mercredi 2 mars 2022

Une nouvelle étude désavoue le célèbre test de la guimauve et son pouvoir prédictif sur l'avenir des enfants

Une étude de suivi de « Bing » met en doute le fait que la réponse d’un enfant d’âge préscolaire à un test de la guimauve puisse prédire quoi que ce soit sur son avenir.

– Depuis une trentaine d’années, parents et scientifiques ont recours au test de la guimauve pour glaner des indices sur l’avenir des enfants. L’expérience a gagné en popularité après que son créateur, le psychologue Walter Mischel (né à Vienne, mort à New York), a commencé à publier des études de suivi des enfants d’âge préscolaire de la crèche Stanford Bing qu’il avait testés entre 1967 et 1973. En quoi consiste ce test, et quelles seraient ses conclusions sur l’enfant ?

Pascal Neveu. — Les Anglo-saxons et notamment les Américains ont toujours eu un certain talent afin de créer des tests totalement critiquables.

Le test de la guimauve repose sur le fait de laisser un enfant âgé de 4-5 ans face à des confiseries. S’il résiste à l’envie de manger la « guimauve », il lui est promis d’en obtenir par la suite deux autres en guise de récompense. Les scientifiques ont analysé la durée pendant laquelle chaque enfant résiste à la tentation, afin de démontrer qu’une grande patience/résistance était synonyme de succès. L’interprétation des résultats d’observations montrent que plus grand est le maîtrise sur soi (mesurée par la capacité de gratification différée), plus les chances de réussir dans sa vie d’adulte sont grandes.

Mischel « prédisait » que les enfants qui ne pouvaient pas tenir longtemps ont généralement grandi pendant leur adolescence, et jusque la trentaine avec de plus grandes frustrations, mais aussi avec de plus faibles compétences scolaires et sociales, et avec plus de problèmes de consommation de drogue, de santé mentale et même de poids.

Selon l’étude publiée dans le Journal of Economic Behavior and Organization, le temps que l’enfant a attendu pour manger la friandise n’a pas permis de prévoir une douzaine de résultats chez les adultes que les chercheurs avaient testés enfant, notamment leur statut social, leurs dettes, leurs habitudes en matière de régime alimentaire et d’exercice physique, leur tabagisme, leurs tendances à la procrastination, etc. 

– En quoi cette nouvelle étude remet-elle en cause l’expérience de Walter Mischel ? Comment a-t-on abouti à ces résultats ?

– Effectivement, plus d’une dizaine d’études récentes nuancent, pour ne pas dire dénoncent ses premières conclusions et questionnent d’autres facteurs d’influences tels que l’environnement familial, mais aussi les capacités cognitives qui doivent être prises en considération tout comme le rôle de l’hippocampe dans notre mémoire notamment émotionnelle. L’émotion joue un rôle majeur dans l’estime de soi, la satisfaction, la congratulation…

Pour autant cette nouvelle étude révèle que les enfants qui ont rapidement cédé à la tentation de la guimauve ne sont généralement pas plus ou moins en sécurité financière, éduqués ou en bonne santé physique que les autres.

Mais depuis plus de 30 ans, les parents et les éducateurs ont énormément adopté ce test sous prétexte que pour élever des enfants responsables et qui réussissent, nous devons leur apprendre à résister à cette première guimauve.

Les écoles ont intégré des tests de guimauve et des techniques de maîtrise de soi dans les programmes éducatifs.

Des conférences, des congrès, des prix… une manne financière hautement critiquable.

« Avec les temps d’attente par guimauve, nous n’avons trouvé aucune relation statistiquement significative avec les résultats que nous avons étudiés », déclare dans une interview Daniel Benjamin, de l’UCLA Anderson. 

Pourquoi les résultats à l’enfance n’ont aucune influence sur les résultats trouvés dans la vie d’adulte ?

Les chercheurs ont testé, notamment, le statut social, les capacités financières, les habitudes alimentaires et de sportivité, le tabagisme, les tendances à la procrastination et les soins dentaires préventifs.

– En quoi un enfant frustré, ou conditionné par une récompense pourrait advenir de telle ou telle manière ?

– Nous avons déjà eu en France un énorme débat lorsque sous la présidence Sarkozy on a tenté de déceler chez de jeunes enfants des potentiels futurs délinquants, déclenchant le courroux de tous les spécialistes et même ceux qui ont participé à la commission de travail.

Un être humain évolue et se construit face à sa vie, ses épreuves et des rencontres. Rien n’est déterminé, rien n’est figé… tout peut changer.

La nouvelle étude pourrait porter un coup final aux implications formées dans la recherche sur le test de la guimauve, qui, comme de nombreuses conclusions d’études psychologiques antérieures, ont été remises en question ces dernières années. 

– Que pouvons-nous réellement déduire de ces études ?

– Sur une centaine de questions posées, les sujets suivis depuis plus de 30 ans, et notamment 900 derniers sujets enfants et adolescents, rien n’a démontré la juste valeur de ce test.

En moyenne, en dehors des tests projectifs (TAT ou Rorschach par exemple), un test n’est fiable qu’à 70 % environ. La question de leur fiabilité, de leurs limites est en lien avec la pathologie recherchée, de la personnalité. Un test ne remplace aucunement une rencontre et un échange avec un patient ou un futur employé (50 % des employés ont passé au moins un test psychologique dans leur vie).

Et surtout il ne peut pas y avoir de valeur prédictive chez un enfant en évolution et en devenir, influencé par son éducation, son environnement, les valeurs parentales inculquées qui vont former ce qu’on appelle l’Idéal du Moi (ce que je veux être dans le regard de mes parents et des autres) et son Surmoi (les valeurs morales).

Car que peut valoir pour un enfant la promesse d’un doublon de friandises s’il résiste ?

La promesse n’engage que ceux qui y croient…

Source : Atlantico


«Le déclin démographique de l'Ukraine risque d'amenuiser ses capacités de résistance à la Russie»

Pour Laurent Chalard, la démographie joue un rôle non négligeable dans le nombre de citoyens mobilisables pour un conflit armé. Et l’Ukraine, avec une population déclinante et vieillissante, présente une situation démographique catastrophique, explique le géographe. Laurent Chalard est géographe. Retrouvez-le sur son carnet personnel.

LE FIGARO. — De nombreux observateurs, dont la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, assure que le conflit en Ukraine pourrait durer « plusieurs années ». Or, l’Ukraine est un pays qui connaît un fort déclin démographique. Est-ce que cela peut avoir des conséquences sur ses capacités de résistance à l’envahisseur russe ?

Laurent CHALARD. — La démographie joue un rôle non négligeable dans le nombre de citoyens mobilisables pour un conflit armé. Or, qui dit population déclinante et vieillissante, dit potentiellement un nombre limité de jeunes en âge de porter les armes. Et l’Ukraine présente une situation démographique catastrophique.

Parmi les pays de la planète qui comptaient plus de 50 millions d’habitants en 1989, l’Ukraine est celle qui a vu sa population le plus fortement diminuer alors que la tendance générale était orientée à la hausse. À cette date, qui correspond au dernier recensement réalisé par l’Union soviétique, la RSSU (République Socialiste Soviétique d’Ukraine) dénombrait 51,8 millions d’habitants soit cinq millions de moins environ que la France métropolitaine, qui en comptabilisait 56,6 millions en 1990. Or, en 2021, selon les estimations de l’institut statistique ukrainien, qui surestime probablement la population ne tenant pas suffisamment compte de l’émigration vers l’Europe de l’Ouest ou la Russie, l’Ukraine ne dénombre plus que 41,2 millions d’habitants au 1er décembre 2021. Le pays a perdu 15 millions d’habitants en moins de 30 ans (52 millions d’Ukrainiens étaient recensés en 1991, année de l’indépendance, d’autres sont nés depuis et partis).

En comparaison, la France métropolitaine est peuplée de 67,39 millions d’habitants en 2021 soit un écart de plus de 20 millions d’habitants entre les deux États, qui témoigne de l’ampleur du déclassement démographique ukrainien à l’échelle internationale. Et encore, si on enlève les zones occupées par les rebelles dans le Donbass, les territoires effectivement contrôlés par le gouvernement de Kiev avant l’opération militaire russe ne représentent plus qu’environ 38 millions d’habitants en 2021.

Cet effondrement démographique est le produit de deux facteurs. D’un côté, il est dû à l’émergence d’un déficit naturel considérable à la suite de la chute de l’URSS en 1991, conduisant à un affaissement de la fécondité à des niveaux parmi les plus bas au monde (environ 1,2 enfant par femme en 2020) et à une hausse conséquente de la mortalité, l’espérance de vie ayant chuté. D’un autre côté, la diminution de la population est aussi la conséquence d’une émigration économique vers les pays plus à l’ouest de l’Europe (Pologne, Allemagne, Italie) au niveau de vie plus élevé, ou la Russie, pour les populations russes de l’est de l’Ukraine, qui ont conservé des liens culturels et économiques avec Moscou.

– La stratégie de résistance du gouvernement ukrainien est-elle vouée à l’échec ?

– Il s’ensuit que la stratégie de résistance jusqu’au-boutiste qu’affiche le gouvernement ukrainien de Volodymyr Zelensky, à travers l’incitation aux populations civiles de prendre les armes contre l’envahisseur russe, paraît risquée car le pays ne dispose pas d’une réserve de jeunes très importante. 

D’autant qu’une partie est déjà enrôlée dans l’armée, qui est en train d’être décimée par les bombardements russes, alors qu’une autre partie a émigré à l’étranger. En effet, la classe d’âge des jeunes de 20-25 ans, la plus susceptible de se battre, correspond aux classes creuses de la fin des années 1990, où les générations sont deux fois moins nombreuses que celles du début des années 1980. D’ailleurs, si l’on en croit les premières vidéos circulant sur les réseaux sociaux de populations civiles s’opposant à l’armée russe dans certaines localités ukrainiennes, il est assez frappant de constater l’âge moyen relativement élevé de la population. En résumé, l’Ukraine n’est pas l’Irak ou l’Afghanistan, où les pertes humaines, aussi importantes soient-elles, sont très rapidement compensées par la forte fécondité, chaque nouvelle génération étant plus nombreuse que la précédente, ce qui permet à une insurrection de tenir dans la durée. En Ukraine, la jeunesse se faisant rare, elle est précieuse.

– Concrètement, si le conflit devait durer, l’Ukraine peut-elle être décimée comme le fut la France après la guerre 14-18 ?

Si le conflit venait à durer plusieurs années comme en Syrie, ce dont rien n’est moins sûr, et que les Russes ne se restreignent plus d’éviter de frapper les populations civiles — attitude qu’ils ont, pour l’instant, adoptée dans ce nouveau conflit contrairement à leurs précédentes interventions militaires en Tchétchénie ou en Syrie — l’Ukraine risquerait effectivement d’être saignée à blanc, avec la possibilité de centaines de milliers de victimes en cas d’insurrection prolongée contre l’occupant, car ce sont les générations les moins nombreuses qui seraient les plus touchées. Cela viendrait renforcer le creux dans la pyramide des âges, d’autant qu’un phénomène d’émigration massive vers l’Europe de l’Ouest se produirait, pouvant toucher potentiellement plusieurs millions d’individus en âge de travailler. L’Ukraine se viderait d’une partie de ses habitants, en faisant une nation déclassée démographiquement et rendant compliqué son redémarrage économique une fois le conflit terminé.

— Dans le même temps, si la Russie est le plus grand pays du monde par sa superficie, elle souffre néanmoins d’une relative faiblesse démographique. En quoi est-ce une clef pour comprendre la situation actuelle ?

– La faiblesse démographique de la Russie est à relativiser en ce sens qu’elle reste l’un des dix pays les plus peuplés du monde, avec 146,5 millions d’habitants en 2020, derrière le Bangladesh, mais devant le Mexique et le Japon et très loin devant l’Allemagne (83,2 millions d’habitants en 2021), État le plus peuplé de l’Union européenne. Cependant, étant donné sa superficie (plus de 17 millions de km²), la plus importante au monde, la Russie apparaît sous-peuplée avec une densité de population de seulement 8 habitants par km². Ce sentiment de vide humain est accentué par son évolution démographique, une légère baisse de la population depuis 1989, l’excédent migratoire lié au retour de Russes des anciennes républiques soviétiques, en particulier d’Asie centrale, qui sont devenus une minorité ethnique du jour au lendemain lors de l’effondrement de l’URSS, ne compensant pas totalement le déficit naturel conséquent, même si ce dernier est proportionnellement moindre qu’en Ukraine sur l’ensemble de la période 1989-2021.

– Les velléités expansionnistes de la Russie à l’Ouest peuvent-elles s’expliquer, en partie, par une volonté de faire croître la population plutôt que la superficie de leur État ? Dans quel but ?

– Au-delà des questions d’ordre géopolitique comme l’extension de l’OTAN, Vladimir Poutine accorde un intérêt certain à la démographie. Le nombre d’habitants contribuant potentiellement à la puissance d’un pays, la taille de la population en Russie ne lui paraît pas suffisamment importante par rapport aux autres grandes puissances que sont la Chine (1,4 milliard d’habitants) et les États-Unis (331,4 millions d’habitants en 2020). D’ailleurs, dans un discours, il y a quelques années, il avait évoqué son souhait d’avoir pour objectif d’atteindre les 200 millions d’habitants. Or, étant donné l’héritage de la pyramide des âges russe avec les classes creuses des années 1990 et un niveau de fécondité constamment inférieur au seuil de remplacement des générations depuis 1989, la seule perspective de voir la population croître est d’annexer d’autres territoires habités par des populations russes ou russophones. C’est à l’Ouest, en Biélorussie et en Ukraine, que se trouvent les plus gros contingents de ces populations, soit plusieurs dizaines de millions de personnes, qui, selon lui, ont vocation à réintégrer la Russie, la langue l’emportant sur l’identité ethnique et/ou culturelle. Pour le maître du Kremlin, un Ukrainien ou un Biélorusse russophone est un Russe, même si les intéressés ne se définissent pas forcément comme tels. Sa volonté expansionniste est donc aussi portée par la démographie.

Chaque pays européen pris individuellement étant en incapacité de faire face à la puissance militaire russe, il est évident que l’union est la seule solution pour permettre de contrer l’expansionnisme de Moscou vers l’ouest Laurent Chalard Faut-il en conclure qu’une Europe forte et unie est la meilleure arme face à la Russie ?

Chaque pays européen pris individuellement étant en incapacité de faire face à la puissance militaire russe, il est évident que l’union est la seule solution pour permettre de contrer l’expansionnisme de Moscou vers l’ouest. Or, jusqu’ici, c’est loin d’être le cas, car les États membres de l’Union européenne ont des intérêts divergents, conduisant à des attitudes différenciées vis-à-vis du Kremlin. Certains pays, comme l’Allemagne, très dépendants des approvisionnements énergétiques russes, mais aussi attirés par les perspectives de débouchés commerciaux d’un bassin de consommation de près de 150 millions de personnes, ont des rapports presque amicaux avec ce pays. A contrario, d’autres ont des rapports tendus, ou tout du moins plus distanciés avec la Russie pour des raisons historiques. Ils la perçoivent comme une puissance coloniale. C’est le cas de la Pologne et la plupart des voisins anciennement communistes de la Russie.

Cependant, l’expérience des crises précédentes que l’Union a traversées, comme l’arrivée des migrants syriens en 2015, augure mal de la solidité d’un front européen uni à long terme, la Russie, une fois passée l’émotion suscitée par son invasion, étant en capacité, si elle ne sort pas trop affaiblie sur le plan économique et militaire du conflit ukrainien, de semer la zizanie entre Européens.

Voir aussi

Les conséquences de la répression des autonomistes au Donbass, reportage français :