Question. — Comment qualifieriez-vous la situation du christianisme en France ?
Éric Zemmour. — Je commencerai par rappeler une réalité historique : c’est le christianisme qui a fait la France. Le général de Gaulle disait : « L’histoire de mon pays a commencé avec la conversion de Clovis au catholicisme. » Au cours de mille ans d’histoire, l’Église a fait les rois, les rois ont fait la nation et la nation a fait la République. Mais, dès le milieu du XVIIIe siècle, avant même la Révolution française donc, un phénomène de déchristianisation colossal s’est amorcé avec les Lumières. Je cite dans mon livre cette phrase magnifique de Chateaubriand : « Voltaire eut l’art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l’incrédulité à la mode… » Il y a eu des vagues de rechristianisation très puissantes, en général d’ailleurs après nos catastrophes militaires, en 1815, 1870 ou 1940, mais qui n’ont pas arrêté la déchristianisation du pays. Dans une période plus récente, je pense que Vatican II a accéléré ce mouvement. La chanson de Brassens : « Sans le latin la messe nous emmerde » résume, sur un registre évidemment rigolard, le sentiment général. De façon un petit peu plus savante et malheureusement moins talentueuse, je dirai que l’Église a protestantisé le catholicisme. Là où le christianisme avait eu le génie depuis 2000 ans de fonder la liturgie sur l’émotion, la hiérarchie catholique a fait sienne la philosophie du protestantisme qui est de faire appel à la raison. Et je pense que ce fut une erreur historique.
Jérôme Fourquet. — Je partage le constat d’Éric Zemmour sur la déchristianisation de la France. En ce qui concerne Vatican II, je ferais volontiers un parallèle avec ce qu’avait tenté Gorbatchev en Union soviétique. Voyant que les lézardes dans le barrage étaient de plus en plus importantes, la hiérarchie catholique comme les dirigeants soviétiques ont essayé de relâcher la pression en desserrant le carcan. Et ce faisant, on n’a fait qu’accélérer un mouvement qui était déjà entamé et qui a finalement tout emporté. L’historien Guillaume Cuchet raconte comment les éléments de piété populaire, faire maigre le vendredi par exemple, ont été abandonnés, parce qu’on préférait que les églises soient moins remplies, mais avec des gens ayant vraiment la foi. Tout cela n’a fait qu’accélérer la déchristianisation. Aujourd’hui, 5 % de la population française va encore à la messe le dimanche. C’était 35 % avant Vatican II. 30 % des enfants sont baptisés à la naissance, contre 70 % au début des années 1980. Les constantes vitales du catholicisme en France sont donc très dégradées. Mais de surcroît, le soubassement culturel et anthropologique judéo-chrétien s’est lui-même disloqué. La citrouille d’Halloween n’a pas encore complètement remplacé le chrysanthème, mais on s’en approche. Dans nos enquêtes récentes, plus personne ou presque ne connaît les fondements de la doctrine chrétienne comme l’Assomption ou la Pentecôte. Le substrat chrétien est en voie d’effacement en ce qui concerne par exemple le rapport au corps, l’institution du mariage, la hiérarchie homme-animal ou les rites funéraires, etc. En 1980, 1 % des obsèques donnaient lieu à une crémation en France. On est à 45 % aujourd’hui. Un autre signe de la déchristianisation est l’évolution des prénoms : en 1900, 20 % de petites filles s’appelaient Marie, c’est 0,2 % aujourd’hui. Le catholicisme, comme les autres religions est non seulement une foi, mais également une identité culturelle, qui est en voie de disparition.
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| Disparition du prénom Marie en France |



