mercredi 5 novembre 2025

« La France est-elle encore chrétienne ? »

Débat exclusif entre Éric Zemmour et Jérôme Fourquet dans le Figaro Magazine.  Autrefois qualifiée de « fille aînée de l’Église », la France est un des pays les plus déchristianisés d’Occident. Mais est-ce irrémédiable ?   La citrouille d’Halloween va-t-elle définitivement l’emporter sur le chrysanthème de la Toussaint ? « La messe n’est pas dite », répond Éric Zemmour dans son nouvel essai. Le président de Reconquête en appelle à un sursaut spirituel, seul moyen selon lui de préserver l’identité de la France face à un islam conquérant.  Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’IFOP et analyste lumineux de la société française, observe pour sa part des signes d’un regain d’attrait pour le catholicisme, mais doute qu’une rechristianisation du pays soit pour autant possible. Ils ont accepté de confronter leurs points de vue pour Le Figaro Magazine.

Question. — Comment qualifieriez-vous la situation du christianisme en France ?

Éric Zemmour. — Je commencerai par rappeler une réalité historique : c’est le christianisme qui a fait la France. Le général de Gaulle disait : « L’histoire de mon pays a commencé avec la conversion de Clovis au catholicisme. » Au cours de mille ans d’histoire, l’Église a fait les rois, les rois ont fait la nation et la nation a fait la République. Mais, dès le milieu du XVIIIe siècle, avant même la Révolution française donc, un phénomène de déchristianisation colossal s’est amorcé avec les Lumières. Je cite dans mon livre cette phrase magnifique de Chateaubriand : « Voltaire eut l’art funeste, chez un peuple capricieux et aimable, de rendre l’incrédulité à la mode… » Il y a eu des vagues de rechristianisation très puissantes, en général d’ailleurs après nos catastrophes militaires, en 1815, 1870 ou 1940, mais qui n’ont pas arrêté la déchristianisation du pays. Dans une période plus récente, je pense que Vatican II a accéléré ce mouvement. La chanson de Brassens : « Sans le latin la messe nous emmerde » résume, sur un registre évidemment rigolard, le sentiment général. De façon un petit peu plus savante et malheureusement moins talentueuse, je dirai que l’Église a protestantisé le catholicisme. Là où le christianisme avait eu le génie depuis 2000 ans de fonder la liturgie sur l’émotion, la hiérarchie catholique a fait sienne la philosophie du protestantisme qui est de faire appel à la raison. Et je pense que ce fut une erreur historique.

Jérôme Fourquet. — Je partage le constat d’Éric Zemmour sur la déchristianisation de la France. En ce qui concerne Vatican II, je ferais volontiers un parallèle avec ce qu’avait tenté Gorbatchev en Union soviétique. Voyant que les lézardes dans le barrage étaient de plus en plus importantes, la hiérarchie catholique comme les dirigeants soviétiques ont essayé de relâcher la pression en desserrant le carcan. Et ce faisant, on n’a fait qu’accélérer un mouvement qui était déjà entamé et qui a finalement tout emporté. L’historien Guillaume Cuchet raconte comment les éléments de piété populaire, faire maigre le vendredi par exemple, ont été abandonnés, parce qu’on préférait que les églises soient moins remplies, mais avec des gens ayant vraiment la foi. Tout cela n’a fait qu’accélérer la déchristianisation. Aujourd’hui, 5 % de la population française va encore à la messe le dimanche. C’était 35 % avant Vatican II. 30 % des enfants sont baptisés à la naissance, contre 70 % au début des années 1980. Les constantes vitales du catholicisme en France sont donc très dégradées. Mais de surcroît, le soubassement culturel et anthropologique judéo-chrétien s’est lui-même disloqué. La citrouille d’Halloween n’a pas encore complètement remplacé le chrysanthème, mais on s’en approche. Dans nos enquêtes récentes, plus personne ou presque ne connaît les fondements de la doctrine chrétienne comme l’Assomption ou la Pentecôte. Le substrat chrétien est en voie d’effacement en ce qui concerne par exemple le rapport au corps, l’institution du mariage, la hiérarchie homme-animal ou les rites funéraires, etc. En 1980, 1 % des obsèques donnaient lieu à une crémation en France. On est à 45 % aujourd’hui. Un autre signe de la déchristianisation est l’évolution des prénoms : en 1900, 20 % de petites filles s’appelaient Marie, c’est 0,2 % aujourd’hui. Le catholicisme, comme les autres religions est non seulement une foi, mais également une identité culturelle, qui est en voie de disparition.

Disparition du prénom Marie en France

Les Américains pensent de plus en plus que le sexe et le genre sont déterminés à la naissance

Les données de 2025 suggèrent que la tendance américaine à croire que les hommes sont des mâles et les femmes des femelles se poursuit.


En 2017, près de la moitié des adultes américains pensaient qu'une personne pouvait être un homme ou une femme indépendamment de son sexe biologique à la naissance.

Sources : Pew, AP Norc


L’Université de Chicago, victime de sa course au prestige


Des ambitions dignes des Ivy League, une facture astronomique


Célèbre pour avoir formé Milton Friedman et plus d’une trentaine de lauréats du Nobel, l’Université de Chicago traverse une grave crise financière. Après quatorze années de déficits budgétaires consécutifs, l’établissement est contraint de réduire la voilure : gel des embauches, suspension de près de vingt programmes de doctorat, et coupes de 100 millions de dollars annoncées cet été.

Cette institution du Midwest, longtemps considérée comme un bastion de rigueur intellectuelle, a voulu rivaliser avec les prestigieuses universités de la côte Est. Sous la présidence du mathématicien Robert Zimmer (2006–2021), l’université s’est lancée dans une série d’investissements colossaux : laboratoires ultramodernes, nouvelles résidences, centre d’arts occupant tout un pâté de maisons, et même un campus flambant neuf à Hong Kong. Objectif : attirer davantage d’étudiants et hausser son profil international.

La dette d’un rêve

Ces projets ont dopé l’attractivité de l’université : le nombre d’étudiants de premier cycle a doublé en vingt ans et le taux d’admission est tombé à moins de 5 %. Mais le rêve a un prix : la dette totale atteint aujourd’hui 4,5 milliards de dollars, un niveau comparable à celui de Princeton ou Yale, bien que Chicago dispose de deux fois moins d’actifs.

Pour financer cette expansion, l’université a souvent recouru à des emprunts à taux élevés, voire à des prêts destinés à couvrir ses frais de fonctionnement — une pratique rare dans l’enseignement supérieur. En parallèle, les frais de scolarité ont explosé : plus de 71 000 dollars par an, soit deux fois plus qu’au début des années 2000.

Malgré une campagne de levée de fonds record (plus de 5 milliards de dollars) et un milliard supplémentaire collecté en 2025, le déséquilibre demeure. Les agences de notation, de Moody’s à Fitch, signalent un secteur universitaire « sous tension » et jugent la situation de l’université « stable mais fragile ».

L’ombre d’un modèle à bout de souffle

Les causes du malaise dépassent le cas de Chicago. Dans tout le pays, les universités prestigieuses sont piégées par une spirale d’endettement née des taux d’intérêt historiquement bas des années 2010. La concurrence pour attirer étudiants et mécènes a déclenché une frénésie de construction et de communication coûteuse, sans garantie de rentabilité.

À Chicago, les rendements du fonds de dotation sont inférieurs à ceux des Ivy League, tandis qu’une grande partie de l’argent reste bloquée dans des placements privés peu liquides. La hausse du coût du travail et la stagnation des subventions fédérales n’ont fait qu’aggraver la situation.

Tensions sur le campus

Sur le terrain, la grogne monte. Des tracts circulent sur le campus : « UChicago : vous dépensez nos frais de scolarité pour réparer vos erreurs », dénoncent des étudiants. Des enseignants fustigent des décisions prises sans concertation, notamment la suspension d’admissions en doctorat.

Les humanités sont les plus touchées. « Nous devons décider quel type d’université nous voulons être », résume la professeure de lettres classiques Carolina López-Ruiz, qui craint une réduction durable des ambitions de recherche au profit de l’enseignement de masse.

Quand l’élitisme se heurte à la réalité financière

L’Université de Chicago n’est pas seule à faire face à ce mur budgétaire : New York University ou l’Université de Californie du Sud affichent elles aussi des déficits croissants. Mais dans le cas de Chicago, symbole de l’excellence académique américaine, le contraste est saisissant : des dépenses d’apparat, une dette colossale et un avenir incertain.

Derrière la façade d’un campus rénové à coups de milliards se profile une question que tout l’enseignement supérieur américain devra affronter : jusqu’où peut-on acheter du prestige avant que la facture ne devienne insoutenable ?