Le 22 aout dernier, Keith Wedel, porte-parole des mennonites de Roxton Falls, en Estrie, fait paraitre dans La Voix de l’Est une lettre dans laquelle il explique que plusieurs membres de sa communauté s’apprêtent à déménager « à cause des lois du Québec sur l’éducation ». Il fait référence à une note du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport datée de juin 2007 enjoignant leur école primaire de se conformer aux programmes scolaires en vigueur, sans quoi son permis serait révoqué.
Le principal litige vient du fait que la petite communauté d’une cinquantaine de personnes refuse d’enseigner à ses enfants la théorie de l’évolution des espèces (darwinisme) et n’accepte que la doctrine de la création, voulant que les êtres vivants, le ciel et la terre aient été créés par Dieu (créationnisme).
Dans quelle mesure les écoles peuvent-elles s’éloigner des programmes adoptés et mis à jour par le ministère et comment faut-il traiter les récalcitrants ? Nous avons posé la question à Jean-Pierre Proulx et Claude Lessard, professeurs à la Faculté des sciences de l’éducation, et à Guy Durand, professeur émérite de la Faculté de théologie et de sciences des religions et auteur d’un ouvrage récent intitulé L’école privée: pour ou contre? (Les Éditions Voix parallèles).
Question très intéressante et nous tenterons dans un prochain billet de fournir une réponse libérale et tolérante à cette question.
« La responsabilité première du ministère est d’assurer la qualité de l’éducation au Québec. On imagine mal que le darwinisme puisse être ignoré dans l’enseignement des sciences », commente M. Proulx. À son avis, le ministère a bien agi en menaçant de fermer l’école mennonite.
Notons au passage que le ministère n’a pas tant menacé de fermer une école, il l’a fait fermer, mais qu'il a menacé les parents d’actions judiciaires par l'entremise des services de Direction de la « protection » de la jeunesse s’ils ne se soumettaient pas. Menace contre des parents et des enfants, pas contre une entité abstraite.
Quant au fond : si on peut considérer – à notre avis en partie à tort, nous y reviendrons – que l’État doit garantir la qualité de l’enseignement, on peut se demander si la priorité en termes de qualité d’éducation aujourd’hui au Québec est de pourchasser les mennonites conservateurs (une cinquantaine de personnes !) ou de s’assurer que tous les jeunes gens qui passent par les écoles du Monopole puissent lire correctement et ne plus avoir 30 % de jeunes Québécois qui ne peuvent pas comprendre le sens d'un paragraphe.
On imagine mal que le darwinisme puisse être ignoré dans l’enseignement des sciences
La nature optionnelle de l'enseignement de la théorie de Darwin a été signalée aux mennonites lors d’une rencontre il y a quelques semaines avec des responsables du Monopole. Lors de cette rencontre, on leur aurait dit qu'il semblerait y avoir un malentendu et qu'ils n’étaient pas obligés d’enseigner le darwinisme. La question devient alors : peut-on toutefois enseigner la biologie sans aborder ce qui n’est après tout qu’une théorie scientifique et se concentrer à l'école — on ne parle pas ici d'un enseignement universitaire — sur des aspects plus terre-à-terre de la science ? Est-ce vraiment si dur à supporter ?
On comprend que M. Proulx aime l’idée d’unicité de programme, d'obligation de le suivre et approuve les menaces faites à l'encontre des « originaux » qui pensaient pouvoir jouir de la même liberté au Québec qu'ailleurs au Canada, mais on ne comprend pas la raison de son enthousiasme à applaudir l'État dans le cas des mennonites puisque de toute façon cette matière est optionnelle !
Guy Durand se montre embêté par notre question. « Les écoles privées suivent généralement le programme établi par le ministère, en ajoutant des éléments qui leur paraissent importants. Par exemple, les groupes religieux feront l’étude de la Bible, du Coran ou de la Torah. Toutefois, pour être subventionnées, elles doivent recevoir la visite d’évaluateurs. »
Dans le cas des écoles privées qui ne reçoivent aucune subvention gouvernementale (moins de 10 % d’entre elles, estime l’auteur), la question est plus délicate. « Avons-nous, collectivement, le devoir d’intervenir si l’intégrité psychologique des enfants est menacée ?
Je dirais que oui. Mais pas à n’importe quel prix », répond-il. Le fait de tenir les enfants à l’écart du darwinisme « n’est pas si grave que ça », car ils auront bien l’occasion de le découvrir tôt ou tard.
« Il y a une certaine autonomie dans l’application des programmes, mais à l’intérieur de balises bien définies », explique M. Lessard. Au cours de ses recherches, l’ancien doyen de la Faculté a noté que les enseignants jouissent d’une grande liberté dans leur classe. En histoire, par exemple, certains consacrent plus d’heures que d’autres aux évènements marquants du 19e siècle ou de la période préhistorique; d’autres favorisent le cours magistral ou les nouvelles technologies de l’information. Cependant, tout cela se fait en respectant le programme ministériel (le « curriculum ») en vue de l’examen final. M. Lessard n’aurait pas d’objection à ce que le créationnisme soit présenté comme un courant idéologique à l’intérieur d’un cours sur l’éducation à la citoyenneté ou en enseignement moral et religieux. « Le problème, ici, c’est de présenter le créationnisme comme une théorie scientifique. C’est inacceptable. »
Depuis les années 60, la Loi sur l’instruction publique rend la fréquentation de l’école obligatoire pour tous, rappelle M. Proulx. Certains enfants sont soustraits à cette obligation par la volonté des parents. Le prix à payer est parfois élevé, car leur formation ne sera pas reconnue par le réseau scolaire. On sait qu’environ 2000 enfants fréquentent actuellement des « écoles clandestines ». Ils sont juridiquement hors la loi.
On nous apprend, incidemment, que plusieurs mennonites de Roxton Falls ont passé en une journée leur diplôme de secondaire V après leur arrivée au Québec pour pouvoir avoir accès à des professions réglementées (autres spécialités du Québec).
Pour leur part, grâce à leur foi, les mennonites n’ont pas déclaré forfait. « Si un miracle se produit et que nous obtenons la permission d’ouvrir notre école cet automne, nous n’allons pas déménager mais, avec joie, [nous allons] rester ici », écrit M. Wedel.