Extrait d’un entretien avec Nathalie Heinich. Titulaire d’un doctorat de l’EHESS après avoir effectué une thèse sous la direction de Pierre Bourdieu, Nathalie Heinich est sociologue, spécialiste de l’art contemporain. Elle a publié Des valeurs, une approche sociologique (Gallimard, 2017), un essai fouillé sur la formation des jugements de valeur dans nos démocraties libérales. Ce livre lui a valu le prix Pétrarque de l’essai France Culture — Le Monde 2017..
[...]
— Ce que je disais entre autres dans l’article, c’est qu’on a tort de considérer l’égalité comme une valeur en soi, pertinente dans n’importe quel contexte, alors qu’elle est plutôt un critère de l’équité : un critère parmi d’autres puisque, selon les contextes, le sentiment d’équité peut aussi s’obtenir par le critère du mérite, le critère de l’ordre, le critère du besoin, ou même, dans certains cas, le critère du hasard. Le critère d’égalité ne peut pas s’appliquer de la même façon aux droits civiques, aux droits civils ou aux droits sociaux. Pour ma part, si j’étais hostile au mariage homosexuel, ce n’était pas, comme une certaine droite catholique, au nom de la nature (qui ne peut pas fonder des règles sociales acceptables : si l’on s’en tenait à la nature en matière de filiation, les femmes devraient faire un enfant par an de quatorze à cinquante ans), mais au nom des nécessités symboliques et institutionnelles, qui font que nous ne sommes pas seulement des êtres de chair et de désir, mais aussi des êtres de sens, de noms propres, de généalogies - ce pourquoi l’on a institué, notamment, l’état civil. Je crois — avec beaucoup d’autres — que la dualité de la filiation et la différence des sexes sont constitutives, symboliquement, de notre rapport au monde. [...]
— Vous avez été qualifiée d’« homophobe » et une pétition a même été lancée contre vous lorsque vous avez reçu le prix Pétrarque. Comment jugez-vous ce sectarisme ?
— Pour une certaine gauche sectaire, empreinte de bourdieusisme mal digéré [Note du carnet : des bourdieuseries ?], les adversaires sont des ennemis, avec qui l’on ne doit même pas discuter. C’est dans la culture de l’extrême gauche, à laquelle s’ajoute aujourd’hui une tendance à la censure de tout ce qui ne serait pas conforme à une certaine bien-pensance politique — une tendance qui nous vient des États-Unis, et qui est de plus en plus prégnante et inquiétante. Toute expression d’une opinion qui pourrait heurter les sentiments d’une communauté serait à bannir, et cet appel à la censure ne provient plus des États, mais des milieux intellectuels. C’est très inquiétant. Il existe heureusement des conceptions plus libérales et plus intelligentes de la liberté d’expression, y compris à gauche. Il faut qu’elles se fassent entendre.
Google n’aime pas la diversité d’opinion
Cette tendance à la censure de la gauche « progressiste », cette tendance à vouloir imposer l’égalité, sans considérer pour d’autres aspects comme le mérite ou le besoin, semble être parfaitement illustrée par le comportement de Google cette semaine.
Google a renvoyé mardi l’ingénieur à l’origine d’un document qui expliquait que les écarts de salaire entre hommes et femmes dans le secteur de l’informatique viendraient de différences biologiques. James Damore, accusé de « perpétuer des stéréotypes de genre » selon Google, avait fait circuler le document jusqu’à déclencher une vive polémique dans la Silicon Valley très progressiste et peu ouverte à ce type d’affirmations.
« Les choix et capacités des hommes et des femmes divergent, en grande partie, en raison de causes biologiques et ces différences peuvent expliquer pourquoi les femmes ne sont pas représentées de manière égale dans l’industrie des hautes technologies et [dans les fonctions de] direction », affirmait James Damore dans une note interne. Les aptitudes naturelles des hommes les conduisent à devenir programmateurs en informatique, alors que les femmes sont, selon l’auteur, tournées « vers les sentiments et l’esthétique plutôt que vers les idées », les poussant à opter pour des carrières « dans le social ou l’artistique ».
« Ce n’est pas un point de vue que l’entreprise et moi-même soutenons, promouvons ou encourageons », a fermement affirmé dans un courriel aux salariés Danielle Brown, responsable diversité du géant de l’internet, recrutée il y a quelques mois de chez Intel et en fonction depuis seulement un mois. Visiblement Danielle Brown n’aime pas trop la diversité de pensées.
Actuellement, 69 % des salariés de Google sont des hommes, une proportion qui monte à 80 % dans les emplois technologiques, selon les derniers chiffres du groupe. Chez Facebook, les femmes n’étaient que 27 % parmi les cadres supérieurs en 2016. Quant à Apple, il compte 37 % de femmes au total.
Le document de James Damore (La caisse de résonance idéologique de Google) se trouve ici. Nous traduisons son résumé, intitulé à la bidouilleuse « TL ; PL » (« trop long ; pas lu ») :
Voir aussi
Le paradoxe de l’égalité entre les sexes c. la théorie du genre
La théorie du genre veut qu'il n'y ait pas de différences sexuelles innées entre les sexes, si ce n'est les caractères sexuels apparents. Pas de différences au niveau de la psychologie, des comportements entre hommes et femmes. S'il y en a, ce ne serait que le fait de facteurs environnementaux, sociaux. Les intérêts des femmes pour les professions à fort lien social plutôt que les techniques ne seraient, par exemple, que le fruit d'une culture (machiste bien sûr) qui les enferme depuis la plus tendre enfance dans des rôles traditionnels, moins bien payés.
La vidéo norvégienne ci-dessous (sous-titrée) a suscité un débat médiatique, scientifique et politique de premier plan en Norvège. Depuis ce débat, l’État norvégien a décidé de cesser toutes les subventions aux instituts et associations pro-genre. Ce fut plus particulièrement le cas du Nordisk institutt for kunnskap om kjønn (Institut nordique d'études sur le genre).
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— Ce que je disais entre autres dans l’article, c’est qu’on a tort de considérer l’égalité comme une valeur en soi, pertinente dans n’importe quel contexte, alors qu’elle est plutôt un critère de l’équité : un critère parmi d’autres puisque, selon les contextes, le sentiment d’équité peut aussi s’obtenir par le critère du mérite, le critère de l’ordre, le critère du besoin, ou même, dans certains cas, le critère du hasard. Le critère d’égalité ne peut pas s’appliquer de la même façon aux droits civiques, aux droits civils ou aux droits sociaux. Pour ma part, si j’étais hostile au mariage homosexuel, ce n’était pas, comme une certaine droite catholique, au nom de la nature (qui ne peut pas fonder des règles sociales acceptables : si l’on s’en tenait à la nature en matière de filiation, les femmes devraient faire un enfant par an de quatorze à cinquante ans), mais au nom des nécessités symboliques et institutionnelles, qui font que nous ne sommes pas seulement des êtres de chair et de désir, mais aussi des êtres de sens, de noms propres, de généalogies - ce pourquoi l’on a institué, notamment, l’état civil. Je crois — avec beaucoup d’autres — que la dualité de la filiation et la différence des sexes sont constitutives, symboliquement, de notre rapport au monde. [...]
— Vous avez été qualifiée d’« homophobe » et une pétition a même été lancée contre vous lorsque vous avez reçu le prix Pétrarque. Comment jugez-vous ce sectarisme ?
— Pour une certaine gauche sectaire, empreinte de bourdieusisme mal digéré [Note du carnet : des bourdieuseries ?], les adversaires sont des ennemis, avec qui l’on ne doit même pas discuter. C’est dans la culture de l’extrême gauche, à laquelle s’ajoute aujourd’hui une tendance à la censure de tout ce qui ne serait pas conforme à une certaine bien-pensance politique — une tendance qui nous vient des États-Unis, et qui est de plus en plus prégnante et inquiétante. Toute expression d’une opinion qui pourrait heurter les sentiments d’une communauté serait à bannir, et cet appel à la censure ne provient plus des États, mais des milieux intellectuels. C’est très inquiétant. Il existe heureusement des conceptions plus libérales et plus intelligentes de la liberté d’expression, y compris à gauche. Il faut qu’elles se fassent entendre.
Google n’aime pas la diversité d’opinion
Cette tendance à la censure de la gauche « progressiste », cette tendance à vouloir imposer l’égalité, sans considérer pour d’autres aspects comme le mérite ou le besoin, semble être parfaitement illustrée par le comportement de Google cette semaine.
Google a renvoyé mardi l’ingénieur à l’origine d’un document qui expliquait que les écarts de salaire entre hommes et femmes dans le secteur de l’informatique viendraient de différences biologiques. James Damore, accusé de « perpétuer des stéréotypes de genre » selon Google, avait fait circuler le document jusqu’à déclencher une vive polémique dans la Silicon Valley très progressiste et peu ouverte à ce type d’affirmations.
« Les choix et capacités des hommes et des femmes divergent, en grande partie, en raison de causes biologiques et ces différences peuvent expliquer pourquoi les femmes ne sont pas représentées de manière égale dans l’industrie des hautes technologies et [dans les fonctions de] direction », affirmait James Damore dans une note interne. Les aptitudes naturelles des hommes les conduisent à devenir programmateurs en informatique, alors que les femmes sont, selon l’auteur, tournées « vers les sentiments et l’esthétique plutôt que vers les idées », les poussant à opter pour des carrières « dans le social ou l’artistique ».
« Ce n’est pas un point de vue que l’entreprise et moi-même soutenons, promouvons ou encourageons », a fermement affirmé dans un courriel aux salariés Danielle Brown, responsable diversité du géant de l’internet, recrutée il y a quelques mois de chez Intel et en fonction depuis seulement un mois. Visiblement Danielle Brown n’aime pas trop la diversité de pensées.
Actuellement, 69 % des salariés de Google sont des hommes, une proportion qui monte à 80 % dans les emplois technologiques, selon les derniers chiffres du groupe. Chez Facebook, les femmes n’étaient que 27 % parmi les cadres supérieurs en 2016. Quant à Apple, il compte 37 % de femmes au total.
Le document de James Damore (La caisse de résonance idéologique de Google) se trouve ici. Nous traduisons son résumé, intitulé à la bidouilleuse « TL ; PL » (« trop long ; pas lu ») :
- Le parti-pris politique de Google considère que la liberté de ne pas être offensé est la même chose que la sécurité psychologique, mais humilier les gens pour qu’ils se taisent est l’antithèse de la sécurité psychologique.
- Ce silence a créé un climat de mimétisme idéologique officiel dans lequel certaines idées, devenues sacrées, ne peuvent plus franchement être remises en question.
- L’absence de discussion encourage les partisans les plus extrémistes et autoritaires de cette idéologie [politiquement correcte].
- Extrême : toutes les disparités dans la représentation [du personnel] sont causées par l’oppression ;
- Autoritaire : il faut discriminer pour corriger cette oppression.
- Les différences de répartition des traits entre les hommes et les femmes peuvent en partie expliquer pourquoi les femmes n’occupent pas 50 % des postes en informatique et dans la direction.
- La discrimination [dite « positive »] pour imposer une représentation égale [notamment entre les sexes] est injuste, sème la discorde et mauvaise pour les affaires.
Voir aussi
Le paradoxe de l’égalité entre les sexes c. la théorie du genre
La théorie du genre veut qu'il n'y ait pas de différences sexuelles innées entre les sexes, si ce n'est les caractères sexuels apparents. Pas de différences au niveau de la psychologie, des comportements entre hommes et femmes. S'il y en a, ce ne serait que le fait de facteurs environnementaux, sociaux. Les intérêts des femmes pour les professions à fort lien social plutôt que les techniques ne seraient, par exemple, que le fruit d'une culture (machiste bien sûr) qui les enferme depuis la plus tendre enfance dans des rôles traditionnels, moins bien payés.
La vidéo norvégienne ci-dessous (sous-titrée) a suscité un débat médiatique, scientifique et politique de premier plan en Norvège. Depuis ce débat, l’État norvégien a décidé de cesser toutes les subventions aux instituts et associations pro-genre. Ce fut plus particulièrement le cas du Nordisk institutt for kunnskap om kjønn (Institut nordique d'études sur le genre).