dimanche 19 novembre 2017

Le quasi-monopole de l'Éducation nationale, juge et partie, fausse l'offre par la gratuité à sa seule école

Anne Coffinier reçoit les journalistes de la revue Limite dans les locaux de la Fondation pour l’École, situés à  Montmartre, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Reconnue d’utilité publique depuis 2008, la fondation a aidé plus de 700 écoles libres sur les 1300 existantes actuellement. Dans son bureau, l’ancienne de l’ENA et de Normale Sup' a accroché au mur deux portraits de vedettes dont elle nous montre les photos en grand format. Elle sourit, comme fière de son coup : Hannah Arendt et Simone Weil. Deux pédagogues hors-norme. Judicieux pour mettre tout le monde à l’aise.


Limite — Je vous présente deux constats : « l’école publique se délabre, il faut donc impulser d’autres initiatives scolaires » ; et l’autre, « quoi qu’il advienne, que l’école publique soit excellentissime ou non, il faut fonder des alternatives » ? À la Fondation pour l’École, lequel de ces deux constats vous correspond le plus ?

Anne Coffinier — Le second ! Le pluralisme scolaire est une nécessité politique autant que pédagogique. Il en va de la liberté de notre société. En revanche, contrairement à une légende urbaine, on n’est pas du tout favorable à la disparition de l’Éducation Nationale, ou d’un secteur public.

Limite — J’allais vous poser cette question, mais pas aussi directement…

Anne Coffinier — Nous sommes opposés à ce que l’Éducation nationale continue à bénéficier d’une situation de quasi-monopole, avec de tels privilèges exorbitants, en étant juge et partie du système éducatif. Nous sommes hostiles à toute forme de monopole public ou privé, dans les domaines d’activité non régaliens comme l’éducation ou la santé par exemple.

Limite — Mais quelle est votre approche vis-à-vis de l’éducation ?

Anne Coffinier — Notre approche consiste à dire qu’il y a besoin de pluralisme, de diversité en matière pédagogique et éducative ; parce que les enfants sont différents, ils ont besoin de solutions éducatives différentes pour réussir. Par ailleurs, une implication accrue de la société civile dans l’éducation nous semble nécessaire. L’éducation doit devenir pour les Français une cause nationale. Plus on investit dans l’éducation de son propre enfant, plus on sert le bien commun. Il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle. À chaque fois qu’il y a un enfant bien éduqué de plus, même s’il a été formé dans une école privée qui a coûté très cher, c’est une chance pour la communauté nationale dans son ensemble.

Limite — Est-ce que vous entendez les reproches adressés à l’école privée sous contrat ? Mélenchon, par exemple, propose de faire sauter les aides aux écoles privées, en disant qu’il n’y a pas de raison que les Français paient des impôts pour des instituts privés.

Anne Coffinier — Sa position est un retour au fameux slogan laïcard « argent public/école publique, argent privé/école privée » qui repose sur l’idée que, dans la mesure où l’État assure à tous un service gratuit, si vous n’en êtes pas contents, c’est normal que vous financiez vous-même une alternative.

Mais cet argument est tout simplement faux, parce que les services ne sont pas équivalents. Une école libre ne met pas en œuvre la même vision éducative que l’État. L’Éducation nationale et les différentes écoles libres ne représentent pas des chemins différents qui mènent au même endroit, mais bien des chemins différents qui conduisent à des endroits différents ! C’est pour cela d’ailleurs que la liberté scolaire n’est pas un luxe, mais bien un droit constitutionnel. Et que le pluralisme éducatif alimente le pluralisme politique et la créativité de la société. Seule une société unanimiste pourrait légitimement avoir une école unique, mais notre société est marquée par le pluralisme et l’aspiration à la liberté et la diversité.

Limite — On peut vous opposer immédiatement l’argument « inégalitaire. » Comment éviter qu’il y ait des castes, avec des enfants ayant eu une bonne éducation et ceux n’ayant pas eu cette chance ?

Anne Coffinier — La réponse est très simple : c’est l’État qui a pris la décision discriminatoire de pénaliser financièrement les familles qui n’ont pas choisi son école publique. Rien ne l’y oblige. Les parents d’élèves scolarisés dans le privé ne paient-ils pas des impôts ? Sont-ils des sous-citoyens auxquels on peut refuser des droits fondamentaux ? Par l’argent, l’État exerce un chantage illégitime sur le choix des parents, alors qu’il est censé être le garant de la liberté d’enseignement !

Limite — Oui enfin c’est un faux choix pour certains. Beaucoup de parents aimeraient inscrire leurs enfants dans le privé, mais ne peuvent pas se le permettre.

Anne Coffinier — Mais justement ! C’est à cause du chantage financier exercé par l’État que les parents les moins aisés sont concrètement privés de leur liberté de choisir l’école. À cause de l’attitude de l’État, seuls les riches et ceux qui sont prêts à d’importants sacrifices (donc la véritable élite !) jouissent effectivement du pouvoir de choisir. L’argent qui permet de financer l’école publique d’où vient-il ? De vous et moi. Nous contribuons tous à financer l’école publique, même lorsque nos enfants sont scolarisés en écoles libres.

La vérité est que l’on se retrouve à payer pour des écoles « privées » uniquement parce que l’Etat décide, unilatéralement, d’accorder la gratuité à un type d’école et de réserver la non-gratuité aux autres.

C’est pourquoi nous nous battons tous les jours pour obtenir un financement public du libre choix scolaire, pour que n’importe quel enfant puisse choisir l’école de son choix, sans qu’il y ait une pression financière qui s’exerce sur sa famille. En attendant, l’une de nos fondations abritées octroie des bourses aux enfants des familles défavorisées, pour que la possibilité effective de choisir son école ne soit pas le privilège d’une minorité..

Limite — Est-ce que l’on peut réellement rendre l’école privée gratuite ? Cela semble quand même compliqué à mettre en place…

Anne Coffinier — Mais cela existe dans de nombreux pays et depuis longtemps comme aux Pays-Bas ou en Suède, pourquoi n’y arriverait-on pas en France ? Au passage, la gratuité totale n’est une bonne chose ni pour l’école publique ni pour l’école privée, car elle démobilise les acteurs éducatifs. Des frais de scolarité très bas, mais non nuls sont préférables.

Il faut en revenir à la source de légitimité en matière de choix éducatifs.

Soit l’on considère que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, soit l’on estime que c’est l’État qui sait ce qui est bon pour les familles. Il n’y a pas cinquante conceptions possibles. La première solution est celle de l’Église catholique et de toutes les conventions des droits de l’homme internationales ou européennes. La seconde, chère à Robespierre, est typique du totalitarisme.

Limite — C’est un peu fort de café ça quand même…

Anne Coffinier — L’école publique considère que les parents sont structurellement dangereux pour leurs enfants, et que l’école est là pour émanciper [« rendre autonome » dans le jargon éducatif du Québec, ou encore « explorer des valeurs et normes » « au-delà de celles de la famille »] c’est-à-dire pour rendre l’enfant étranger à sa propre culture.

Certes, l’école n’est pas un prolongement de l’espace domestique, mais un lieu intermédiaire entre la famille et la Nation, qui « introduit » le futur adulte à la vie de la cité. Je ne vois pas en quoi une école, qui occulterait sciemment chez l’enfant toute dimension spirituelle, toute attention à son intériorité ou à Dieu, serait plus respectueuse de la liberté de conscience de l’enfant qu’une école reposant sur une conception de la personne comme être spirituel doué d’une intériorité à cultiver.

Limite — Vous attachez beaucoup d’importance au libre choix. Chez Limite, nous sommes plutôt très critiques vis-à-vis du dogme de la prévalence du choix, de la prévalence de l’individu.

Anne Coffinier — Mais vous êtes aussi très attachés aux communautés, non ? En revendiquant le droit pour tous de choisir vraiment son école, nous ne souscrivons pas à une approche individualiste, celle du « c’est mon choix… ».

Tout au contraire, nous pensons que le seul moyen de lutter contre la dérive individualiste de la société, d’éviter que les personnes soient ravalées au rang d’individus interchangeables et manipulables, est d’aider les personnes à s’enraciner dans des communautés à taille humaine (comme leur école), aptes à leur faire apprécier et aimer la communauté nationale.

On ne peut éduquer qu’en communauté. C’est précisément ce que l’école publique n’est pas, mais que les écoles libres peuvent être, fortes de leurs professeurs soudés autour d’une vision éducative commune à laquelle ils ont librement décidé de prêter leur concours.

Les écoles indépendantes sont fondées par des personnes qui refusent de se plaindre contre « le système éducatif », retroussent leurs manches, et font leur part en toute liberté et en toute responsabilité. Ce n’est pas sans beauté !

Source : Limite, juin 2017

Le système scolaire public américain serait dans une impasse

L’extension du libre choix de l’école pour les parents est clairement l’une des priorités affichées par Donald Trump et Betsy Devos (ci-contre) en matière d’éducation.

Pour le budget 2018, ce n’est pas moins de 1 milliard de dollars que Betsy Devos prévoit d’allouer à l’extension du libre choix. Un parti pris justifié, selon elle, par l’inefficacité du système public, qui se trouve non seulement en situation de monopole, mais surtout dans une impasse.

Pour bien saisir les enjeux, quelques chiffres sur le système scolaire américain à connaître :

  • Plus de 80 % des élèves américains sont dans le système public classique.
  • 10 % fréquentent des établissements privés, et 5 à 6 % des écoles à charte.
  • On compte environ 3 % d’enfants qui reçoivent leur instruction en famille.

Pour lire l’article du Washington Post en entier, cliquer ici.