies, mais les huit matières qui composaient déjà l’examen d’entrée devraient être maintenues. « La vraie différence, c’est que, plutôt que de prendre tous ceux qui ont plus de 10/20, on prendra le nombre d’étudiants qui a été négocié », explique Vincent Blondel. Autre différence de taille : adieu les notes minimales dans chacune des matières. Troisième différence : la baisse du pourcentage d’étudiants non-résidents autorisés à suivre des études de médecine en Fédération Wallonie-Bruxelles. « Le gouvernement envisage une réduction du nombre maximal (de non-résidents, NDLR), passant de 30 % à 15 %, afin de garantir une offre de soins suffisante à la population et de limiter le risque de pénurie lié à des praticiens qui quittent le territoire au terme de leurs études, et ne contribuent donc pas au renouvellement de la force de travail », est-il indiqué dans le communiqué du 26 mai. Ce changement « envisagé » pourrait bouleverser la donne pour les jeunes étrangers désireux de devenir médecins. Notamment les étudiants français, qui sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance en Belgique, attirés par la proximité des universités, la qualité de la formation et l’utilisation du français comme langue d’études et de travail. En 2017, 13,4 % des jeunes qui présentaient l’examen d’entrée en études de médecine étaient de nationalité française ; en 2021, ils étaient près de 35 %. Plus globalement, aujourd’hui, la moitié des candidats à l’examen d’entrée sont non-résidents. Le quota maximum de 30 % d’étudiants non-résidents a été atteint pour la première fois l’année dernière. À l’avenir, si ce quota diminue de moitié, il pourrait être atteint chaque année. La fin de l’eldorado belge pour les étudiants francophones, venus de France et d’ailleurs ?

Le concours va renforcer le caractère élitiste des études de médecine et favoriser un entre-soi social.

Lucas van MOLLE, président de La Fédération des étudiants Francophones FEF