mardi 30 janvier 2018

Réaction à « Près de 75 % des Québécois contre le financement public des écoles privées »

D’après un sondage commandé par un mouvement contre le financement « public » de l’école privée, près de 75 % des Québécois aimeraient voir l’État retirer son financement destiné à l’école privée. Le sondage a été réalisé par CROP pour le compte du Mouvement L’école ensemble. Rappelons que le financement « public » des écoles privées n’est jamais que le remboursement d’une partie des impôts des parents qui envoient leurs enfants à l’école privée.

« Les trois quarts des Québécois envoient un message très clair : ils ne veulent plus payer pour l’école privée et veulent que leurs taxes et impôts servent à l’école publique », a déclaré Stéphane Vigneault, coordonnateur du Mouvement L’école ensemble, par communiqué, mardi.

Rappelons qu’il y a moins de 6 ans (mars 2012), la Coalition pour la liberté en éducation avait posé une question assez différente : « Selon vous, le gouvernement devrait-il octroyer une somme fixe pour la scolarité de chaque enfant et laisser le parent décider à quelle école envoyer son enfant, qu’elle soit publique ou privée ? » Et là, les résultats étaient très différents !



Dans ce sondage Léger, 55 % des Québécois se montraient très ouverts à la mise en place des chèques éducation, le gouvernement octroyant une somme fixe pour la scolarité de chaque enfant et laissant alors les parents choisir l’école publique ou privée qu’ils privilégient. Le pourcentage des Québécois en faveur de cette mesure de liberté étaient encore plus fort (63 %) quand ils avaient des enfants...

De même, la moitié de la population québécoise (54 %) pensait que les écoles devraient avoir une plus grande liberté dans le choix des programmes qu’elles enseignent et dans la façon de les enseigner. Pour le secrétaire de la CLÉ, « au Québec, les parents sont en phase avec les résultats d’organismes internationaux comme l’OCDE qui identifient la liberté de pédagogie et de programmes scolaires comme un composant nécessaire à une éducation de qualité ». Il ne s’agit pas seulement de rendre plus autonomes les écoles ou de mieux encadrer les enseignants, car, comme le déclare l’OCDE, « [d] ans les pays où les établissements d’enseignement jouissent d’une grande autonomie dans le choix des programmes et des modes d’évaluation, les élèves ont tendance à obtenir de meilleurs résultats. »[1] Pour la CLÉ, un supplément de liberté dans ces domaines permettra de mieux répondre aux besoins du Québec de demain tout en respectant mieux les droits des parents.


Ce sondage avait été réalisé par Léger Marketing auprès de 1001 personnes de plus de 18 ans, dans toutes les régions du Québec, du 27 au 29 février 2012. L’échantillon pondéré choisi a une marge d’erreur de ± 3,1 % dans 19 cas sur 20.

Ce sondage d’une maison réputée (Léger) n’avait reçu aucun écho dans les médias. Aucun. Malgré la prise de contact avec plusieurs médias pour leur offrir ces résultats. Le traitement médiatique du sondage CROP contre le financement « public » des écoles privées est très différent. Pour le moins.

« Ségrégation scolaire »

Selon le Mouvement L’école ensemble, le financement public aux écoles privées et les examens d’admission ont pour effet d’encourager la «ségrégation scolaire», qui consiste en la séparation des élèves dans des écoles ou des programmes en fonction de leurs revenus ou de leurs résultats scolaires. Nous reviendrons ci-dessous sur ce concept.


Comment expliquer cette différence ?

On ne sait pas comment les Québécois répondraient au sondage de la Coalition pour la liberté en éducation aujourd’hui.

Les Québécois ont-ils vraiment changé d’avis ?

C’est possible, mais pas nécessaire.

En effet, on sait que les résultats aux sondages peuvent être influencés par les questions qui le constituent et surtout celles qui précèdent une question particulière. Elles fournissent un contexte à une question particulière. En l’absence d’une question préalable sur l’option d’offrir un chèque scolaire à tous les parents, les parents qui ne peuvent s’offrir une bonne école peuvent trouver injuste ce privilège qui serait réservé aux plus riches. Si cette même question du chèque scolaire universel offert aux parents était posée, la majorité des Québécois pourraient ainsi toujours approuver cette idée.

Ceci dit, il n’est pas impossible, devant les campagnes répétées contre l’« inégalité scolaire » bien relayées dans les médias et les partis politiques, que les Québécois aient changé d’avis. Peut-être faudrait-il alors voir là le résultat de l’absence d’une voix politique distincte qui défende la responsabilité parentale et le choix en éducation. La transformation de l’ADQ proche de ces thèses par une CAQ très peu revendicatrice dans ce domaine laisse les partisans d’un plus grand choix en éducation sans parti politique qui partage leurs préoccupations. Les partisans du choix et de la responsabilisation des parents n’ont plus de relais de poids dans les médias et parmi les principaux partis politiques. Des relais mieux organisés et de poids pourraient dissiper auprès du public certaines idées fausses, notamment, sur l’écrémage des écoles par la sélection. C’est ainsi que des études universitaires tendent à montrer que l’effet d’écrémage lié à la liberté scolaire est faible ou déjà présent (par exemple par la distribution géographique des familles selon des critères socioculturels). Les écoles publiques aux mauvais résultats scolaires sont déjà homogènes et déjà écrémées, en grande partie parce que les meilleurs élèves n'habitent pas leur bassin géographique. L’impact négatif d’un libre choix (supplémentaire ou non) vers le privé est donc exagéré.

En l’absence de véritables relais conservateurs dans les partis politiques et dans les médias, les partisans d’une restriction du choix au nom de la lutte « contre l’inégalité » et « la ségrégation scolaire » ont libre cours au Québec. Logique de « lutte contre la ségrégation scolaire » qui a mené sous certains aspects à l’intégration d’élèves aux compétences très diverses (pour rester courtois) et à des classes ingérables où l’on « passe 90 % du temps à faire de la discipline et 10 % à enseigner ».

Voir aussi

Québec — Dans la peau d’une suppléante : insolences, indiscipline, violences

Les Québécois veulent des bons d’étude et que le cours ECR soit optionnel ou aboli

France — le système scolaire toujours plus inégalitaire

Effet d’écrémage lié à la liberté scolaire : faible ou déjà présent



[1] http://www.oecd.org/dataoecd/54/0/48989573.pdf, « Autonomie et responsabilisation des établissements d’enseignement : quel impact sur la performance des élèves ? », OCDE, octobre 2011.