La thérapie de conversion — l’utilisation d’interventions psychologiques ou spirituelles pour tenter de changer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne — s’est révélée controversée aux États-Unis et au Canada. Elle est interdite dans le cas des mineurs dans une vingtaine d’États américains. Le gouvernement Trudeau a déposé un projet de loi C-6 qui vise à interdire ce type d’assistance. Le projet de loi trudeaupien a passé une première lecture dans la Chambre des communes.
Le District de Columbia aux États-Unis interdit complètement ces thérapies, quel que soit l’âge. De telles lois pourraient être considérées comme un soutien du gouvernement à la cause LGBTQ2SAI+, mais il se peut qu’elles visent aussi à protéger des personnes vulnérables contre l’arnaque de traitements payants que les législateurs considèrent comme faux ou inefficaces.
Cependant, l’État de Victoria en Australie vient d’adopter un projet de loi qui intensifiera considérablement le conflit entre la liberté religieuse, le choix individuel et la coterie LGBTQ2SAI+.
La législation qui vient d’être adoptée est le Projet de loi 2020 sur l’interdiction des pratiques de changement ou de suppression (conversion). Son intention fondamentale est « de faire en sorte que toutes les personnes, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, se sentent les bienvenues et valorisées dans l’État de Victoria et puissent vivre de manière authentique et fière ».
L’objectif semble assez louable (qui veut vivre dans un endroit où elle ne se sent pas valorisée ?), il incarne ce discours sirupeux et nébuleux caractéristique de notre ère thérapeutique. Se sentir valorisé et vivre de manière authentique sont des phrases creuses et rassurantes que l’on peut ressortir à tout moment. Mais, bien évidemment, cette langue de bois se heurte vite à la réalité : les pédophiles (une orientation sexuelle comme une autre selon plusieurs experts) doivent-ils se sentir bienvenus et valorisés ?
La loi de l’État de Victoria définit une pratique de changement ou de suppression comme suit :
une pratique ou une conduite dirigée vers une personne, avec ou sans son consentement
(a) sur la base de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre de la personne ; et
(b) dans le but :
(i) de changer ou de supprimer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de la personne ;
(ii) ou inciter la personne à changer ou supprimer son orientation sexuelle ou son identité de genre.
Notez que le consentement de la personne n’a pas d’importance pour le législateur : la pratique de changement ou de suppression est illégale que le personne en question la désire ou non.Mais la partie importante du projet de loi d’un point de vue religieux est sa liste de « pratiques de changement ou de suppression ». Celle-ci comprend : « pratiquer une pratique religieuse, y compris, mais sans s’y limiter, une pratique basée sur la prière, une pratique de délivrance ou un exorcisme. »
Bref, si quelqu’un demande à un pasteur, à un prêtre ou à un ami chrétien de prier pour lui afin que ses désirs sexuels ou sa dysphorie de genre puissent être modifiés, oserons-nous dire guéries, ce pasteur, prêtre ou ami court le risque de commettre une infraction pénale. Vraisemblablement, cela s’applique également aux parents qui prient pour leurs enfants — ou peut-être même aux parents qui apprennent à leurs enfants que les expressions du désir sexuel sans entraves (du moins dans les canons du goût bourgeois contemporain) sont inappropriées.
Cette disposition n’est manifestement basée sur aucune objection métaphysique cohérente à la pratique de la prière. Si les législateurs croient que Dieu existe, ils croient vraisemblablement qu’Il est assez sage pour ignorer de telles prières si elles sont réellement nuisibles. Et s’ils ne pensent pas qu’Il existe, alors il semble raisonnable de supposer qu’ils considéreraient une telle prière comme un exercice inefficace, voire insensé.
Si la politique n’est pas métaphysique, elle révèle néanmoins un des aspects de la nouvelle politique identitaire : les traîtres à la cause correctiviste ne peuvent être tolérés. Que ce soit John McWhorter dénonçant la ferveur revivaliste de la nouvelle religion antiraciste qui s’empare des États-Unis ou un quidam en Australie qui estime que sa dysphorie de genre est un problème mental ou spirituel, et non purement corporel, le traître est quelqu’un, au pire malveillant, au mieux quelqu’un qui a besoin d’être protégé de lui-même par l’État et ses lois.
Cette loi démontre également l’un des résultats les plus étranges de l’insistance moderne mis sur la liberté radicale de l’individu. Dans notre monde, théoriquement, chacun doit théoriquement être autorisé à construire leur propre identité. Mais parce que certains récits identitaires s’opposent inévitablement à d’autres, certaines identités doivent donc être privilégiées, légitimées, protégées alors que d’autres seront traitées comme des cancers culturels rétrogrades. Et cela signifie que, ironiquement, l’individu cesse d’être souverain et le gouvernement doit intervenir en tant qu’exécutant. Le groupe de pression à la mode (LGBTQ2SA+ dans ce cas) décide ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Dans ce cas, l’homo ou le trans qui veut (re) devenir hétéro ou « cis » (pour utiliser le jargon actuel prétentieux) est totalement inacceptable. Son récit remet en question celui des autres. On pourrait dire que son existence même est une menace. Accorder une quelconque légitimité à son désir, c’est remettre en cause le statut normatif des désirs d’autrui.
Et c’est pourquoi il faut interdire de prier pour de tels hérétiques à la religion moderne, même s’ils le demandent spécifiquement. Ce n’est pas tant parce que cela nuit aux personnes pour qui l’on prie, mais simplement parce que cela témoigne du fait que certaines personnes — certains homos et trans - n’adhèrent pas aux dogmes de la politique d’identité sexuelle.
Peut-être les sociétés occidentales commencent-elles enfin à saisir que le christianisme témoigne foncièrement du fait que le monde n’est pas comme il devrait être. Il est inquiétant lorsqu’une pratique religieuse aussi fondamentale que la prière — si souvent décriée par les irréligieux comme des sornettes au mieux inutiles — est maintenant la cible d’une législation hostile dans un pays démocratique. Nous n’en sommes peut-être pas encore au point où la pensée est un crime, mais nous semblons en être au point où l’expression de certaines pensées, même dans la prière, pourrait être considérée comme un comportement criminel. Au risque d’encourager les gens à commettre de graves crimes et délits, peut-on exhorter tout le monde à prier pour que les autres pays ne suivent pas l’exemple de l’État de Victoria, car si les autres pays venaient à suivre cet exemple, il pourrait devenir illégal de prier pour presque tout ce déplaira à nos seigneurs et maîtres d’ici quelques années.
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