dimanche 10 novembre 2019

Chine — Instruction à domicile en pleine croissance et pourtant mal vue par les autorités

En Occident, l’enseignement à domicile, autrefois considéré comme excentrique, a crû en popularité ces dernières décennies. En Chine, les fonctionnaires sont méfiants. Ils disent que l'école joue un rôle vital pour faire des enfants des « bâtisseurs du socialisme ». Mais de plus en plus de parents chinois se rebellent.


Une autorisation officielle est requise en Chine pour la scolarisation à domicile pendant les neuf années de la scolarité obligatoire, qui s’étend généralement de six à quinze ans. Elle est accordée uniquement dans de rares circonstances, par exemple lorsqu’un enfant souffre d’un problème de santé auquel l’école ne peut faire face.

L’enseignement à domicile reste très controversé. En 2017, pour la première fois, le ministère de l’Éducation a ouvertement attaqué cette pratique, la qualifiant de « très défavorable au développement de l’enfant tout au long de sa vie ». Il a rappelé aux parents que l’enseignement à domicile sans autorisation était interdit. En mars, le ministère a menacé les parents de « poursuites judiciaires » sans précisions s’ils ne se conformaient pas à la loi.

Ces menaces ne découragent pas certains parents. En 2017, un groupe de réflexion basé à Pékin a estimé qu’environ 56 000 enfants étaient scolarisés à la maison ou sur le point d’être retirés de l’école à cette fin. Le nombre avait presque triplé depuis 2013. De nombreux parents qui instruisent à domicile disent que ce nombre est bien supérieur. Une de ces personnes à Pékin estime qu’il pourrait y avoir « des centaines de milliers » de familles comme la sienne. Certains partagent leurs expériences d’instruction à domicile sur des groupes de discussion qui ont vu le jour au cours des dernières années sur WeChat, une application de messagerie. La plupart n’ont pas la permission faire l’école à la maison. Ils ne se donnent même pas la peine de demander l’autorisation, considérant que la réponse sera d’office non. Selon Wang Jiajia de l’Université du Jiangsu (Kiang-sou), malgré les avertissements du gouvernement, l’éducation à domicile a continué de croître au cours des deux dernières années, bien que plus lentement.

Les parents courent le risque pour plusieurs raisons. Dans les enquêtes de M. Wang, la raison plus commune est de loin le refus de « l’idéologie » et des « méthodes d’enseignement » des écoles publiques. Une autre est le mépris de la « culture scolaire », comme l’adulation des élèves bûcheurs qui potassent jour et nuit. Quelques-uns préfèrent l’enseignement à domicile pour des raisons religieuses. L’école en Chine fait, en effet, la promotion de l’athéisme.

La plupart des parents éducateurs à la maison sont urbains et bien éduqués. Ils sont généralement parvenus à maturité au cours des années relativement libérales dans la seconde moitié des années 1990. L’enseignement à domicile en Amérique était illégal dans 30 États jusqu’aux années 1980. Aujourd’hui près de 3 % des enfants d’âge scolaire en Amérique sont scolarisés de cette façon.

L’exemple américain est la source d’inspiration de certains parents chinois. Même si des centaines de milliers d’enfants en Chine étaient scolarisés à la maison, cela représenterait moins de 1 % du nombre total d’enfants chinois âgés de six à quinze ans.

L’enseignement à domicile en Chine prend deux formes principales. La première concerne l’un des parents, généralement le père, qui quitte son travail ou travaille à temps partiel pour enseigner à sa progéniture. Su Nan, un adolescent de 17 ans de la province centrale du Shaanxi (Chensi), a quitté l’école à l’âge de dix ans. Son père, un conférencier, est devenu son enseignant à temps plein. Mais maintenant que Nan (ce n’est pas son vrai nom) est plus âgé, son père a repris son ancien travail. Nan définit son propre horaire, une combinaison d’études indépendantes, de cours en ligne et de travail bénévole. Les parents qui souhaitent que leurs enfants aillent à l’université en Chine doivent s’assurer qu’ils apprennent l’idéologie du parti. La connaissance de cette idéologie est essentielle pour réussir l’examen d’entrée. Mais Nan, comme de nombreux enfants scolarisés à la maison en Chine, vise une université en Occident.

La seconde forme, moins courante, est l’« instruction à domicile collective », telle que celle que dirige maintenant M. Yuan à Xiamen (Hiamuen). L’enseignant de ces collectifs facture souvent des frais — dans le cas de M. Yuan, environ 50 000 yuans (9300 dollars canadiens, 6300 euros) par an et par élève.

Alors comment se fait-il que les parents s’en tirent ? Il se peut que le gouvernement, tout en essayant de décourager cette pratique, ne la considère pas encore comme assez commune pour constituer une menace sérieuse à son emprise politique. Certains fonctionnaires peuvent même sympathiser avec les élèves instruits à domicile. Avant que le ministère de l’Éducation n’émette ses avertissements en 2017, les médias publics ont annoncé avec une pointe d’approbation l’augmentation du nombre d’enfants éduqués à domicile, suggérant que cela pourrait contribuer à réduire le stress des enfants.

Il est également possible que les autorités, pour le moment, aient davantage l’intention de freiner la fausse instruction à domicile dont se rendent coupables les parents qui prétendent instruire leurs enfants à la maison alors qu’ils envoient illégalement leurs enfants sur le marché du travail. Des preuves anecdotiques étayent cette hypothèse. Un parent à Shanghai (Changhaï) dont la fille préadolescente est scolarisée à la maison dit avoir reçu un appel-surprise il y a quelques mois de la part du Ministère de l’Éducation local. Le fonctionnaire a demandé au parent dans quelle école son enfant avait été inscrit. Elle a dit la vérité et n’a pas été recontactée depuis. Selon elle, plusieurs autres familles scolarisées à la maison à Shanghai (Changhaï) ont vécu la même expérience ; ce qui suggère que les responsables ferment les yeux (l’écriteau à la porte de M. Yuan indique qu’il s’attend à ce qu’ils le fassent). Wang Dong, avocat dans la ville de Kunming, dans le sud du pays, spécialisé dans le domaine de l’éducation, n’a encore entendu parler d’aucun parent poursuivi pour avoir instruit ses enfants à la maison.

Mais, alors que la Chine se crispe idéologiquement, certains parents demeurent nerveux. En juillet, le ministère de l’Éducation a exhorté les écoles à intensifier leurs efforts pour inculquer les vertus d’« amour patriotique » et de « fidélité au parti ». En août, les médias d’État ont rappelé les propos du dirigeant chinois, Xi Jinping, selon lesquels l’école doit veiller à ce que « les semences des valeurs socialistes fondamentales prennent racine et se développent » dans le cœur des enfants. Les fonctionnaires se demandent peut-être si les parents qui instruisent à domicile se plient à ces demandes idéologiques. Xu Xuejin, le fondateur d’un club en ligne pour de telles personnes, ne prend pas de risque. Il a récemment supprimé son site Web pour protéger l’identité de ses membres.

Source : The Economist

Vatican II, « déclencheur » de l'effondrement de la pratique catholique ? (M-à-j vidéos)

Présentation de l’ouvrage de Guillaume Cuchet (2018) donnée par l’historien Jean-Claude Dupuis à l’occasion d’un colloque tenu le 26 octobre 2019 à Québec.



Voir aussi

Religion — baisse de la fréquentation de la messe sous le pape François, stabilité chez les protestants (2018)

Vatican II, l’éducation et la Révolution tranquille vus par Radio-Canada « Le christianisme le plus dynamique aujourd’hui n’est pas le christianisme libéral tant chez les protestants que chez les catholiques. On avait gagé sur un avenir pour le christianisme libéral, de facto, aujourd’hui c’est une option qui n’a pas gagné. C’est le moins qu’on puisse dire. » Pour finir ce reportage à sens unique, la parole est donnée brièvement et solennellement à Mgr Charbonneau qui « regrette ce qui nous arrive. »

L’Église anglicane au Québec se meurt, elle soutient fortement le cours ECR


Selon Jean-Jean-Paul Willaime, sociologue titulaire depuis 1992 de la chaire « Histoire et sociologie des protestantismes », « les églises les plus libérales ne touchent pas les dividendes sociaux de leur adaptation à la modernité », elles perdent en fait des membres alors que les églises plus conservatrices ou évangéliques, plus orthodoxes, en gagnent.



Billet originel du 18 avril 2018

Dans un livre nourri de statistiques impressionnantes, Guillaume Cuchet (ci-contre) a fait une analyse minutieuse de l’effondrement du catholicisme en France.

Le recul du catholicisme en France et au Québec depuis les années 1960 est un des faits les plus marquants et pourtant les moins expliqués de notre histoire contemporaine. S’il reste la première religion des Français, le changement est spectaculaire : au milieu des années 1960, 94 % de la génération en France étaient baptisés et 25 % allaient à la messe tous les dimanches ; de nos jours, la pratique dominicale tourne autour de 2 % et les baptisés avant l’âge de 7 ans ne sont plus que 30 %. Comment a-t-on pu en arriver là ? De quand date la rupture ? Quelles en ont été les causes ? Ces questions hantent le monde catholique qui se retrouve perdu dans ses vêtements d’hier devenus trop amples et dont les différentes composantes ont eu tendance par le passé à s’accuser mutuellement d’avoir provoqué la « catastrophe ». Il est vrai que l’événement résiste à l’analyse.

Au seuil des années 1960 encore, le chanoine Boulard, qui était dans l’Église française le grand spécialiste de ces questions, avait conclu à la stabilité globale des taux dans la longue durée, même s’il notait une pente légèrement déclinante qui préservait a priori de toute mauvaise surprise. Or, au moment même où prévalaient ces conclusions rassurantes et où s’achevait cette vaste entreprise de modernisation de la religion que fut le concile Vatican II (1962-1965), il a commencé à voir remonter des diocèses, avec une insistance croissante, la rumeur inquiétante du plongeon des courbes.

Normalien, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-Est-Créteil, spécialiste d’anthropologie religieuse, Guillaume Cuchet a repris cette question en se fondant sur l’étonnante richesse des statistiques dont nous disposons.

Guillaume Cuchet a repris l’ensemble du dossier : il propose l’une des premières analyses de sociologie historique approfondie de cette grande rupture religieuse, identifie le rôle déclencheur de Vatican II dans ces évolutions et les situe dans le temps long de la déchristianisation et dans le contexte des évolutions démographiques, sociales et culturelles des décennies d’après-guerre.

Selon le normalien Cuchet, le concile de Vatican II a joué en France un rôle déclencheur dans le décrochage massif de la pratique et l’éloignement progressif des fidèles catholiques depuis le milieu des années 1960. C’est l’une des conclusions de cet essai.

Analysant avec rigueur les causes du retournement de ce qui avait été presque unanimement salué comme un « printemps de la foi », Guillaumet Cuchet pointe la révolution qui a fait renoncer l’Église à centrer sa prédication sur les fins dernières (le but de la vie, la mort, la résurrection, le salut) pour l’axer sur la tolérance, l’œcuménisme, et la liberté religieuse comme autant de signes de sa réconciliation avec la modernité. Mais en cessant de se présenter comme l’arche qui permet de conduire les âmes au Salut éternel, en se redéfinissant comme une communion chargée d’annoncer au monde la Miséricorde de Dieu et le Salut pour tous, elle sapait à la fois les notions de Péché, de Jugement, de Purgatoire et d’Enfer. [Voir les manuels d’ECR où ces notions sont absentes [PDF], à dessein selon le Bureau d’approbation du matériel didactique.]

À terme, cette attitude sapait l’idée même que l’Église puisse définir des dogmes devant lesquels s’incline la raison de chacun, puisse imposer des obligations morales qui entravent la liberté de comportement (la « licence »). Quelle valeur pouvait, dès lors, conserver ses enseignements et sa prétention à guider les consciences si chaque homme était invité à prendre pour guide sa propre conscience ? Pourquoi continuer à observer des commandements si le Salut éternel était assuré quoi qu’il en soit à tous les hommes ?



Guillaume Cuchet pour son livre « Comment notre monde a cessé d’être chrétien. Anatomie d’un effondrement » (Seuil) et Christophe Dickès pour son livre « Le Vatican. Vérités et légendes » (Perrin)


Extraits d’un entretien dans le Figaro

Le Figaro. — Vous dites que Vatican II a été le « déclencheur » de l’effondrement de la pratique. Pourquoi ?

Guillaume Cuchet. — Je suis reparti des constats faits à l’époque par le chanoine Boulard qui était le grand spécialiste de ces questions dans l’Église. Les courbes plongent brutalement autour de 1965, l’Église perdant du quart au tiers des pratiquants du début des années 1960 (des jeunes surtout) en deux ans. Il faut bien qu’il y ait eu un événement derrière une telle rupture et on ne voit pas bien quel autre que le concile pourrait avoir joué ce rôle-là. Mai 1968 a amplifié une vague qu’il n’a pas créée. On a eu longtemps du mal à en convenir dans l’Église parce qu’on avait peur, ce faisant, d’apporter de l’eau au moulin des adversaires du concile qui ont depuis longtemps planté leur drapeau noir sur cette fâcheuse « coïncidence ». Ma thèse est que le concile a non pas provoqué la rupture au sens où elle aurait pu ne pas avoir lieu sans lui, puisqu’elle a eu lieu dans les pays protestants et qu’elle procède de causes socioculturelles plus larges, mais qu’il l’a déclenchée tout en lui donnant une intensité particulière.

Toute la question — mais combien complexe — est de savoir ce qui dans le concile (dans ses textes, leur interprétation, la manière dont ils ont été appliqués, ses effets indirects) a pu jouer un tel rôle. La réforme liturgique, adoptée dès décembre 1963, a un peu obsédé la discussion. Elle a masqué à mon avis un changement plus décisif intervenu dans le sens même de la pratique : la sortie brutale de la culture de la pratique obligatoire sous peine de péché grave longtemps très insistante en catholicisme.

Le Figaro. — Dans la « carte Boulard » présentant une photographie de la France chrétienne, avant l’effondrement, on voit des disparités géographiques très importantes. À quoi sont-elles dues ?

Guillaume Cuchet. — La première édition de la Carte religieuse de la France rurale date de 1947. C’est un des documents les plus fascinants de l’histoire de France. Elle montre à la fois l’ampleur des contrastes religieux régionaux (sans équivalent ailleurs en Europe) et une géographie d’ensemble de la France chrétienne très singulière. Un même dimanche des années 1950, la pratique pouvait varier de 100 % dans un bourg du nord de la Vendée à 0 % dans le Limousin. En quelques kilomètres on pouvait changer de monde religieux.



Annette Wieviorka (aux questions intéressantses mais à la diction saccadée) 
reçoit Guillaume Cuchet sur RCJ

La France chrétienne recouvrait tout l’Ouest, le Nord, l’Est lorrain, alsacien, vosgien, le Jura, le Nord des Alpes, tout le rebord Sud-Est du Massif central (de la Haute-Loire au Tarn ou à l’Aveyron), le Pays basque et le Béarn. Inversement, une « diagonale du vide » courait des Ardennes au Sud-Ouest en passant par tout le Bassin parisien et l’Ouest du Massif central, avec des prolongements dans la vallée du Rhône, le Languedoc, la Provence. Cette carte est née pendant la Révolution française. Les pays qui ont accepté la politique religieuse de la Révolution sont généralement devenus les « mauvais » pays religieux des XIXe et XXe siècles, et vice versa.

Le Figaro. — Cette carte est-elle toujours d’actualité ?

Guillaume Cuchet. — Elle n’a pas totalement disparu, mais elle n’existe plus vraiment comme carte de la pratique et des croyances, plutôt comme carte culturelle et anthropologique. Par exemple dans la carte des dons du sang en France, ce qui n’est pas tout à fait anodin symboliquement.

Le Figaro. — Tout un discours dans l’Église au moment de ce tournant a été de dire que la qualité finirait par l’emporter sur la quantité, et que c’en était fini d’un christianisme « sociologique ». Quels ont été les effets de ce discours ?

Guillaume Cuchet. — On doit cette expression de catholicisme « sociologique » à Gabriel Le Bras, qui a fondé la sociologie religieuse dans les années 1930. Le fait que le catholicisme, censé procéder de convictions intimes, avait une sociologie et une géographie particulières stables dans la longue durée, montrait l’importance des facteurs collectifs dans le maintien ou la perte de la foi. Le Bras n’était pas très optimiste sur la teneur en christianisme « réel » du catholicisme de nombre de ses contemporains. Le décrochage des courbes dans les années 1960 a souvent été interprété comme le résultat d’une sorte d’opération-vérité terme de laquelle ne seraient plus restés dans l’Église que les fidèles vraiment convaincus. Vérité historique ou philosophie de la misère ?

C’est bien difficile à dire, mais l’historien note qu’en France, depuis les lendemains de la Révolution, chaque génération de catholiques a eu plus ou moins le sentiment d’être la première à avoir une foi vraiment personnelle ! En réalité, c’est le concept même de religion « sociologique » qui est problématique. Les catholiques d’aujourd’hui, qu’on ne soupçonnera pas de l’être par pur conformisme social, ne sont-ils pas eux aussi pour la plupart les enfants d’une certaine « sociologie », s’il faut entendre par là les efforts accomplis par leurs parents pour leur transmettre la foi ?






Comment notre monde a cessé d’être chrétien
de Guillaume Cuchet
paru au Seuil
à Paris
le 1er février 2018
288 pages
ISBN-10 : 2 021 021 297
ISBN-13 : 978-2021021295





Un diplôme universitaire en lettres et sciences humaines en vaut-il encore la peine ?

Le Wall Street Journal s’interroge : Un diplôme universitaire en lettres et sciences humaines en vaut-il encore la peine ?

Les employeurs avaient l’habitude de pouvoir compter sur les compétences acquises lors d’une éducation en ce qu’on nommait les humanités. Éducation, au passage, qui s’acquérait encore il y a quelques décennies dès l’école secondaire, dans les collèges classiques, par la fréquentation et l’imitation des grands classiques français, latins ou grecs.

Aujourd’hui, ces classiques ne sont plus enseignés au secondaire au Québec, on préfère des auteurs plus modernes, plus progressistes, plus faciles. Cette semaine encore, on apprenait que les cours d’anglais de 11e année du secondaire dans le comté d’Essex, en Ontario, n’enseigneront plus Orwell, ni Shakespeare, ni d’autres classiques bien connus, ils seront mis de côté en faveur d’un cours entièrement consacré à la littérature autochtone amérindienne.

De nombreux parents américains se saignent à blanc de nos jours pour payer des études universitaires à leur progéniture, espérant que celles-ci leur donneront une culture générale en lettres ou en sciences humaines.

Or, une étude récemment publiée sur Bankrate révélait que les diplômes en lettres (« English Majors ») de 162 universités collèges se classaient en bas de l’échelle établie selon le revenu médian et le taux de chômage de leurs diplômés. Avec un revenu médian de 47 800 $, ces diplômés en anglais gagnaient plus que ceux en théâtre (35 500 dollars) ou en beaux-arts (37 000 dollars), mais ils gagnaient moins de la moitié d’un diplômé en génie électrique (99 000 $).

En juin, un sondage Payscale mené auprès de 250 000 diplômés universitaires a révélé que 1 étudiant sur 5 possédant un diplôme en sciences humaines déclarait que leur plus grand regret, après leur emprunt universitaire à rembourser, était le diplôme qu’il avait choisi. Un article de MarketWatch en 2017 était franc : « la licence en anglais est la plus regrettée en Amérique ».

Les universités prétendent être un moyen de gravir l’échelle sociale. Mais elles ne fournissent pas les données nécessaires aux parents et aux étudiants pour comparer les coûts associés à des études universitaires aux gains potentiels associés à ce diplôme. Les étudiants en sciences humaines sont encore plus mal placés, car la baisse de niveau de ces programmes a dévalorisé des licences comme celles en anglais ou en histoire.

L’économiste Richard Vedder, auteur de « Renouveler la promesse : l’enseignement supérieur en Amérique » suggère depuis de nombreuses années que les universités devraient fournir aux étudiants davantage de données semblables à ces enquêtes. Ce dont les étudiants ont besoin, cependant, ce ne sont pas des moyennes de revenu, mais bien la valeur de tels diplômes précis remis par telle université précise.

« Lorsque vous dépensez 100 000 $ ou plus pour quelque chose, vous avez le droit de connaître la valeur probable de ce que vous obtiendrez », déclare M. Vedder.

Personne n’est surpris d’apprendre que les diplômés en STIM (sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) gagnent plus que les diplômés en lettres. Après  tout, l’éducation libérale n’a jamais eu comme but de garantir une carrière bien rémunérée. Malgré cela, Jonathan Pidluzny, directeur des affaires universitaires au Conseil américain des administrateurs et des anciens élèves (ACTA), note que les employeurs accordent néanmoins un prix à une personne qui fait montre d’esprit critique, de compétences en communication et en raisonnement, fruits traditionnellement associés à une formation en lettres ou en sciences humaines.

Jonathan Pidluzny a déclaré à Campus Reform : « Une licence en anglais était autrefois garante de compétences en rédaction de textes et de la capacité de comprendre des pensées complexes par la fréquentation de textes classiques ». Mais « les facultés ne peuvent en vouloir qu’à elles-mêmes pour avoir miné leur réputation en remplaçant le canon classique par des épiphénomènes de la culture populaire et du communautarisme identitaire », comme l’enseignement de la littérature amérindienne ou lesbienne.

En d’autres termes, ce que les facultés proposent aujourd’hui n’est plus le diplôme d’anglais d’antan. Une étude de l’ACTA indique que 48 des 52 meilleures écoles (classées par le US News and World Report) permettent aux licenciés en anglais d’obtenir leur diplôme sans avoir suivi de cours sur Shakespeare. D’autres études ont indiqué que la pensée critique du diplômé moyen, même celui des principales universités prestigieuses, ne s’améliore que de façon minimale voire nulle, malgré ses années passées à l’université.

Mais la licence en anglais si souvent décriée n’est qu’un symptôme ce qui cloche avec l’université aujourd’hui. Ce n’est pas que les diplômes scientifiques et techniques (STIM) soient les seuls qui en vaillent la peine. Il s’agit plutôt du fait que les sciences humaines ont été touchées de manière disproportionnée par le correctivisme politique et par l’influence néfaste de Herbert Marcuse, père de la « tolérance répressive » si répandue sur les campus.


Dans une conversation téléphonique, M. Pidluzny soutient qu’un diplôme en sciences humaines fondé sur un programme de base rigoureux s’avère encore précieux. Le mot clé est la rigueur. Le sondage Road-Gallup de 2018 indique que les diplômés qui sont « fortement d’accord » avec le fait qu’ils ont dû fournir d’importants efforts à l’université sont 2,4 fois plus susceptibles de dire que leur diplôme en valait la peine.

Alors, pourquoi les sciences ont-elles préservé leur intégrité alors que les sciences humaines n’y sont pas parvenues ? M. Pidluzny pense que c’est parce que l’impact d’un diplôme scientifique ou technique nivelé par le bas est plus évident et plus immédiat.

« L’université ne peut se permettre de ne pas enseigner le calcul intégral et différentiel en ingénierie, car nous verrions des ponts s’effondrer aux quatre coins du pays », ajoute-t-il.

« Mais pour un diplômé en anglais qui étudie Harry Potter plutôt que Chaucer ou qui consacre son temps à la théorie du genre plutôt qu’à la lecture d’œuvres littéraires de qualité, les coûts ne sont pas aussi évidents et immédiats, jusqu’à ce qu’il ne se rende compte des années plus tard qu’il n’a jamais acquis ni le vif esprit analytique ni le style d’écriture précise que son diplôme était censé développer. »


Voir aussi

Les gouvernements surestiment-ils le rendement économique des diplômes universitaires ?

États-Unis — Quels diplômes universitaires rapportent le plus ?

Mark Steyn dans After America sur l’éducation américaine

En janvier 2011, Richard Arum et Josipa Roksa ont publié une étude qui indiquait que moins de la moitié des étudiants américains de premier cycle avait suivi un cours lors du semestre précédent qui les obligeait à écrire un texte de 20 pages. Un tiers d’entre eux n’avait suivi aucun cours qui leur demandait de lire au moins 40 pages. Chez 45 % des étudiants, les auteurs n’ont pu constater aucune amélioration dans leurs compétences logiques, d’esprit critique ou d’écriture... Raisonner, lire, écrire : qui en a besoin ? Certainement pas les futurs enseignants : les étudiants en sciences de l’éducation manifestaient le moins de progrès éducatifs.

La même étude révélait que l’étudiant américain d’aujourd’hui passait deux fois moins d’heures à étudier que son homologue des années soixante. Lire et écouter un reportage impeccablement progressiste de NPR sur cette étude.

Incidents à Middlebury College (une université huppée au Vermont) en 2017, racialisme, slogans, rites, danses et rejet du rationalisme.

L’Université Evergreen (États-Unis) et les dérives du progressisme militant

Grande-Bretagne — le déclin de l’étude de l’histoire

L’Alberta exige une plus grande liberté d’expression sur les campus

Sciences Po a supprimé son concours d’entrée, plus personne n’en parle

Eschyle interdit, Finkielkraut insulté : sectarisme à l’université

Oxford réorganise les études classiques pour réduire inégalités entre hommes et femmes


Immigration — « Il faut réformer le PEQ »

Le Programme de l’expérience québécoise (PEQ) est un programme accéléré de sélection des travailleurs qualifiés qui permet d’obtenir un Certificat de sélection du Québec en vue de la résidence permanente. Ce programme est destiné aux diplômés du Québec et aux travailleurs étrangers temporaires qui remplissent certaines conditions, dont celle de démontrer une connaissance du français oral de niveau intermédiaire avancé.

La réforme du Programme expérience Québec annoncée par le ministre québécois Simon Jolin-Barette a été au cœur de l’actualité, cette semaine. Elle a suscité une telle controverse qu’il a dû la suspendre pour retourner à sa planche à dessin. Tania Longpré, spécialiste en francisation et en intégration des immigrants s’exprime sur la réforme nécessaire de ce programme.

Extraits :

« Évidemment que les réformes y sont nécessaires, comme dans plusieurs programmes qui méritent des ajustements lorsqu’on se rend compte que certains problèmes en découlent. Ne pas laisser une clause grand-père était déraisonnable, mais ne pas réformer le PEQ l’aurait été encore plus. D’abord, modifier la liste des formations est une excellente idée, il apparait saugrenu de ne jamais modifier celle-ci avec les besoins du marché du travail — même si la liste du gouvernement n’était pas à jour, ce qui est un autre problème, qui relève de l’amateurisme politique. [...]

Des commissions scolaires ont été mises à l’amende puisqu’elles offraient des formations courtes de type “DEP” [bac professionnel en France] à des étudiants internationaux, les qualifiant du même coup pour le PEQ, qui est un programme permettant à des diplômés ou à des travailleurs étrangers de demeurer au Québec — moyennant la réussite d’un examen de français démontrant un niveau 7 (sur une échelle de 0 à 12) de production orale en français. Or, les étudiants de certaines commissions scolaires anglophones ne parvenaient pas à ce niveau de langue. Notons qu’on ne valide présentement que leur niveau de production orale alors que plusieurs recherches démontrent que les aptitudes en littératie (compréhension de lecture et production écrite) sont importantes pour l’intégration sur le marché du travail et pour l’intégration des nouveaux arrivants en général dans une société lettrée comme le Québec.

[...]

Ne serait-ce que pour limiter les “fraudes” on doit réformer le PEQ afin de mettre sur pied un examen de français québécois qui pourrait valider le niveau de français autant oral qu’écrit des gens voulant se qualifier pour ce programme. Encore une fois, il ne faut pas généraliser, mais une épreuve uniforme permettrait d’être équitables envers tous les candidats au PEQ.

[...]

De plus, ne soyons pas dupes, ce programme permettait à certains consultants en immigration ou avocats de recruter des gens à l’international leur promettant mer et monde dans une nouvelle vie au Québec : y faire un diplôme et y demeurer à long terme. Au Québec, mais aussi, dans certains cas, n’importe où au Canada, le PEQ étant une voie d’immigration plus rapide et plus facile à réussir qu’une demande comme travailleur qualifié qui évalue les candidatures à l’aide d’une grille comprenant plusieurs facteurs tels que l’âge, le domaine d’études, les diplômes, les connaissances du français ou de l’anglais, le nombre d’enfants, etc.) Ce qui fait en sorte que certaines personnes passent par le PEQ afin de s’installer à Toronto ou encore à Vancouver. Je ne dis pas que la majorité des gens ont de mauvaises intentions, mais vaut mieux modifier le programme que de permettre à certains d’en faire mauvais usage. »