Nous publions ci-dessous des extraits d'un entretien avec Xavier Raufer, spécialiste en criminalité, en terrorisme et en insécurité urbaine. Cette tuerie est un incident tragique et nous nous associons à la douleur des familles. Un massacre des innocents en décembre...
— La récente tuerie dans l’école primaire de Newtown relance le débat sur le contrôle des armes à feu. La disponibilité de ces armes, notamment des armes de guerre, explique-t-elle ces épisodes meurtriers ?
Xavier Raufer — La dernière tuerie en date n’a « relancé le débat sur le contrôle des armes à feu » que dans les médias et, de façon factice, chez des politiciens américains incapables de résoudre ce problème. À ce propos, il est inquiétant que sans exception, les grands médias d’« information », quotidiens, radios, télés, énoncent ensemble, au même instant et sans nulle nuance, précisément la même idée, formant ainsi une vaste Pravda collective.
— Même si certains médias le manipulent, le problème existe…
XR — Oui, et pas seulement aux États-Unis ! Mais pour les médias c’est toujours la même rengaine : les tueries entre gangsters à Marseille ? Les Kalachnikov ! On n’en sort pas. Les massacres de masse aux États-Unis : les armes ! Rien d’autre. Or les armes ne tuent jamais – une kalachnikov posée sur la table prend juste la poussière – ce sont ceux qui en usent : gangsters à Marseille, bombes humaines aux États-Unis, qui posent problème. Mais non : la fascination médiatique pour la quincaillerie est absolue.
[On lira avec intérêt sur ce sujet le livre de John R. Lott Jr., More Guns, Less Crime: Understanding Crime and Gun Control Laws, Third Edition (Studies in Law and Economics).]
— Des lois plus restrictives voire la « prohibition » des armes à feu ne feraient-elles pas baisser le nombre de tueries aux États-Unis ?
XR — Dans l’affaire des massacres de masse aux États-Unis, le paramètre des armes n’est ni l’explication, ni la solution. Que les médias d’information s’interrogent : pourquoi n’y a-t-il absolument aucun massacre de masse au Brésil et au Mexique, qui comptent vingt fois plus d’armes incontrôlées que les Etats-Unis ? Un autre phénomène devrait nous interroger : des massacres dans des écoles surviennent parfois en Chine – mais sans armes à feu, plutôt avec des explosifs ou des armes blanches.
[Le taux d'homicide aux États-Unis en 2011 était de 4,8 homicides pour 100.000 habitants, il était de 10,2 en 1980. Ce taux a commencé à augmenter dans les années 60 et à décliner avec les années 90, il semble correspondre à l'influence des baby-boomers dans la population. Le taux de possession d'armes à feu n'a pas baissé entretemps aux États-Unis. Le taux d'homicide au Canada était de 1,74 en 2011 (il était de 2,61 en 1980) et de 4,24 pour le Manitoba.]
— Certes, mais la disponibilité des armes à feu n’augmente-t-elle pas la gravité des autres crimes ?
XR — Bien sûr. Dans West Side Story, les bandes s’expliquent à coups de couteaux. Que ce soit désormais à l’arme de guerre ne fait aucun bien aux statistiques criminelles.
— Si ce n’est pas la disponibilité des armes, quel est donc le facteur déterminant dans les tueries de masse aux Etats-Unis ?
XR — Ce qui provoque ces massacres aux Etats-Unis ne tient pas à l’accessibilité des armes – qui est à l’évidence, un facteur aggravant – mais à l’essence de la société américaine en général, au psychisme de quelques individus en particulier. Esquissons une comparaison avec un drame psycho-social français : l’alcoolisme. Ce phénomène est très profondément enraciné, terriblement long et difficile à réduire. Pour autant, l’alcoolisme est-il réductible à la seule accessibilité de l’alcool ? Vous avez vu, les États-Unis et la prohibition ? Voilà ce qu’il faut méditer, au lieu de s’hypnotiser sur des outils homicides.
— L’existence de bombes humaines désocialisées comme Adam Lanza, le tueur de Newtown, est-elle un phénomène spécifiquement américain ?
XR — Là est le sujet. Pratiqué par des solitaires frustrés ou enragés, éduqués mais coupés de la société, le massacre de masse peut s’appuyer sur un prétexte idéologique ou millénariste. Certains vont aussi prendre pour objet phobique une école, des minorités, etc.
Mais l’origine psychologique n’est pas garantie : parfois, la biologie s’en mêle. Le premier massacre de masse moderne – 15 morts, 32 blessés – est perpétré en août 1966 à l’Université d’Austin (Texas) par Charles Whitman, 25 ans. Abattu par la police, Whitman évoque dans son testament d’étranges élans homicides. Son autopsie révèle une grosse tumeur dans un secteur cérébral régulant l’agressivité.
À ce jour, ces massacres de masse prennent l’ampleur d’un phénomène de société dans des pays riches marqués par un « protestantisme sociologique » provoquant un conformisme et une bienséance insupportables. Toute expression forte ou dissidente y fait horreur. Toute négativité en est bannie : les églises n’y montrent plus le Christ crucifié – odieuse vision d’une incorrecte torture. Exemple : l’Amérique blanche suburbaine du Colorado où, en 1999, deux élèves du lycée Columbine abattent 13 de leurs condisciples et en blessent 32, avant de se suicider. Désormais, Newtown.
— Une société trop policée est donc criminogène ?
XR — Évidemment ! L’être humain n’est pas un robot. L’homme jeune est aventureux, souvent outrancier de propos ou d’actes (“il faut bien que jeunesse se passe”…). Etouffez-le dans le politically correct et la bienséance gnan-gnan – vous aurez inévitablement 999 moutons bêlants – et une bombe humaine. Tout ça est su depuis des siècles – Pascal : “Qui veut faire l’ange, fait la bête” – mais plus présent dans la culture catholique que protestante – sans doute l’une des origines profondes de toute l’affaire.
[...]
— Outre Atlantique, les faits divers, la télévision et le cinéma semblent illustrer une certaine obsession américaine pour le meurtre. Comme l’expliquez-vous ?
XR — L’acte fondateur des Etats-Unis, c’est la Guerre de sécession. Or, loin des superbes batailles bien rangées, des charges de cavalerie du général Lee, ce fut à 90 % une atroce guerre de voisinage, terriblement sanglante et durable. Songez qu’elle s’achève en 1865 et qu’en 1882 encore, le soldat sudiste Jesse James braque toujours des banques, explicitement au nom de la cause perdue (sudiste) !
Avant cette guerre, il n’y avait que peu d’armes aux États-Unis. Le nécessaire pour les ours, les pumas – ou les Indiens. Que vos lecteurs anglophones lisent les deux fascinants livres mentionnés ci-après, ils seront édifiés1. Ces massacres ont donc pour origine un séculaire traumatisme originel. L’arme à feu, la mort, sont enfouis au plus profond de la psyché américaine. Réduire ce drame à une simple affaire de quincaillerie est quand même désolant.
Source
[1] Daniel E. Sutherland, « A savage conflict », UNC Press NC, USA 2009 et T.J. Stiles, « Jesse James, last rebel of the Civil War », Vintage, NY, USA, 2007
— La récente tuerie dans l’école primaire de Newtown relance le débat sur le contrôle des armes à feu. La disponibilité de ces armes, notamment des armes de guerre, explique-t-elle ces épisodes meurtriers ?
Xavier Raufer — La dernière tuerie en date n’a « relancé le débat sur le contrôle des armes à feu » que dans les médias et, de façon factice, chez des politiciens américains incapables de résoudre ce problème. À ce propos, il est inquiétant que sans exception, les grands médias d’« information », quotidiens, radios, télés, énoncent ensemble, au même instant et sans nulle nuance, précisément la même idée, formant ainsi une vaste Pravda collective.
— Même si certains médias le manipulent, le problème existe…
XR — Oui, et pas seulement aux États-Unis ! Mais pour les médias c’est toujours la même rengaine : les tueries entre gangsters à Marseille ? Les Kalachnikov ! On n’en sort pas. Les massacres de masse aux États-Unis : les armes ! Rien d’autre. Or les armes ne tuent jamais – une kalachnikov posée sur la table prend juste la poussière – ce sont ceux qui en usent : gangsters à Marseille, bombes humaines aux États-Unis, qui posent problème. Mais non : la fascination médiatique pour la quincaillerie est absolue.
[On lira avec intérêt sur ce sujet le livre de John R. Lott Jr., More Guns, Less Crime: Understanding Crime and Gun Control Laws, Third Edition (Studies in Law and Economics).]
— Des lois plus restrictives voire la « prohibition » des armes à feu ne feraient-elles pas baisser le nombre de tueries aux États-Unis ?
XR — Dans l’affaire des massacres de masse aux États-Unis, le paramètre des armes n’est ni l’explication, ni la solution. Que les médias d’information s’interrogent : pourquoi n’y a-t-il absolument aucun massacre de masse au Brésil et au Mexique, qui comptent vingt fois plus d’armes incontrôlées que les Etats-Unis ? Un autre phénomène devrait nous interroger : des massacres dans des écoles surviennent parfois en Chine – mais sans armes à feu, plutôt avec des explosifs ou des armes blanches.
[Le taux d'homicide aux États-Unis en 2011 était de 4,8 homicides pour 100.000 habitants, il était de 10,2 en 1980. Ce taux a commencé à augmenter dans les années 60 et à décliner avec les années 90, il semble correspondre à l'influence des baby-boomers dans la population. Le taux de possession d'armes à feu n'a pas baissé entretemps aux États-Unis. Le taux d'homicide au Canada était de 1,74 en 2011 (il était de 2,61 en 1980) et de 4,24 pour le Manitoba.]
— Certes, mais la disponibilité des armes à feu n’augmente-t-elle pas la gravité des autres crimes ?
XR — Bien sûr. Dans West Side Story, les bandes s’expliquent à coups de couteaux. Que ce soit désormais à l’arme de guerre ne fait aucun bien aux statistiques criminelles.
— Si ce n’est pas la disponibilité des armes, quel est donc le facteur déterminant dans les tueries de masse aux Etats-Unis ?
XR — Ce qui provoque ces massacres aux Etats-Unis ne tient pas à l’accessibilité des armes – qui est à l’évidence, un facteur aggravant – mais à l’essence de la société américaine en général, au psychisme de quelques individus en particulier. Esquissons une comparaison avec un drame psycho-social français : l’alcoolisme. Ce phénomène est très profondément enraciné, terriblement long et difficile à réduire. Pour autant, l’alcoolisme est-il réductible à la seule accessibilité de l’alcool ? Vous avez vu, les États-Unis et la prohibition ? Voilà ce qu’il faut méditer, au lieu de s’hypnotiser sur des outils homicides.
— L’existence de bombes humaines désocialisées comme Adam Lanza, le tueur de Newtown, est-elle un phénomène spécifiquement américain ?
XR — Là est le sujet. Pratiqué par des solitaires frustrés ou enragés, éduqués mais coupés de la société, le massacre de masse peut s’appuyer sur un prétexte idéologique ou millénariste. Certains vont aussi prendre pour objet phobique une école, des minorités, etc.
Mais l’origine psychologique n’est pas garantie : parfois, la biologie s’en mêle. Le premier massacre de masse moderne – 15 morts, 32 blessés – est perpétré en août 1966 à l’Université d’Austin (Texas) par Charles Whitman, 25 ans. Abattu par la police, Whitman évoque dans son testament d’étranges élans homicides. Son autopsie révèle une grosse tumeur dans un secteur cérébral régulant l’agressivité.
À ce jour, ces massacres de masse prennent l’ampleur d’un phénomène de société dans des pays riches marqués par un « protestantisme sociologique » provoquant un conformisme et une bienséance insupportables. Toute expression forte ou dissidente y fait horreur. Toute négativité en est bannie : les églises n’y montrent plus le Christ crucifié – odieuse vision d’une incorrecte torture. Exemple : l’Amérique blanche suburbaine du Colorado où, en 1999, deux élèves du lycée Columbine abattent 13 de leurs condisciples et en blessent 32, avant de se suicider. Désormais, Newtown.
— Une société trop policée est donc criminogène ?
XR — Évidemment ! L’être humain n’est pas un robot. L’homme jeune est aventureux, souvent outrancier de propos ou d’actes (“il faut bien que jeunesse se passe”…). Etouffez-le dans le politically correct et la bienséance gnan-gnan – vous aurez inévitablement 999 moutons bêlants – et une bombe humaine. Tout ça est su depuis des siècles – Pascal : “Qui veut faire l’ange, fait la bête” – mais plus présent dans la culture catholique que protestante – sans doute l’une des origines profondes de toute l’affaire.
[Débat animé à la chaîne CNN sur le sujet (le présentateur Piers Morgan est Britannique)]
[...]
— Outre Atlantique, les faits divers, la télévision et le cinéma semblent illustrer une certaine obsession américaine pour le meurtre. Comme l’expliquez-vous ?
XR — L’acte fondateur des Etats-Unis, c’est la Guerre de sécession. Or, loin des superbes batailles bien rangées, des charges de cavalerie du général Lee, ce fut à 90 % une atroce guerre de voisinage, terriblement sanglante et durable. Songez qu’elle s’achève en 1865 et qu’en 1882 encore, le soldat sudiste Jesse James braque toujours des banques, explicitement au nom de la cause perdue (sudiste) !
Avant cette guerre, il n’y avait que peu d’armes aux États-Unis. Le nécessaire pour les ours, les pumas – ou les Indiens. Que vos lecteurs anglophones lisent les deux fascinants livres mentionnés ci-après, ils seront édifiés1. Ces massacres ont donc pour origine un séculaire traumatisme originel. L’arme à feu, la mort, sont enfouis au plus profond de la psyché américaine. Réduire ce drame à une simple affaire de quincaillerie est quand même désolant.
[Le président américain Obama a confié à son vice-président Joe Biden une mission sur la réglementation des armes à feu, il devra mettre en avant des recommandations d'ici le mois prochain. Biden a toujours été pour une réglementation plus stricte des armes à feu. Nous sommes d'accord avec Biden que l'intervenant qui appelle son fusil son « bébé » dans la vidéo ci-dessus a des priorités étranges.]
Source
[1] Daniel E. Sutherland, « A savage conflict », UNC Press NC, USA 2009 et T.J. Stiles, « Jesse James, last rebel of the Civil War », Vintage, NY, USA, 2007
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