mercredi 5 novembre 2025

L’Université de Chicago, victime de sa course au prestige


Des ambitions dignes des Ivy League, une facture astronomique


Célèbre pour avoir formé Milton Friedman et plus d’une trentaine de lauréats du Nobel, l’Université de Chicago traverse une grave crise financière. Après quatorze années de déficits budgétaires consécutifs, l’établissement est contraint de réduire la voilure : gel des embauches, suspension de près de vingt programmes de doctorat, et coupes de 100 millions de dollars annoncées cet été.

Cette institution du Midwest, longtemps considérée comme un bastion de rigueur intellectuelle, a voulu rivaliser avec les prestigieuses universités de la côte Est. Sous la présidence du mathématicien Robert Zimmer (2006–2021), l’université s’est lancée dans une série d’investissements colossaux : laboratoires ultramodernes, nouvelles résidences, centre d’arts occupant tout un pâté de maisons, et même un campus flambant neuf à Hong Kong. Objectif : attirer davantage d’étudiants et hausser son profil international.

La dette d’un rêve

Ces projets ont dopé l’attractivité de l’université : le nombre d’étudiants de premier cycle a doublé en vingt ans et le taux d’admission est tombé à moins de 5 %. Mais le rêve a un prix : la dette totale atteint aujourd’hui 4,5 milliards de dollars, un niveau comparable à celui de Princeton ou Yale, bien que Chicago dispose de deux fois moins d’actifs.

Pour financer cette expansion, l’université a souvent recouru à des emprunts à taux élevés, voire à des prêts destinés à couvrir ses frais de fonctionnement — une pratique rare dans l’enseignement supérieur. En parallèle, les frais de scolarité ont explosé : plus de 71 000 dollars par an, soit deux fois plus qu’au début des années 2000.

Malgré une campagne de levée de fonds record (plus de 5 milliards de dollars) et un milliard supplémentaire collecté en 2025, le déséquilibre demeure. Les agences de notation, de Moody’s à Fitch, signalent un secteur universitaire « sous tension » et jugent la situation de l’université « stable mais fragile ».

L’ombre d’un modèle à bout de souffle

Les causes du malaise dépassent le cas de Chicago. Dans tout le pays, les universités prestigieuses sont piégées par une spirale d’endettement née des taux d’intérêt historiquement bas des années 2010. La concurrence pour attirer étudiants et mécènes a déclenché une frénésie de construction et de communication coûteuse, sans garantie de rentabilité.

À Chicago, les rendements du fonds de dotation sont inférieurs à ceux des Ivy League, tandis qu’une grande partie de l’argent reste bloquée dans des placements privés peu liquides. La hausse du coût du travail et la stagnation des subventions fédérales n’ont fait qu’aggraver la situation.

Tensions sur le campus

Sur le terrain, la grogne monte. Des tracts circulent sur le campus : « UChicago : vous dépensez nos frais de scolarité pour réparer vos erreurs », dénoncent des étudiants. Des enseignants fustigent des décisions prises sans concertation, notamment la suspension d’admissions en doctorat.

Les humanités sont les plus touchées. « Nous devons décider quel type d’université nous voulons être », résume la professeure de lettres classiques Carolina López-Ruiz, qui craint une réduction durable des ambitions de recherche au profit de l’enseignement de masse.

Quand l’élitisme se heurte à la réalité financière

L’Université de Chicago n’est pas seule à faire face à ce mur budgétaire : New York University ou l’Université de Californie du Sud affichent elles aussi des déficits croissants. Mais dans le cas de Chicago, symbole de l’excellence académique américaine, le contraste est saisissant : des dépenses d’apparat, une dette colossale et un avenir incertain.

Derrière la façade d’un campus rénové à coups de milliards se profile une question que tout l’enseignement supérieur américain devra affronter : jusqu’où peut-on acheter du prestige avant que la facture ne devienne insoutenable ?