Jean-Paul Brighelli. On lui doit La Fabrique du crétin. Il prépare, pour la rentrée, un nouvel essai : Tableau noir (Hugo et Cie). Et défend l’actuel système de notation, en même temps qu’une certaine idée de l’école. Valeurs Actuelles l'a interrogé. Extraits.
— Le nouveau ministre socialiste de l'Éducation en France Benoît Hamon estime que les élèves français sont inhibés par la peur de l’échec. Il en déduit qu’il faut changer notre système d’évaluation. Qu’en pensez-vous ?
— Qu’il fait erreur, mais cela ne m’étonne pas. Comme ses prédécesseurs, il épouse les thèses des syndicats qui inspirent depuis des années la politique du [Ministère de l'Éducation] [...] — sans oublier les fédérations de parents d’élèves, je pense à la FCPE. Ce sont eux qui contrôlent l’éducation et plaident pour la suppression des notes qu’ils tiennent pour « un vestige dépassé de l’élitisme républicain » — dixit l’Unsa.
— Mais les élèves ne sont-ils pas stressés ?
— Des élèves inhibés, je n’en connais guère ! Leurs parents, en revanche, sont inquiets, on le voit au moment du bac. Les élèves, eux, savent qu’ils l’auront :dans l’enseignement général, on approche des 100% de réussite! Mais les parents pensent que leurs enfants passent le bac qu’ils ont passé il y a trente ans. Or ce n’est plus du tout le même examen et les consignes de notation ont changé du tout au tout.
Cette année, les élèves ont contesté l’épreuve de mathématiques, qu’ils jugeaient trop compliquée. Le ministère a modifié le barème et l’épreuve sera notée sur 24. Et ceux qui le ratent cette année l’auront l’an prochain.
— On a banni le par-cœur au motif que les élèves devaient apprendre à réfléchir. Or beaucoup ont du mal à résoudre des problèmes pourtant assez simples. N’est-ce pas la preuve que les réformes entreprises depuis trente ans ont échoué ?
On a mis l’accent sur la pédagogie en réduisant systématiquement les horaires de français et de maths. Tout syndicat responsable — c’est un oxymore — devrait exiger une augmentation des heures de français. Mais on fait le contraire : on s’apprête à réviser les programmes à la baisse pour les adapter aux nouveaux rythmes scolaires. [Note du carnet : Il en va de même au Québec : on diminue les heures de français et on augmente fortement celles en anglais alors que les résultats en lecture (ne parlons pas de l'écriture) des élèves québécois francophones (pas les anglophones) baissent fortement dans les épreuves. Voir Très forte chute des résultats en lecture pour les élèves québécois francophones entre 2007 et 2010 et Lecture — la catastrophe québécoise.]
[...]
— On a l’impression, en écoutant Benoît Hamon, que l’école est devenue un lieu de coercition. Vrai ou faux ?
— C’est un discours très désagréable : les enseignants ne sont pas des bourreaux d’enfants ! Il se répand pourtant depuis plusieurs années. Peter Gumbel en a fait la trame de son essai en 2010 : On achève bien les écoliers. Un livre fondé sur l’idée que les élèves français sont stressés, alors que l’école devrait tendre au bonheur tout de suite. Eh bien, je suis désolé, l’école tend au bonheur, c’est vrai, mais au bonheur différé ! Ce qui compte, c’est de former des gens cultivés et compétents, qui sauront résoudre les problèmes qu’ils affronteront, devenus adultes. Vouloir tout, tout de suite, c’est s’exposer, plus tard, à bien des frustrations !
— Les enseignants ne sont pas des tortionnaires, mais le système de notation est-il infaillible ?
— D’abord, aucun enseignant n’assimile un élève à la valeur de ses productions. On a une note, on n’est pas une note. Qu’un élève, pour excuser sa faiblesse, dise : « C’est parce que le prof ne m’aime pas », cela arrive, mais c’est un réflexe d’enfant. Qu’un ministre embraye sur ce discours, c’est grotesque ! Ensuite, une note n’est qu’une indication. Elle permet à l’enseignant d’aider l’élève à se corriger. À progresser ! Pour qu’il ait ensuite une meilleure note en révisant ce qui n’est pas acquis. Enfin, par quoi voudrait-on la remplacer ? Par un indicateur beaucoup plus flou, dont l’efficacité est nulle. Les trois quarts des écoles primaires ont mis en place un livret de compétences où l’enseignant indique si celles-ci ont été acquises, non acquises ou si elles sont en cours d’acquisition.
Qu’est-ce que cela signifie? Une compétence est toujours en cours d’acquisition. L’idée, en fait, c’est de mettre tout le monde à compétences égales ! C’est bien un rejet de l’élitisme républicain. Mais ce rejet favorise in fine les enfants d’une élite, celle qui a les moyens de payer à ses enfants des cours en plus.
— Benoît Hamon prétend pourtant que la notation « satisfait d’abord les familles qui maîtrisent les codes de la réussite à l’école. Il faut en finir, dit-il, avec ces délits d’initiés »…
— Ceux qui sont les plus demandeurs de notes, de la vérité des notes, ce sont les familles les plus défavorisées ! Les bobos ne veulent pas qu’on traumatise leurs enfants mais le peuple, lui, veut que ses enfants apprennent des choses. Et le peuple s’insurge car il a de plus en plus le sentiment que ses enfants n’apprennent rien !
Étonnez-vous, ensuite, qu’il soit tenté par le seul parti qu’on n’ait pas encore essayé…
Source : Valeurs actuelles
— Le nouveau ministre socialiste de l'Éducation en France Benoît Hamon estime que les élèves français sont inhibés par la peur de l’échec. Il en déduit qu’il faut changer notre système d’évaluation. Qu’en pensez-vous ?
— Qu’il fait erreur, mais cela ne m’étonne pas. Comme ses prédécesseurs, il épouse les thèses des syndicats qui inspirent depuis des années la politique du [Ministère de l'Éducation] [...] — sans oublier les fédérations de parents d’élèves, je pense à la FCPE. Ce sont eux qui contrôlent l’éducation et plaident pour la suppression des notes qu’ils tiennent pour « un vestige dépassé de l’élitisme républicain » — dixit l’Unsa.
— Mais les élèves ne sont-ils pas stressés ?
— Des élèves inhibés, je n’en connais guère ! Leurs parents, en revanche, sont inquiets, on le voit au moment du bac. Les élèves, eux, savent qu’ils l’auront :dans l’enseignement général, on approche des 100% de réussite! Mais les parents pensent que leurs enfants passent le bac qu’ils ont passé il y a trente ans. Or ce n’est plus du tout le même examen et les consignes de notation ont changé du tout au tout.
Cette année, les élèves ont contesté l’épreuve de mathématiques, qu’ils jugeaient trop compliquée. Le ministère a modifié le barème et l’épreuve sera notée sur 24. Et ceux qui le ratent cette année l’auront l’an prochain.
— On a banni le par-cœur au motif que les élèves devaient apprendre à réfléchir. Or beaucoup ont du mal à résoudre des problèmes pourtant assez simples. N’est-ce pas la preuve que les réformes entreprises depuis trente ans ont échoué ?
On a mis l’accent sur la pédagogie en réduisant systématiquement les horaires de français et de maths. Tout syndicat responsable — c’est un oxymore — devrait exiger une augmentation des heures de français. Mais on fait le contraire : on s’apprête à réviser les programmes à la baisse pour les adapter aux nouveaux rythmes scolaires. [Note du carnet : Il en va de même au Québec : on diminue les heures de français et on augmente fortement celles en anglais alors que les résultats en lecture (ne parlons pas de l'écriture) des élèves québécois francophones (pas les anglophones) baissent fortement dans les épreuves. Voir Très forte chute des résultats en lecture pour les élèves québécois francophones entre 2007 et 2010 et Lecture — la catastrophe québécoise.]
[...]
— On a l’impression, en écoutant Benoît Hamon, que l’école est devenue un lieu de coercition. Vrai ou faux ?
— C’est un discours très désagréable : les enseignants ne sont pas des bourreaux d’enfants ! Il se répand pourtant depuis plusieurs années. Peter Gumbel en a fait la trame de son essai en 2010 : On achève bien les écoliers. Un livre fondé sur l’idée que les élèves français sont stressés, alors que l’école devrait tendre au bonheur tout de suite. Eh bien, je suis désolé, l’école tend au bonheur, c’est vrai, mais au bonheur différé ! Ce qui compte, c’est de former des gens cultivés et compétents, qui sauront résoudre les problèmes qu’ils affronteront, devenus adultes. Vouloir tout, tout de suite, c’est s’exposer, plus tard, à bien des frustrations !
— Les enseignants ne sont pas des tortionnaires, mais le système de notation est-il infaillible ?
— D’abord, aucun enseignant n’assimile un élève à la valeur de ses productions. On a une note, on n’est pas une note. Qu’un élève, pour excuser sa faiblesse, dise : « C’est parce que le prof ne m’aime pas », cela arrive, mais c’est un réflexe d’enfant. Qu’un ministre embraye sur ce discours, c’est grotesque ! Ensuite, une note n’est qu’une indication. Elle permet à l’enseignant d’aider l’élève à se corriger. À progresser ! Pour qu’il ait ensuite une meilleure note en révisant ce qui n’est pas acquis. Enfin, par quoi voudrait-on la remplacer ? Par un indicateur beaucoup plus flou, dont l’efficacité est nulle. Les trois quarts des écoles primaires ont mis en place un livret de compétences où l’enseignant indique si celles-ci ont été acquises, non acquises ou si elles sont en cours d’acquisition.
Qu’est-ce que cela signifie? Une compétence est toujours en cours d’acquisition. L’idée, en fait, c’est de mettre tout le monde à compétences égales ! C’est bien un rejet de l’élitisme républicain. Mais ce rejet favorise in fine les enfants d’une élite, celle qui a les moyens de payer à ses enfants des cours en plus.
— Benoît Hamon prétend pourtant que la notation « satisfait d’abord les familles qui maîtrisent les codes de la réussite à l’école. Il faut en finir, dit-il, avec ces délits d’initiés »…
— Ceux qui sont les plus demandeurs de notes, de la vérité des notes, ce sont les familles les plus défavorisées ! Les bobos ne veulent pas qu’on traumatise leurs enfants mais le peuple, lui, veut que ses enfants apprennent des choses. Et le peuple s’insurge car il a de plus en plus le sentiment que ses enfants n’apprennent rien !
Étonnez-vous, ensuite, qu’il soit tenté par le seul parti qu’on n’ait pas encore essayé…
Source : Valeurs actuelles
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