samedi 13 juin 2009

Dernier jour du procès Loyola contre le Monopole de l'Éducation

Plaidoirie des avocats de Loyola

Les avocats de Loyola ont fait valoir que le collège qu'ils représentent respectait le contenu du programme d'éthique et de culture religieuse (ECR), tant au niveau des sujets étudiés que dans la poursuite des deux finalités déclarées du programme, à savoir « la poursuite du bien commun » et « la reconnaissance de l'autre ». En outre, la pratique du dialogue était inhérente à un tel programme et était au cœur même de toute la philosophie éducative de Loyola.

Enfin, toutes les compétences du programme étaient également respectées à savoir la compréhension du phénomène religieux et la réflexion sur des questions éthiques. Loyola va plus loin et étudie plusieurs systèmes de référence lors de son étude de l'éthique et approfondit l'étude des phénomènes religieux par rapport au programme officiel en abordant également les fondements de ceux-ci...

Mais là, catastrophe, Loyola n'est pas assez superficiel pour le ministère de l'Éducation, des Loisirs et du Sport (MELS) et le contenu du cours pourrait permettre à l'élève de développer une opinion informée et un véritable respect à l'égard de la religion... Et cela n'est pas permis par le ministère. On nie donc ce qui fait une éducation catholique de qualité.

Me Phillips a rappelé que l'expert Douglas Farrow recommandait que le programme de Loyola soit donné en lieu et place du programme ÉCR, afin de se conformer aux exigences de l'Église en matière d'éducation catholique et de pouvoir réaliser son propre projet éducatif catholique.

Me Phillips a également rappelé les conclusions de l'expert philosophe Gérard Lévesque où il affirmait que le programme ECR a choisi une approche réductrice des religions, abandonne le jeune à lui-même dans la réflexion éthique et morale et entrave la transmission de la foi.

Doit-on être identique pour être équivalent ?

Puis il a remis en cause la décision de la ministre Courchesne de ne pas reconnaitre l'équivalence du programme de Loyola, à la demande de l'école elle-même, dans des lettres datant de mai à octobre 2008. (Voir la correspondance ici.)

Au sujet du refus de la ministre d'accorder l'équivalence au programme de Loyola par rapport à celui d'ECR, le juge s'est demandé à haute voix quel sens donner au qualificatif « équivalent ». La loi permet qu'une école privée donne un programme ECR équivalent à celui enseigné dans les écoles publiques, peut-il être équivalent tout en étant différent ou doit-il être identique ?

L'équivalence avait été refusée pour deux motifs principaux : la perspective confessionnelle catholique adoptée par le collège et le volet dialogue, avec toutes les consignes d'ECR de simple réflexivité et de neutralité, que le MELS a jugé absent.

Le juge s'est alors demandé si les critères de M. Pettigrew pour juger de l'équivalence du programme de Loyola étaient corrects; le « test était-il erroné ? » s'est-il demandé. Puis, le juge s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles la ministre n'a pas jugé bon de rencontrer l'école Loyola pour poursuivre le dialogue au sujet de cette équivalence afin d'« agir de manière équitable » (« The duty to act fairly »). À savoir, effectuer des rencontres comme dans le dossier des écoles juives orthodoxes, mais il n'a été fait aucune mention à celles-ci devant le tribunal.

Le juge Dugré a enfin demandé s'il était possible de juger de l'équivalence d'un programme sans tenir compte des droits fondamentaux protégés par les Chartes comme la liberté de religion.

Me Phillips a dit que le refus d'équivalence de la ministre constitue une entrave à la liberté de religion pour l'école Loyola comme pour les parents et les jeunes qui la fréquentent.

Où l'on parle de l'éducation à maison

Me Boucher n'a pas hésité à affirmer que les enfants instruits à la maison étaient aussi assujettis au programme ECR.

Or, rien n'est moins sûr, d'une part parce que l'article 15.4 de la Loi sur l'instruction publique ne parle que d'équivalence par rapport au régime pédagogique et celle-ci n'est nulle part définie, mais qu'elle est laissée à l'appréciation des commissions scolaires.
« 15. Est dispensé de l'obligation de fréquenter une école l'enfant qui :

[...]

4° reçoit à la maison un enseignement et y vit une expérience éducative qui, d'après une évaluation faite par la commission scolaire ou à sa demande, sont équivalents à ce qui est dispensé ou vécu à l'école. »
D'autre part, nous savons de source sûre qu'une association regroupant des parents qui instruisent leurs enfants à la maison a été reçue par le ministère de l'Éducation et qu'on a déclaré verbalement à ses représentants que le cours d'ECR ne s'appliquait pas aux parents éducateurs à la maison. Mais, comme cette association est très anti-ECR, il s'agissait peut-être simplement de diviser les opposants au programme ECR par une promesse orale qui n'engage guère le ministère.

Rappelons que les écoles évangéliques et mennonite bénéficient aussi d'une application très lâche du concept d'équivalence dans l'enseignement du programme d'ECR. Divide ut regnes.

Crainte de la diversité, la paille et la poutre

Me Phillips a dit que les opposants au programme ECR étaient souvent accusés dans les médias de « craindre la diversité » alors que de toute évidence c'était le gouvernement qui craignait la diversité au niveau de la mise en œuvre des programmes scolaires.

Puis il a cité la loi 95 et le programme ÉCR pour montrer que l'intention de déconfessionnaliser tout le système éducatif y transparaissait clairement, et que cette intention elle-même constituait une violation des droits fondamentaux parmi lesquels la liberté de religion et d'enseigner la religion dans une école privée catholique.

Plaidoirie des procureurs du Monopole de l'Éducation

C'est la jeune Lucie Jobin qui a plaidé pour défendre le ministère de l'Éducation. On ne l'avait guère entendue auparavant. Me Boucher se contentant d'appuyer à certains moments la plaidoirie de sa collègue.

C'est ainsi que Me Boucher a réitéré que, selon le MELS, si le juge venait à accepter la demande du collège privé catholique Loyola cela reviendrait à rendre obligatoire un programme confessionnel (à savoir le cours ECR donné dans une optique catholique) ce qui serait illégal.

Nous cherchons toujours à comprendre exactement en quoi rendre obligatoire un cours religieux dans une école religieuse privée pourrait être illégal. Après tout, personne n'est obligé d'envoyer ses enfants à une école privée.

Monopole impénitent

La ligne de force de la plaidoirie de Me Jobin était que la ministre jouit de larges pouvoirs et d'une entière discrétion pour approuver ou non des adaptations du régime pédagogique québécois même dans les écoles privées. Ce monopole en matière d'enseignement au Québec était clamé avec une bonne conscience désarmante.

Me Jobin a voulu convaincre le juge que la ministre avait tous les documents en mains pour prendre une décision juste quant à l'évaluation de l'équivalence entre le cours proposé par Loyola et le cours ECR. Me Jobin d'ajouter qu'une équivalence ne sera jamais possible, car le ministère requiert que la posture professionnelle de l'enseignant lors du cours ECR soit « neutre », de même l’enseignement de l'éthique doit se faire de manière « neutre » (ou plus précisément non religieuse, car la posture « pluraliste normative » elle est sous-jacente à tout le programme).

Pour sa part, Loyola a une vocation catholique et veut continuer à enseigner tous ses cours dans une perspective catholique. Loyola prétend à ce droit au nom de la liberté de religion défendue dans les Chartes de droits et libertés canadienne et québécoise.

Constitutionnalité du cours ECR

La plaidoirie de Me Lucie Jobin a relevé des aspects législatifs de la jurisprudence, et divers textes (dont celui de la Commission pour les droits de la personne et de la jeunesse du Québec) affirmant la constitutionnalité et la légitimité de l'imposition d'un programme culturel comme le cours ECR. Cet avis exclut toute possibilité d'en être exempté.

Il suffisait d'exempter les 630 élèves !

Ceci n'a pas empêché Me Boucher d'intervenir pour signaler que le tribunal devait refuser la requête de Loyola, car Loyola avait moyen de remédier au problème des 630 demandes d'exemption (sur 731 élèves) en faisant appel à l'article 30 de la Loi sur l'enseignement privé (le pendant pour les écoles privées de l'article 222 de la Loi sur l'instruction publique invoqué dans l'affaire de Drummondville) :
« 30. Pour des raisons humanitaires ou pour éviter un préjudice grave à un élève, l'établissement peut, sur demande motivée des parents d'un élève ou d'un élève majeur, l'exempter de l'application d'une disposition du régime pédagogique. Dans le cas d'une exemption aux règles de sanction des études visée à l'article 460 de la Loi sur l'instruction publique (chapitre I-13.3), l'établissement doit en faire la demande au ministre. »
En d'autres mots, Me Boucher a plaidé que le directeur de Loyola, Paul Donovan, aurait pu simplement régler le problème en exemptant les 630 élèves en question, car il en a l'autorité (mais après autorisation de la ministre !) tout en offrant le cours ECR aux quelque 101 autres élèves qui n'auraient ainsi pas été « lésés » par l'absence de cours ECR.

Il faut saluer ici le culot de Me Boucher quand on se rappelle ce que sa collègue avait affirmé sur l'impossibilité d'être exempté du cours et quand on sait que la ministre Courchesne a dit publiquement que toutes les demandes d'exemption seraient d'office refusées comme sont venues le témoigner cinq journalistes lors du procès de Drummondville ! Remarquons aussi que si les parents se sentent lésés parce qu'ils n'ont pas le cours ECR dans une école privée, ils peuvent choisir une autre école privée ou bénéficier encore mieux des largesses de l'État en envoyant leurs enfants à l'école publique.

Les avocats du collège Loyola s'opposèrent à cette vision : ils s'adressaient au tribunal pour défendre la liberté de religion de l'école qui était menacée par l'imposition du cours d'ECR et non la liberté de conscience et de religion des parents.

Le juge Gérard Dugré s'est alors demandé à haute voix si accorder l'exemption au cours ECR au collège Loyola n'était pas similaire à permettre à des étudiants sikhs de porter un kirpan, un petit poignard cérémonial, à l'école comme la Cour suprême l'a permis dans un arrêt de 2006 [l'affaire Multani évoquée dans l'affaire de Drummondville].

Pas de préjudice grave possible

Me Jobin a affirmé que les conséquences dommageables de ce cours, s'il y en avait, ne pourraient être importantes, car ce cours n'est donné que pendant 70 minutes tous les neuf (9) jours. Il ne peut donc y avoir de préjudice grave... (Pourquoi cet entêtement de la part de la ministre pour un cours sans importance ?)

Outré par ces déclarations, Me Phillips a déclaré que, si le MELS allait jusqu'à interdire à un établissement comme Loyola de poursuivre sa mission éducative particulière en lui imposant un cours qui va à l'encontre de celle-ci (et on ne peut pas faire abstraction de Dieu même une minute quand on tient une école jésuite), alors oui la liberté de religion et de conscience des gens qui choisissent Loyola est plus que lésée. Me Phillips s'est ensuite demandé jusqu'où irait le Ministère de l'Éducation du Québec dans son ingérence ?

Pas de décision avant plusieurs semaines, peut-être plusieurs mois

Le juge Dugré a six mois pour délibérer (sept mois si la ministre cherche à ralentir le processus pour une raison juridique trop complexe à expliquer ici), bien qu'il ait dit être conscient que l'affaire est urgente puisque la rentrée scolaire approche à grands pas.

Terminons par une appréciation personnelle sur le jeune juge chargé depuis peu de cette affaire. Ce jeune quinquagénaire semble bien maîtriser le dossier.

Il a animé le débat par des questions fréquentes. Donnons deux exemples de questions adressées aux procureurs représentant la ministre Courchesne : « En matière de religion est-ce que s'abstenir n'équivaut pas à choisir ? », est-ce que la neutralité imposée au professeur d'ECR ne s'apparente pas au comportement de Ponce Pilate qui s'en lavait les mains ?

Le juge a visiblement pris un grand intérêt à cette cause. Pendant les plaidoiries, le juge a exploré diligemment toutes les facettes des droits administratif et constitutionnels tant avec les demandeurs qu'avec les défenseurs. Il a examiné des pistes de solutions et de jugements avec les deux partis; il a même proposé aux procureurs de Loyola d'ajouter dans leur requête une disposition touchant le droit constitutionnel qui pourrait leur servir.