dimanche 23 septembre 2007

La tolérance universitaire...

Extraits d’un article du 4 septembre du FORUM, le journal de l’Université de Montréal :
Le 22 aout dernier, Keith Wedel, porte-parole des mennonites de Roxton Falls, en Estrie, fait paraitre dans La Voix de l’Est une lettre dans laquelle il explique que plusieurs membres de sa communauté s’apprêtent à déménager « à cause des lois du Québec sur l’éducation ». Il fait référence à une note du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport datée de juin 2007 enjoignant leur école primaire de se conformer aux programmes scolaires en vigueur, sans quoi son permis serait révoqué.
Ce n’est déjà que la moitié des faits : « de se conformer aux lois et règlements ». En effet, la principale pierre d’achoppement, pour l’instant, n’est pas le programme que veut imposer le Ministère, mais les qualifications requises pour enseigner au Québec.
Le principal litige vient du fait que la petite communauté d’une cinquantaine de personnes refuse d’enseigner à ses enfants la théorie de l’évolution des espèces (darwinisme) et n’accepte que la doctrine de la création, voulant que les êtres vivants, le ciel et la terre aient été créés par Dieu (créationnisme).
Pas du tout. D’une part, comme on l’a vu ce n’est pas le principal litige (il semble que cette légende soit issue d’une dépêche sensationnaliste de l’AFP reprise sans discrimination par des journaux comme le Devoir), d’autre part, le créationnisme à la limite ne s’oppose pas à l’évolution des espèces, car on peut croire que Dieu a créé les êtres vivants, le Ciel et la Terre et penser que ces êtres vivants peuvent évoluer. [Voir l’article de Wikipédia : « Le créationnisme - au sens large - est la thèse selon laquelle la Terre, et par extension l'Univers, a été créée par un être supérieur, c'est-à-dire un Dieu. Il constitue une croyance des trois principales religions monothéistes (judaïsme, christianisme et islam). »]
Dans quelle mesure les écoles peuvent-elles s’éloigner des programmes adoptés et mis à jour par le ministère et comment faut-il traiter les récalcitrants ? Nous avons posé la question à Jean-Pierre Proulx et Claude Lessard, professeurs à la Faculté des sciences de l’éducation, et à Guy Durand, professeur émérite de la Faculté de théologie et de sciences des religions et auteur d’un ouvrage récent intitulé L’école privée: pour ou contre? (Les Éditions Voix parallèles).

Question très intéressante et nous tenterons dans un prochain billet de fournir une réponse libérale et tolérante à cette question.
« La responsabilité première du ministère est d’assurer la qualité de l’éducation au Québec. On imagine mal que le darwinisme puisse être ignoré dans l’enseignement des sciences », commente M. Proulx. À son avis, le ministère a bien agi en menaçant de fermer l’école mennonite.
Il s’agit du même M. Proulx qui défend le programme unique d’éthique et de culture religieuse qui va remplacer la diversité de programmes de morale et de religion. Imposition qui se fera dans toutes les écoles du Québec, primaires et secondaires, publiques, privées et même confessionnelles ! Dans le cas des mennonites, M. Proulx semble une nouvelle fois être contre le choix et lui préfère l'imposition d'un seul programme « de qualité » décidé par des fonctionnaires et des universitaires comme lui.

Notons au passage que le ministère n’a pas tant menacé de fermer une école, il l’a fait fermer, mais qu'il a menacé les parents d’actions judiciaires par l'entremise des services de Direction de la « protection » de la jeunesse s’ils ne se soumettaient pas. Menace contre des parents et des enfants, pas contre une entité abstraite.

Quant au fond : si on peut considérer – à notre avis en partie à tort, nous y reviendrons – que l’État doit garantir la qualité de l’enseignement, on peut se demander si la priorité en termes de qualité d’éducation aujourd’hui au Québec est de pourchasser les mennonites conservateurs (une cinquantaine de personnes !) ou de s’assurer que tous les jeunes gens qui passent par les écoles du Monopole puissent lire correctement et ne plus avoir 30 % de jeunes Québécois qui ne peuvent pas comprendre le sens d'un paragraphe.
On imagine mal que le darwinisme puisse être ignoré dans l’enseignement des sciences
Oui, mais l’enseignement principal concernant la théorie darwinienne se fait dans un cours (biologie 534) qui est en réalité optionnel, même dans les écoles publiques québécoises, car il est surtout destiné aux étudiants des sciences. Notez que ce cours est pour le moins dépourvu d'esprit critique, voir une analyse de celui-ci par des créationnistes. On a déjà signalé par ailleurs des critiques relatives à la théorie de Darwin publiées dans La Recherche et dans un livre du docteur Georges Torris Le mystère de l'évolution : Repenser l'évolution et l'hominisation, le manuel approuvé (et donc imposé puisque nous sommes au Québec) par le Ministère de l'Éducation ne semble pas répondre aux difficultés soulevées dans ce type d'ouvrages et d'articles.

La nature optionnelle de l'enseignement de la théorie de Darwin a été signalée aux mennonites lors d’une rencontre il y a quelques semaines avec des responsables du Monopole. Lors de cette rencontre, on leur aurait dit qu'il semblerait y avoir un malentendu et qu'ils n’étaient pas obligés d’enseigner le darwinisme. La question devient alors : peut-on toutefois enseigner la biologie sans aborder ce qui n’est après tout qu’une théorie scientifique et se concentrer à l'école — on ne parle pas ici d'un enseignement universitaire — sur des aspects plus terre-à-terre de la science ? Est-ce vraiment si dur à supporter ?

On comprend que M. Proulx aime l’idée d’unicité de programme, d'obligation de le suivre et approuve les menaces faites à l'encontre des « originaux » qui pensaient pouvoir jouir de la même liberté au Québec qu'ailleurs au Canada, mais on ne comprend pas la raison de son enthousiasme à applaudir l'État dans le cas des mennonites puisque de toute façon cette matière est optionnelle !
Guy Durand se montre embêté par notre question. « Les écoles privées suivent généralement le programme établi par le ministère, en ajoutant des éléments qui leur paraissent importants. Par exemple, les groupes religieux feront l’étude de la Bible, du Coran ou de la Torah. Toutefois, pour être subventionnées, elles doivent recevoir la visite d’évaluateurs. »
Les mennonites ne demandent aucune subvention...
Dans le cas des écoles privées qui ne reçoivent aucune subvention gouvernementale (moins de 10 % d’entre elles, estime l’auteur), la question est plus délicate. « Avons-nous, collectivement, le devoir d’intervenir si l’intégrité psychologique des enfants est menacée ?
Euh... Et comment jugez-vous de cette menace à l’intégrité psychologique...? Toutes les religions ne sont-elles pas des drogues pour de nombreuses personnes au Québec ? Dans cette perspective, toute interprétation mystique ne menace-t-elle pas l’intégrité psychologique des enfants et la moindre évocation dans ce sens ne devrait-elle pas déclencher l'intervention de fonctionnaires — qui est ce « collectivement » ? — pour protéger les enfants ? Et pourquoi uniquement à l'école si c'est si grave ?
Je dirais que oui. Mais pas à n’importe quel prix », répond-il. Le fait de tenir les enfants à l’écart du darwinisme « n’est pas si grave que ça », car ils auront bien l’occasion de le découvrir tôt ou tard.
C’est assez juste. Mais l’idée même que l’État et ses « experts » puissent intervenir comme bon leur semble devrait faire frémir les gens épris de libertés religieuse et philosophique.
« Il y a une certaine autonomie dans l’application des programmes, mais à l’intérieur de balises bien définies », explique M. Lessard. Au cours de ses recherches, l’ancien doyen de la Faculté a noté que les enseignants jouissent d’une grande liberté dans leur classe. En histoire, par exemple, certains consacrent plus d’heures que d’autres aux évènements marquants du 19e siècle ou de la période préhistorique; d’autres favorisent le cours magistral ou les nouvelles technologies de l’information. Cependant, tout cela se fait en respectant le programme ministériel (le « curriculum ») en vue de l’examen final. M. Lessard n’aurait pas d’objection à ce que le créationnisme soit présenté comme un courant idéologique à l’intérieur d’un cours sur l’éducation à la citoyenneté ou en enseignement moral et religieux. « Le problème, ici, c’est de présenter le créationnisme comme une théorie scientifique. C’est inacceptable. »
Euh... M. Lessard sait-il si les mennonites prétendaient que le créationnisme est une théorie scientifique ?
Depuis les années 60, la Loi sur l’instruction publique rend la fréquentation de l’école obligatoire pour tous, rappelle M. Proulx. Certains enfants sont soustraits à cette obligation par la volonté des parents. Le prix à payer est parfois élevé, car leur formation ne sera pas reconnue par le réseau scolaire. On sait qu’environ 2000 enfants fréquentent actuellement des « écoles clandestines ». Ils sont juridiquement hors la loi.
On peut comprendre qu’un professeur à la Faculté des sciences de l’éducation n’aime pas que des parents ne paient pas hommage au diplôme du Monopole, mais les mennonites ne souffrent pas – tant s'en faut – de cette absence de diplôme : ils sont des citoyens très tôt autonomes, industrieux et honnêtes et qui ne connaissent pratiquement pas le chômage. Eh ! non, un diplôme (surtout à 16 ou 17 ans !) estampillé par le Monopole ne signifie pas nécessairement qu'on ait affaire à un candidat travailleur, consciencieux, habile ou même doué en affaires.

On nous apprend, incidemment, que plusieurs mennonites de Roxton Falls ont passé en une journée leur diplôme de secondaire V après leur arrivée au Québec pour pouvoir avoir accès à des professions réglementées (autres spécialités du Québec).
Pour leur part, grâce à leur foi, les mennonites n’ont pas déclaré forfait. « Si un miracle se produit et que nous obtenons la permission d’ouvrir notre école cet automne, nous n’allons pas déménager mais, avec joie, [nous allons] rester ici », écrit M. Wedel.
Croire que des professeurs comme M. Proulx puissent imaginer un autre salut que le programme unique approuvé par le Monopole et le diplôme du Monopole tient en effet du miracle.

Et c'est une journaliste chevronnée...

Nous avons déjà relevé ici les propos sensationnalistes de certains journalistes qui se braquent sur un trait secondaire, la partialité d’un reporter, et la déformation des propos par un autre, voici qu’une journaliste chevronnée comme Josée Legault, dans un de ses derniers articles parus dans la Gazette, ne parvient pas à échapper aux raccourcis désolants qui semblent frapper la gent journalistique dès qu'elle parle de religion et d’école. J’en veux pour preuve ses quelques lignes sur la Coalition pour la liberté en éducation (CLÉ) :
Witness the Roman Catholic coalition of Quebec parents. It is demanding the axing of a new school course in 2008 that will replace religious or moral classes with a class on religious culture and ethics. The course will study Christian and aboriginal faiths, Judaism, Islam, Buddhism and Hinduism.

The coalition wants parents to decide which single religion is to be taught to their children in state-funded school.
Quelques phrases et presque autant d’erreurs ou d'imprécisions. Passons en revue ces quelques lignes, l'une après l'autre :
Witness the Roman Catholic coalition of Quebec parents.
La coalition n’est pas catholique, mais constituée principalement de catholiques (eh ! oui, nous sommes au Québec), mais elle comprend des membres protestants et se veut multiconfessionnelle. Il existe bien une Association des parents catholiques du Québec, mais elle ne correspond justement pas à la Coalition récemment annoncée. Mme Josée Legault devrait lire le journal dans lequel elle écrit : Free choice urged on religious schooling.
It is demanding the axing of a new school course in 2008 that will replace religious or moral classes with a class on religious culture and ethics.
C’est faux, elle ne veut pas sa suppression, mais demande à ce qu’il soit optionnel et non plus obligatoire. Madame Legault est-elle partisane du leitmotiv en matière d’éducation au Québec : « obligatoire » ?
The course will study Christian and aboriginal faiths, Judaism, Islam, Buddhism and Hinduism.
Madame Legault omet de dire, étrangement, que ce cours se penchera aussi sur l’athéisme, l’idée de la mort de Dieu et les nouveaux mouvements religieux.
The coalition wants parents to decide which single religion is to be taught to their children in state-funded school.
Notons que le « state-funded » comprend les écoles confessionnelles partiellement subventionnées. D’une part, il nous semble normal que les écoles catholiques, juives ou protestantes enseignent d’abord la confession qui les distingue et non un cours de relativisme sociologique sur les religions. Cela semble choquer Mme Legault qui prétexte des subventions consenties à ces écoles pour vouloir imposer à tous le même programme d'éthique et de culture religieuse. Mais ces parents qui envoient leurs enfants aux écoles confessionnelles s'acquittent déjà de leurs impôts et taxes qui financent en partie les écoles publiques auxquelles ils n'envoient pas leurs enfants et ils paient un supplément pour avoir le choix d'envoyer leurs enfants dans des écoles confessionnelles (alors qu'on prétend qu'il y a liberté de religion, mais qu'on la décourage en faisant payer plus pour pouvoir l'exercer dans le domaine crucial de l'instruction). D’autre part, toutes les écoles québécoises – même les écoles non subventionnées – doivent « normalement » (enfin, si on peut dire) respecter le programme intégral décidé par les fonctionnaires du Monopole. Donc, même ces écoles non subventionnées devront enseigner ce programme, bien qu’il soit peu probable qu’elles le fassent avec zèle en classe, ce qui poussera peut-être le Monopole à fermer les yeux dans un premier temps.