Comment échapper au soupçon d’être une arme idéologique entre les mains du « suprématisme blanc » ?
« La culture occidentale doit ficher le camp »
La culture européenne, la civilisation occidentale sont-elles des choses du passé ? Ou pire, une ressource idéologique destinée à imposer la domination des hommes blancs sur le monde ? Les universités américaines ont été le théâtre d’intenses polémiques à ce sujet, il y a déjà bien des années.
À Stanford, en 1980, la réintroduction d’un cours de Western Thought (pensée occidentale) avait provoqué une véritable guérilla idéologique sur le campus. Des étudiants avaient manifesté, certains s’en souviennent peut-être au cri de « Hey, Hey, Ho, Ho, Western culture got to go ». La culture occidentale doit ficher le camp. Ce qu’ils reprochaient à ce cours, qui portait sur l’Antiquité gréco-romaine, la Renaissance et les Lumières, c’était que la « reading list », les 18 livres « hautement recommandés » pour en être diplômé, ne comportait que des auteurs européens, blancs et mâles. Platon, Cicéron, Érasme, Montaigne, Voltaire, John Locke, Hegel… oui, tous des mâles blancs, c’est indéniable. Mais après tout, les « déconstructeurs » qu’on leur oppose — Derrida, Foucault, Paul de Man aussi étaient des mâles blancs européens…
En 1988, le Sénat de cette université, son instance dirigeante en matière de programmes, a voté le remplacement des 18 livres fautifs par d’autres, dont les auteurs étaient des femmes, des personnes de couleurs, ou appartenant à une minorité. L’intitulé du cours, « pensée occidentale », a été jugé — je cite — « inapproprié, anachronique et provincial ». Et il a été remplacé par un autre, intitulé « Culture, Idées, Valeurs ». Les dirigeants de Stanford ont recommandé aux enseignants qui en sont chargés que soit « discutées dans le cadre de ce cours avec une attention particulière les questions de classe, de race et de genre. » Voilà qui était admirablement progressiste et politiquement correct. Et c’est devenu la norme dans la plupart des universités américaines.
Pas de licence de Civilisation occidentale en Australie !
Cette année, c’est de la lointaine Australie que nous vient l’écho d’une nouvelle polémique sur l’utilité ou non d’étudier la culture de notre vieille Europe. Paul Ramsay, un milliardaire philanthrope, qui avait créé une chaîne d’hôpitaux en Australie et en Asie, est mort en 2014. Désolé de constater que la culture européenne n’était plus enseignée en Australie, il a légué une part importante de sa colossale fortune pour la création d’un Centre pour l’étude de la civilisation européenne. Cette initiative est personnellement relayée par l’ancien Premier ministre libéral John Howard, qui a gouverné l’Australie entre 1996 et 2007.
La jeune directrice des Fondations de ce Programme, Bella d’Abrera, vient de publier sur le site Quillette, un texte remarquable. Le Centre Ramsay, explique-t-elle, a créé une licence de Civilisation occidentale, basée sur l’étude d’une sélection de grandes œuvres, tant littéraires qu’artistiques, retraçant l’histoire européenne et plus généralement occidentale. Le Centre a proposé à toutes les universités d’Australie de financer des chaires, des bourses d’études, des centres de recherche. Partout, elle a rencontré une franche hostilité. « Le rejet de cette licence de Civilisation occidentale, écrit-elle, est fondée sur l’absurde conviction que quiconque veut étudier la civilisation occidentale doit être _un suprématiste blanc_. Or, dans certains cercles académiques, cette civilisation est tenue responsable de tous les maux de la terre, passés, présents et futurs. »
Et elle cite à l’appui de ses dires un papier publié par le site The Conversation, assez typique, en effet, de l’épidémie d’occidentalophobie qui semble avoir frappé le monde universitaire anglo-saxon. Son auteur, Catharine Coleborne, est l’une des doyennes de l’Université en Newcastle en Nouvelles Galles du Sud, Australie. Le concept de civilisation occidentale a, d’après elle, je cite, « dépassé sa date de péremption ». Le premier reproche à lui adresser est d’être tout simplement « démodé ». Selon elle, il a été forgé et imposé au savoir universitaire après la Seconde Guerre mondiale, parce que les Anglo-Saxons, qui l’avaient gagnée, ont voulu alors réaffirmer leur domination sur le monde, en prétendant que leur culture était celle qui plongeait le plus loin dans le passé.
Peut-on étudier l’histoire des civilisations, y compris la nôtre, sans céder à la tentation de se prétendre les meilleurs ?
À ses yeux, toute étude spécifique de cette culture occidentale implique nécessairement une forme de prétention à la supériorité sur les autres. Ce qui constitue une affirmation bien étrange. La Chine a multiplié, ces dernières années, les Instituts Confucius à travers le monde et notamment, en Australie. On y enseigne l’ancienneté de la culture chinoise, qui dépasse celle de l’Occident, l’originalité de cette culture, les contributions qu’elle a faites à l’humanité. Mais elle ne prétend pas à une quelconque supériorité. Pas davantage que ne le fait notre Institut du monde arabe.
Il est donc parfaitement loisible d’étudier les cultures dans une perspective excluant toute idée de hiérarchie, et sans prétendre servir de modèle universel. Pourquoi la culture occidentale ne bénéficierait-elle pas de la même légitime curiosité ?
« La culture occidentale doit ficher le camp »
La culture européenne, la civilisation occidentale sont-elles des choses du passé ? Ou pire, une ressource idéologique destinée à imposer la domination des hommes blancs sur le monde ? Les universités américaines ont été le théâtre d’intenses polémiques à ce sujet, il y a déjà bien des années.
À Stanford, en 1980, la réintroduction d’un cours de Western Thought (pensée occidentale) avait provoqué une véritable guérilla idéologique sur le campus. Des étudiants avaient manifesté, certains s’en souviennent peut-être au cri de « Hey, Hey, Ho, Ho, Western culture got to go ». La culture occidentale doit ficher le camp. Ce qu’ils reprochaient à ce cours, qui portait sur l’Antiquité gréco-romaine, la Renaissance et les Lumières, c’était que la « reading list », les 18 livres « hautement recommandés » pour en être diplômé, ne comportait que des auteurs européens, blancs et mâles. Platon, Cicéron, Érasme, Montaigne, Voltaire, John Locke, Hegel… oui, tous des mâles blancs, c’est indéniable. Mais après tout, les « déconstructeurs » qu’on leur oppose — Derrida, Foucault, Paul de Man aussi étaient des mâles blancs européens…
En 1988, le Sénat de cette université, son instance dirigeante en matière de programmes, a voté le remplacement des 18 livres fautifs par d’autres, dont les auteurs étaient des femmes, des personnes de couleurs, ou appartenant à une minorité. L’intitulé du cours, « pensée occidentale », a été jugé — je cite — « inapproprié, anachronique et provincial ». Et il a été remplacé par un autre, intitulé « Culture, Idées, Valeurs ». Les dirigeants de Stanford ont recommandé aux enseignants qui en sont chargés que soit « discutées dans le cadre de ce cours avec une attention particulière les questions de classe, de race et de genre. » Voilà qui était admirablement progressiste et politiquement correct. Et c’est devenu la norme dans la plupart des universités américaines.
Pas de licence de Civilisation occidentale en Australie !
Cette année, c’est de la lointaine Australie que nous vient l’écho d’une nouvelle polémique sur l’utilité ou non d’étudier la culture de notre vieille Europe. Paul Ramsay, un milliardaire philanthrope, qui avait créé une chaîne d’hôpitaux en Australie et en Asie, est mort en 2014. Désolé de constater que la culture européenne n’était plus enseignée en Australie, il a légué une part importante de sa colossale fortune pour la création d’un Centre pour l’étude de la civilisation européenne. Cette initiative est personnellement relayée par l’ancien Premier ministre libéral John Howard, qui a gouverné l’Australie entre 1996 et 2007.
La jeune directrice des Fondations de ce Programme, Bella d’Abrera, vient de publier sur le site Quillette, un texte remarquable. Le Centre Ramsay, explique-t-elle, a créé une licence de Civilisation occidentale, basée sur l’étude d’une sélection de grandes œuvres, tant littéraires qu’artistiques, retraçant l’histoire européenne et plus généralement occidentale. Le Centre a proposé à toutes les universités d’Australie de financer des chaires, des bourses d’études, des centres de recherche. Partout, elle a rencontré une franche hostilité. « Le rejet de cette licence de Civilisation occidentale, écrit-elle, est fondée sur l’absurde conviction que quiconque veut étudier la civilisation occidentale doit être _un suprématiste blanc_. Or, dans certains cercles académiques, cette civilisation est tenue responsable de tous les maux de la terre, passés, présents et futurs. »
Et elle cite à l’appui de ses dires un papier publié par le site The Conversation, assez typique, en effet, de l’épidémie d’occidentalophobie qui semble avoir frappé le monde universitaire anglo-saxon. Son auteur, Catharine Coleborne, est l’une des doyennes de l’Université en Newcastle en Nouvelles Galles du Sud, Australie. Le concept de civilisation occidentale a, d’après elle, je cite, « dépassé sa date de péremption ». Le premier reproche à lui adresser est d’être tout simplement « démodé ». Selon elle, il a été forgé et imposé au savoir universitaire après la Seconde Guerre mondiale, parce que les Anglo-Saxons, qui l’avaient gagnée, ont voulu alors réaffirmer leur domination sur le monde, en prétendant que leur culture était celle qui plongeait le plus loin dans le passé.
Peut-on étudier l’histoire des civilisations, y compris la nôtre, sans céder à la tentation de se prétendre les meilleurs ?
À ses yeux, toute étude spécifique de cette culture occidentale implique nécessairement une forme de prétention à la supériorité sur les autres. Ce qui constitue une affirmation bien étrange. La Chine a multiplié, ces dernières années, les Instituts Confucius à travers le monde et notamment, en Australie. On y enseigne l’ancienneté de la culture chinoise, qui dépasse celle de l’Occident, l’originalité de cette culture, les contributions qu’elle a faites à l’humanité. Mais elle ne prétend pas à une quelconque supériorité. Pas davantage que ne le fait notre Institut du monde arabe.
Il est donc parfaitement loisible d’étudier les cultures dans une perspective excluant toute idée de hiérarchie, et sans prétendre servir de modèle universel. Pourquoi la culture occidentale ne bénéficierait-elle pas de la même légitime curiosité ?
Source : France Culture