Impression de déjà-vu à l’Université d’Ottawa, où un professeur de sciences politiques a essuyé les critiques de certains de ses étudiants pour avoir abordé « la situation du mot en “n’’ », sans nommer directement le terme, dans un de ses cours, en septembre dernier.
Derrière le sérieux de la façade néoclassique, des étudiants intolérants et bornés ? |
Le journal étudiant anglophone de l’Université d’Ottawa, The Fulcrum, indique dans un article du 2 novembre avoir reçu un courriel provenant d’étudiants qui dénoncent une discussion portant sur « le mot n », tenue dans le cadre d’un cours de pensée politique de deuxième année, donné par le professeur Jean-Rodrigue Paré, au mois de septembre.
« La classe discutait de la lecture assignée qui portait sur Socrate, le philosophe, et son raisonnement moral sur la justice. Soudainement, le professeur a évoqué le mot “n” en disant “comme la situation du mot ‘n’… oui, je vais en parler”. Il l’a évoqué comme un moyen de justifier que toutes les idées et tous les mots soient autorisés dans une salle de classe », a témoigné un des étudiants au Fulcrum, qui a demandé à ce que son identité demeure anonyme.
Même si le mot en soi n’a pas été prononcé, la discussion autour du terme a rendu certains étudiants « mal à l’aise » et « pas en sécurité », poursuit l’article, si bien que des étudiants ont préféré quitter la classe.
Une autre étudiante qui a témoigné anonymement a décidé pour sa part de se désinscrire du cours. « Je ne pouvais pas être dans un environnement d’apprentissage qui était activement hostile aux Noirs », a-t-elle mentionné au journal étudiant.
Rappelons que la professeure à temps partiel de l’U d’O., Verushka Lieutenant-Duval, a été suspendue à l’automne 2020 pour avoir prononcé le « mot en n » dans le cadre d’un de ses cours, ce qui avait déclenché un véritable débat de société sur la liberté d’expression dans un cadre académique. Mme Lieutenant-Duval témoigne depuis août dernier aux audiences du tribunal d’arbitrage qui doit déterminer si sa suspension était justifiée. La prochaine journée d’audience est prévue le 1er décembre prochain.
Le professeur s’explique
Appelé à commenter le dossier au Droit, le professeur Jean-Rodrigue Paré a avancé qu’il tentait d’expliquer la philosophie du penseur anglais John Stuart Mill, selon laquelle « lorsqu’on empêche quelqu’un de s’exprimer, lorsqu’on empêche des idées de circuler, on ne sait jamais si c’est au prochain Socrate qu’on vient de fermer la gueule. » M. Paré a également mis de l’avant la philosophie de David Hume, qui établit que ce n’est ni le mot ni l’idée « qui porte en soi la connotation morale ».
« C’est ce que j’expliquais tout bonnement. Et là j’ai senti le malaise. Il y a eu un gros silence. […] Quand j’ai senti le gros froid, j’ai dit ah ! Vous pensez “au mot en n’’ ? »
La discussion a eu lieu au moment où les audiences de Verushka Lieutenant-Duval battaient leur plein. « C’était comme l’éléphant dans la pièce », a affirmé M. Paré.
Le professeur a soutenu avoir entamé une discussion avec une étudiante offusquée en lien avec ses propos, à savoir si le terme en question pouvait comporter une utilisation d’intentions justes. « J’ai dit absolument, comme n’importe quel mot, n’importe quelle idée et n’importe quel objet, lance-t-il. Et là, le scandale est parti. C’est d’avoir dit ça, d’avoir dit que ce mot-là pouvait être utilisé avec des intentions justes. Il y a une dizaine d’étudiants sur 150 qui ont pris ça de travers. Alors je me suis dit on va s’expliquer. »
M. Paré, qui enseigne depuis plus de 20 ans à l’Université d’Ottawa, a toutefois indiqué que les élèves qui ont été offensés n’ont pas digéré [accepté, compris ?] ses explications.
« Si je vous dis “le mot en n’’, vous avez le mot à l’esprit. Que je le dise ou que je ne le dise pas, ça ne change strictement rien. C’est de l’évoquer, ça amène l’existence du mot lui-même. En faisant ça, ceux que ça dérange, de dire “le mot en n’’ ça les offense aussi, parce que ça les fait penser au mot. Alors c’est extrêmement difficile de naviguer à travers ça. Il y a un flou intellectuel que j’essayais de clarifier. […] J’ai fait la différence entre le droit de le dire et est-ce que c’est une bonne chose de le dire. »
Le professeur note avoir constaté que certains élèves ont effectivement quitté son cours avant la fin, dans la foulée du tollé créé par la discussion. « Je comprends leur intention qui est valable aussi, a souligné M. Paré. On veut s’assurer que les gens soient confortables, qu’il y ait un [bon climat] dans la classe. Je comprends tout à fait ça. Mais le moyen de le faire est totalement injuste à mon avis. Ce n’est pas en empêchant les gens de s’exprimer qu’on va pouvoir manifester la justice et l’injustice de l’intention. »
Un courriel a été envoyé au groupe d’étudiants au lendemain des événements pour réitérer la position du professeur, sans que celui-ci ne présente toutefois ses excuses, comme ce que lui demandaient des élèves. « Si je m’excuse, c’est que j’ai fait quelque chose de mal de manière intentionnelle, ce qui n’est absolument pas le cas. »
Le professeur croit-il que cet incident aura un impact sur la façon dont il compte enseigner à l’avenir ? M. Paré estime que sa méthode d’enseignement n’en sera pas affectée. « J’ai la chance d’avoir la couenne dure et je ne pense pas que l’Université ait un grand appétit pour continuer ce débat-là. »
Le Droit a d’ailleurs demandé une réaction à l’Université d’Ottawa, pour savoir si une plainte sera déposée contre M. Paré dans la foulée de ces événements. Nous attendons une réponse.
Source : Le Droit de Gatineau