Trois ans après la légalisation du cannabis au Canada, la consommation du cannabis a augmenté chez les adultes, plus particulièrement chez les personnes âgées de 25 à 54 ans. Quant aux jeunes de 15 à 17 ans, leur consommation de cette drogue a diminué. C’est ce qui ressort d’une étude publiée vendredi passé par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).
Cannabis, une drogue d’adultes, de vieux ?
En 2018, 22 % des personnes de 15 à 17 ans disaient consommer du cannabis, contre 21 % en 2019 et 19 % en 2021, détaille l’ISQ.
Un constat qui laisse « perplexe » la Dre Marie-Ève Morin, médecin de famille travaillant en dépendance et en santé mentale à la clinique La Licorne, à Montréal.
« Je crois que ç’a été compensé par d’autres substances chez les jeunes. Ce n’est pas vrai que les jeunes consomment moins. Au contraire, je pense que les jeunes du secondaire consomment de plus en plus de benzodiazépine, le Xanax. Ils ont de plus en plus accès au speed [amphétamine], à l’ecstasy », explique-t-elle à La Presse, à la lumière de sa pratique.
Elle se demande également si la consommation de wax, de la cire de cannabis contenant une très forte dose de THC, a été comptabilisée dans l’étude.
« La nouvelle mode, ce sont les wax pens. Ce sont des crayons [de cire] qui se vendent 40 $ l’unité, et là-dedans, il y a un nombre prédéterminé de doses de wax », poursuit la Dre Morin. Ce produit circule sur le marché noir.
Au contraire, la diminution de la consommation de cannabis des jeunes n’étonne pas Jean-Sébastien Fallu, professeur à l’École de psychoéducation à l’Université de Montréal, chercheur à l’Institut universitaire sur les dépendances (IUD) et au Centre de recherche en santé publique (CReSP). Depuis une dizaine d’années, une diminution de la consommation d’alcool et d’autres substances a pu être observée dans cette tranche d’âge, estime-t-il, même si à l’avenir un rebond n’est pas à exclure.
Augmentation de la consommation chez les adultes
La proportion totale de consommateurs de cannabis de 15 ans et plus a cependant augmenté au Québec, passant de 14 % à près de 20 % de 2018 à 2021, selon l’ISQ.
Chez les personnes de 25 à 34 ans, la proportion de consommateurs de marijuana est passée de 26 % en 2018 à 29 % en 2019, puis à 36 % en 2021. Ce taux a augmenté de 12 % en 2018 à 15 % en 2019, et à 20 % en 2021, au sein de la population âgée de 35 à 54 ans, dévoile la même étude de l’ISQ.
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Proportion de consommateurs de cannabis au Québec, selon différentes tranches d’âge (Source : ISQ) |
« Il était prévu qu’une légalisation puisse être associée à une augmentation de consommateurs, mais on ne s’attendait pas à de grandes augmentations, ce qui est effectivement le cas, notamment durant la première année », déclare Jean-Sébastien Fallu. Il pense que la gestion de pandémie de COVID-19 (confinement, couvre-feu) est à l’origine de la hausse marquée de la consommation de cannabis observée lors de la dernière année.
Parmi les 20 % de Québécois se disant consommateurs de marijuana, 24 % ont déclaré avoir augmenté leur consommation en raison de la gestion de la pandémie, rapporte l’ISQ.
Toutefois, les proportions des types de consommateurs de cannabis, soit quotidiens ou occasionnels, par exemple, n’ont pas changé de façon marquée au cours de la pandémie, précise M. Fallu.
Depuis le début de la gestion gouvernementale de la pandémie, « beaucoup de personnes adultes ont commencé à développer des troubles psychologiques ou psychiatriques. Au lieu d’aller consulter un médecin, ils ont pris ce qu’ils avaient sous la main pour se soulager. On a vu pendant la pandémie une augmentation de la consommation d’à peu près toutes les substances », évoque la Dre Morin.
Elle estime que la consommation de cannabis est banalisée, car elle est considérée comme moins risquée que celle d’autres drogues.
« Mais ça augmente le taux des cancers respiratoires, ça augmente les risques de psychose, ça a un effet dépresseur à long terme, c’est addictif [et] il y a un sevrage quand on arrête. Ce n’est pas banal, le pot », rappelle-t-elle.
La stigmatisation liée au cannabis s’estompe au Canada et les gens en consomment davantage
La stigmatisation liée au fait de fumer de l’herbe s’estompe et les gens en consomment davantage, selon une étude.
Trois ans après que le cannabis est devenu légal, davantage de Canadiens fument qu’on ne le pensait, selon une étude publiée par l’Université Dalhousie.
Menée en mai, l’étude a révélé que 42 % des personnes interrogées se considèrent comme des consommateurs de cannabis, avec environ 12 % déclarant avoir commencé à consommer de la marijuana après sa légalisation en octobre 2018.
Les résultats sont 20 % plus élevés que le pourcentage de Canadiens que l’on croyait fumeurs de cannabis, selon un récent rapport de Statistique Canada.
Les chiffres sont également en hausse de 36 % par rapport à une étude similaire menée à Dalhousie en 2019. « L’acceptation et la consommation de cannabis augmentent et la stigmatisation sociale diminue », a déclaré Brian Sterling, co-auteur du rapport.
« Cela se normalise de plus en plus », a ajouté Sterling, associé de recherche au Laboratoire d’analyse agroalimentaire de l’Université Dalhousie. « De plus en plus de gens l’achètent légalement. La plupart ne sont plus vraiment inquiets à l’idée d’en parler ouvertement. »
Le rapport indique également que les attitudes canadiennes ont changé en faveur du cannabis légal, y compris la consommation publique de la drogue dans des endroits comme les restaurants.
Il indique également que maintenant 78 % des Canadiens sont en faveur de la légalisation — contre la moitié de la population canadienne qui a soutenu le pot légal en 2019.
Environ 60 % des Canadiens achètent de l’herbe dans un magasin de cannabis et 32 % ont déclaré avoir augmenté leur consommation d’herbe en raison de la gestion de la pandémie.
La légalisation n’a pas fait disparaître le marché noir
Un des buts proclamés de la légalisation était d’endiguer les ventes du marché noir. Mais aujourd’hui, à peine plus de la moitié des ventes de marijuana sont réalisées sur le marché légal. « La demande ne s’est pas transférée du marché illégal vers le marché légal, surtout dans l’ouest du pays », explique Jean-François Ouellet, professeur à HEC Montréal.
Seul le Québec semble faire office d’exception. Il a choisi un système public de vente via ses points SQDC (Société québécoise du cannabis), tandis que beaucoup de provinces tournent au 100 % privé, ou avec les deux régimes. « Le Québec a aussi choisi de vendre du cannabis au même prix que le marché noir. Et si les gens ne veulent pas se déplacer, il leur est possible de commander en ligne et de se faire livrer le jour même, », poursuit le professeur.
« Les enquêtes surestiment généralement la partie légale et sous-estiment la partie illégale », relativise Michael Armstrong, professeur de l’université Brock de St Catharines (Ontario), tout en soulignant qu’il « existe une tendance claire vers des dépenses plus légales et moins illégales ».
« Les petits revendeurs illégaux ont été les plus touchés, confie le psychologue Serge Brochu, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Les grandes organisations criminelles ayant une offre diversifiée d’activités illicites ont pu investir dans d’autres créneaux. » Cet expert estime illusoire de croire que la légalisation du pot le fera disparaître. « Le marché noir canalise de plus en plus ses efforts sur les sites internet pour proposer des produits à moindre coût », note Amnon Jacob Suissa, professeur de sociologie de l’Université du Québec à Montréal.
Forte concurrence, surproduction et baisse des prix ont mis un coup de frein à l’emballement dans l’industrie naissante du cannabis récréatif légal.
Le géant Canopy Growth gérait sept usines de culture au Canada. Elles ont toutes fermé ou ont été vendues en 2020. Cotée en Bourse, l’entreprise a vu la valeur de son action chuter de plus de 26 % depuis janvier. Une baisse qui s’explique par « des points de vente fermés pendant les confinements » et des « problèmes d’approvisionnement avec les sites américains », selon le PDG David Klein. Ses concurrents dénoncent aussi le manque de points de vente dans certaines provinces.
Certains producteurs ont dû se mettre à l’abri de leurs créanciers, comme AgMedica et Wayland.
Emerald Health Therapeutics, qui emploie 120 personnes, résiste, mais ne songe pas, pour l’instant, s’agrandir à l’international.
Contexte
Depuis le 17 octobre 2018, la vente, la possession, la production et la distribution de cannabis sont encadrées légalement au Canada. Mais pour protéger les mineurs, la loi prévoit de lourdes sanctions pour les personnes qui leur vendent du cannabis ou qui se servent d’eux pour commettre une infraction liée à cette drogue (en les utilisant comme revendeurs ou guetteurs, par exemple). L’âge légal pour consommer du cannabis au Québec est de 21 ans. Il est de 19 ans dans les autres provinces canadiennes, sauf en Alberta, où il est de 18 ans.