Résumé de Laurent Dandrieu de Valeurs actuelles. Bien que n’ayant plus de responsabilités dans le gouvernement de l’Église, le pape émérite Benoît XVI a tenu à apporter sa pierre à la réflexion sur la crise actuelle, en un long texte inédit diffusé ce 10 avril.
Ayant présidé aux destinées de l’Église au moment où la crise des abus sexuels a explosé publiquement, « je devais m’interroger sur ma possible contribution à un renouveau » : c’est ainsi que, dans l’introduction de cet article destiné à une revue allemande, Klerusblatt, repris en allemand ici et diffusé ce jeudi 11 avril en italien par ACIStampa, Benoît XVI justifie la parution de ce texte, lui qui n’a pas pour habitude d’intervenir dans l’actualité de l’Église depuis sa renonciation. Le pape émérite prend d’ailleurs soin de préciser qu’il a informé le pape François et son secrétaire d’État de sa démarche, et conclut son texte en remerciant « le pape François pour tout ce qu’il fait pour nous montrer, encore et encore, la lumière de Dieu, qui n’a pas disparu, même aujourd’hui. » Autant de précisions qui visent, semble-t-il, à écarter la tentation de considérer le texte de Benoît XVI comme une prise de position sur la politique de son successeur.
Le texte de Benoît XVI se divise en trois parties. La première traite de la révolution sexuelle et de ses conséquences : effondrement de toutes les normes en la matière, omniprésence de la sexualité dans la société, y compris dans les écoles sous couvert d’information, complaisance envers la pédophilie, « alors décrite comme permise et bénéfique ».
Effondrement…
Pour l’Église, cette sexualisation de la société a contribué à l’effondrement des vocations et au départ de nombreux prêtres. Parallèlement et indépendamment à ce phénomène, « la théologie morale catholique a subi un effondrement qui a rendu l’Église sans défense contre ces changements dans la société ». Abandon de loi naturelle, relativisme moral selon lequel « il n’y avait plus rien qui puisse être considéré comme un bien absolu, non plus que comme un mal absolu », ont produit une crise « qui a atteint des proportions dramatiques à la fin des années 1980 et dans les années 1990 ». Alors que l’encyclique de Jean-Paul II Veritatis Splendor (1993) et le Catéchisme de l’Église catholique (1992) tentèrent de dresser des barrages contre ce relativisme, ils ne purent empêcher la progression de l’idée (fausse, selon Benoît XVI) selon laquelle l’Église n’aurait pas de compétence particulière en matière de morale.
La seconde partie du texte décrit les conséquences concrètes de ce relativisme dans l’Église : « Dans divers séminaires, écrit le pape émérite, s’établirent des clans homosexuels qui œuvrèrent plus moins ouvertement et changèrent significativement le climat dans les séminaires. » Le critère de nomination des évêques devint souvent « une ouverture radicale au monde ». Le pape cite le cas d’un évêque qui organisait des projections pornographiques pour les séminaristes, sous couvert de formation…
Le rejet de la Tradition, en certains endroits, était tel que « dans plus d’un séminaire, les étudiants pris en flagrant délit de lire mes livres étaient considérés comme inaptes à la prêtrise », écrit le pape avec un soupçon d’ironie : « Mes livres étaient dissimulés, comme de la littérature malsaine, et lus seulement en cachette ».
Benoît XVI décrit ensuite la trop lente prise de conscience par l’Église du problème posé par la pédophilie, et des réponses appropriées. Il rappelle que pour contrer l’attitude trop répandue de protéger avant tout les droits de l’accusé, en minorant ceux des victimes, il s’est accordé avec Jean-Paul II pour transférer la compétence de ces affaires à la Congrégation pour la doctrine de la foi, ce qui permettait des sanctions allant jusqu’à l’exclusion de l’état clérical, au lieu des simples suspensions qui prévalaient auparavant. Plusieurs milliers de prêtres furent ainsi réduits à l’état laïc sous son pontificat.
Dans un troisième temps, Benoît XVI écarte la tentation de ceux qui, pour répondre à cette crise, se bercent de l’illusion de bâtir « une nouvelle Église », en quelque sorte désacralisée. Au contraire, seule la lumière de l’amour de Dieu « peut constituer un réel contrepoids contre le mal ». Tandis qu’« une société sans Dieu […] est une société qui perd sa mesure […] En réalité, la mort de Dieu dans une société signifie aussi la fin de la liberté, car ce qui meurt est le but qui fournit la direction. Et parce que le compas qui nous fournit la bonne direction en nous apprenant à distinguer le bien du mal a disparu. […] C’est le cas avec la pédophilie. […] Pourquoi la pédophilie a-t-elle atteint de telles proportions ? En dernier ressort, la raison en est l’absence de Dieu. Nous autres chrétiens, prêtres y compris, préférons ne pas parler de Dieu. »
Si Benoît XVI inscrit ainsi la crise traversée par l’Église dans le contexte plus large de la montée du relativisme moral dans le monde en général et de l’hypersexualisation de la société, ce n’est certes pas pour dédouaner l’Église de ses responsabilités. Conséquence de cet oubli de Dieu au sein même de l’Église qui a pour mission de le communiquer : la façon dont beaucoup oublient la Présence réelle du Dieu vivant dans l’Eucharistie, dévaluée comme un simple rite social de communion ecclésiale : « La façon dont les gens reçoivent le Saint-Sacrement en communion comme si c’était une chose banale montre que beaucoup voient la communion comme un geste purement cérémoniel. […] Il est évident que ce n’est pas d’une refonte de l’Église selon nos propres idées que nous avons besoin, mais d’abord et avant tout le renouvellement de notre foi en la Réalité de Jésus qui s’offre à nous dans le Saint-Sacrement. »
Benoît XVI révèle à ce propos une anecdote terrible qui l’a marqué dans ses rencontres avec les victimes de pédophilie : une femme, servante d’autel, régulièrement abusée par un prêtre qui commençait toujours les abus qu’il commettait sur elle par les mots mêmes de la consécration : « Ceci est mon corps… »
Pour finir, le pape émérite invite ses lecteurs à ne pas voir l’Église d’aujourd’hui ni comme une simple institution cléricale qu’il conviendrait de réformer de main d’homme (« Une Église qui se construit elle-même ne peut pas constituer un espoir »), ni comme entièrement soumise à Satan : « Certes, il y a du péché et du mal au sein de l’Église. Mais encore aujourd’hui, il y a la Sainte Église, qui est indestructible. » Et Benoît XVI de nous inviter à reconnaître les pasteurs qui, malgré tout « témoignent de Dieu par leur vie et leur souffrance ».
Pour le pape émérite, si des mesures humaines sont indéniablement nécessaires pour lutter contre le fléau des abus sexuels dans l’Église, c’est d’abord dans la lumière de Dieu que celle-ci retrouvera l’élan pour reprendre sa tâche d’évangélisation.
Rétrospectivement, à la lumière de cette crise terrible que traverse l’Église aujourd’hui pour s’être trop coupée de cette lumière, on comprend mieux pourquoi le pontificat de Benoît XVI se donna la mission d’être avant tout une longue et lumineuse catéchèse, tant était grande l’urgence de remettre le Christ au centre de son Église.
Du 21 au 24 février 2019, à l’invitation du pape François, les présidents de toutes les conférences épiscopales du monde se sont réunis au Vatican pour discuter de l’actuelle crise de la foi et de l’Église ; une crise ressentie dans le monde entier à la suite de la diffusion de révélations choquantes sur les abus commis par des religieux sur des mineurs.
Ayant présidé aux destinées de l’Église au moment où la crise des abus sexuels a explosé publiquement, « je devais m’interroger sur ma possible contribution à un renouveau » : c’est ainsi que, dans l’introduction de cet article destiné à une revue allemande, Klerusblatt, repris en allemand ici et diffusé ce jeudi 11 avril en italien par ACIStampa, Benoît XVI justifie la parution de ce texte, lui qui n’a pas pour habitude d’intervenir dans l’actualité de l’Église depuis sa renonciation. Le pape émérite prend d’ailleurs soin de préciser qu’il a informé le pape François et son secrétaire d’État de sa démarche, et conclut son texte en remerciant « le pape François pour tout ce qu’il fait pour nous montrer, encore et encore, la lumière de Dieu, qui n’a pas disparu, même aujourd’hui. » Autant de précisions qui visent, semble-t-il, à écarter la tentation de considérer le texte de Benoît XVI comme une prise de position sur la politique de son successeur.
Le texte de Benoît XVI se divise en trois parties. La première traite de la révolution sexuelle et de ses conséquences : effondrement de toutes les normes en la matière, omniprésence de la sexualité dans la société, y compris dans les écoles sous couvert d’information, complaisance envers la pédophilie, « alors décrite comme permise et bénéfique ».
Effondrement…
Pour l’Église, cette sexualisation de la société a contribué à l’effondrement des vocations et au départ de nombreux prêtres. Parallèlement et indépendamment à ce phénomène, « la théologie morale catholique a subi un effondrement qui a rendu l’Église sans défense contre ces changements dans la société ». Abandon de loi naturelle, relativisme moral selon lequel « il n’y avait plus rien qui puisse être considéré comme un bien absolu, non plus que comme un mal absolu », ont produit une crise « qui a atteint des proportions dramatiques à la fin des années 1980 et dans les années 1990 ». Alors que l’encyclique de Jean-Paul II Veritatis Splendor (1993) et le Catéchisme de l’Église catholique (1992) tentèrent de dresser des barrages contre ce relativisme, ils ne purent empêcher la progression de l’idée (fausse, selon Benoît XVI) selon laquelle l’Église n’aurait pas de compétence particulière en matière de morale.
La seconde partie du texte décrit les conséquences concrètes de ce relativisme dans l’Église : « Dans divers séminaires, écrit le pape émérite, s’établirent des clans homosexuels qui œuvrèrent plus moins ouvertement et changèrent significativement le climat dans les séminaires. » Le critère de nomination des évêques devint souvent « une ouverture radicale au monde ». Le pape cite le cas d’un évêque qui organisait des projections pornographiques pour les séminaristes, sous couvert de formation…
Le rejet de la Tradition, en certains endroits, était tel que « dans plus d’un séminaire, les étudiants pris en flagrant délit de lire mes livres étaient considérés comme inaptes à la prêtrise », écrit le pape avec un soupçon d’ironie : « Mes livres étaient dissimulés, comme de la littérature malsaine, et lus seulement en cachette ».
Benoît XVI décrit ensuite la trop lente prise de conscience par l’Église du problème posé par la pédophilie, et des réponses appropriées. Il rappelle que pour contrer l’attitude trop répandue de protéger avant tout les droits de l’accusé, en minorant ceux des victimes, il s’est accordé avec Jean-Paul II pour transférer la compétence de ces affaires à la Congrégation pour la doctrine de la foi, ce qui permettait des sanctions allant jusqu’à l’exclusion de l’état clérical, au lieu des simples suspensions qui prévalaient auparavant. Plusieurs milliers de prêtres furent ainsi réduits à l’état laïc sous son pontificat.
Dans un troisième temps, Benoît XVI écarte la tentation de ceux qui, pour répondre à cette crise, se bercent de l’illusion de bâtir « une nouvelle Église », en quelque sorte désacralisée. Au contraire, seule la lumière de l’amour de Dieu « peut constituer un réel contrepoids contre le mal ». Tandis qu’« une société sans Dieu […] est une société qui perd sa mesure […] En réalité, la mort de Dieu dans une société signifie aussi la fin de la liberté, car ce qui meurt est le but qui fournit la direction. Et parce que le compas qui nous fournit la bonne direction en nous apprenant à distinguer le bien du mal a disparu. […] C’est le cas avec la pédophilie. […] Pourquoi la pédophilie a-t-elle atteint de telles proportions ? En dernier ressort, la raison en est l’absence de Dieu. Nous autres chrétiens, prêtres y compris, préférons ne pas parler de Dieu. »
Si Benoît XVI inscrit ainsi la crise traversée par l’Église dans le contexte plus large de la montée du relativisme moral dans le monde en général et de l’hypersexualisation de la société, ce n’est certes pas pour dédouaner l’Église de ses responsabilités. Conséquence de cet oubli de Dieu au sein même de l’Église qui a pour mission de le communiquer : la façon dont beaucoup oublient la Présence réelle du Dieu vivant dans l’Eucharistie, dévaluée comme un simple rite social de communion ecclésiale : « La façon dont les gens reçoivent le Saint-Sacrement en communion comme si c’était une chose banale montre que beaucoup voient la communion comme un geste purement cérémoniel. […] Il est évident que ce n’est pas d’une refonte de l’Église selon nos propres idées que nous avons besoin, mais d’abord et avant tout le renouvellement de notre foi en la Réalité de Jésus qui s’offre à nous dans le Saint-Sacrement. »
Benoît XVI révèle à ce propos une anecdote terrible qui l’a marqué dans ses rencontres avec les victimes de pédophilie : une femme, servante d’autel, régulièrement abusée par un prêtre qui commençait toujours les abus qu’il commettait sur elle par les mots mêmes de la consécration : « Ceci est mon corps… »
Pour finir, le pape émérite invite ses lecteurs à ne pas voir l’Église d’aujourd’hui ni comme une simple institution cléricale qu’il conviendrait de réformer de main d’homme (« Une Église qui se construit elle-même ne peut pas constituer un espoir »), ni comme entièrement soumise à Satan : « Certes, il y a du péché et du mal au sein de l’Église. Mais encore aujourd’hui, il y a la Sainte Église, qui est indestructible. » Et Benoît XVI de nous inviter à reconnaître les pasteurs qui, malgré tout « témoignent de Dieu par leur vie et leur souffrance ».
Pour le pape émérite, si des mesures humaines sont indéniablement nécessaires pour lutter contre le fléau des abus sexuels dans l’Église, c’est d’abord dans la lumière de Dieu que celle-ci retrouvera l’élan pour reprendre sa tâche d’évangélisation.
Rétrospectivement, à la lumière de cette crise terrible que traverse l’Église aujourd’hui pour s’être trop coupée de cette lumière, on comprend mieux pourquoi le pontificat de Benoît XVI se donna la mission d’être avant tout une longue et lumineuse catéchèse, tant était grande l’urgence de remettre le Christ au centre de son Église.
(Traduction non officielle)
Du 21 au 24 février 2019, à l’invitation du pape François, les présidents de toutes les conférences épiscopales du monde se sont réunis au Vatican pour discuter de l’actuelle crise de la foi et de l’Église ; une crise ressentie dans le monde entier à la suite de la diffusion de révélations choquantes sur les abus commis par des religieux sur des mineurs.