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Macron et von der Leyen à la Sorbonne |
Alors que Trump redéfinit les priorités de recherche américaines, l'Union européenne semble s'empresser de capter ce qu'elle appelle les meilleurs talents mondiaux. Dans une nouvelle requête, Trump a demandé au Congrès de réduire de 37 % les dépenses des Instituts américains de la santé (NIH) et de plus de 50 % celles de la Fondation nationale pour la science (NSF).
Cette mesure, selon le gouvernement, vise à « réorienter les investissements » vers des domaines prioritaires, comme l'IA, l'énergie quantique et nucléaire, et à « mettre fin aux dépenses scientifiques [dites] woke ». Dans ce contexte, l'UE vient d'annoncer un plan de « super subventions » de 500 millions d'euros pour attirer les scientifiques impactés par les récentes modifications du financement fédéral. Macron et von der Leyen ont présenté l'Europe comme une nouvelle frontière pour l'innovation et la liberté académique. Plus de 380 subventions américaines liées aux programmes DEI (discrimination anti-hommes blancs) ont été supprimées. L'Europe y voit une occasion à saisir et offre des fonds importants et des portes ouvertes.
À la Sorbonne, la présidente de la Commission européenne et le président français ont respectivement annoncé 500 et 100 millions d’euros pour faire venir des scientifiques touchés par les coupes budgétaires aux États-Unis.
Les difficultés de chercheurs américains face à l’ Administration Trump , qui a demandé au Congrès des coupes brutales de plusieurs dizaines de milliards de dollars dans le budget de la recherche fédérale, vont-elles faire le bonheur de la France et de l’Europe ? C’est en tout cas ce que semblaient espérer lundi matin à la Sorbonne, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen , et le président Emmanuel Macron lors de la conférence « Choose Europe for Science ». L’un et l’autre ont largement insisté pour faire de l’Europe un refuge des libertés universitaires, le président de la République concluant son discours par un solennel « appel de la Sorbonne qui s’adresse à tous les esprits libres ».
Avant cela, il avait rappelé avec emphase et grandiloquence que « personne ne pouvait penser que cette très grande démocratie du monde, dont le modèle économique repose si fortement sur la science libre, allait faire une telle erreur », avant d’ajouter que, sur les trois dernières décennies, la recherche américaine avait été plus efficace que la recherche européenne, parce qu’elle favorisait la liberté universitaire et respectait l’autorité des savoirs. Qualifiant au passage de « démocratie liquide » les régimes dans lequel l’absence de hiérarchie des savoirs empêche de démêler le vrai du faux : « Refusons un diktat (qui) interdit de chercher ceci ou cela (…) parce que là, à chaque fois aussi, ce sont les progrès de notre humanité qui sont remis en cause. »
Une « nouvelle enveloppe de 500 millions d’euros »
« Les collègues américains sont en effet sidérés par la violence et la rapidité avec lesquelles les choses se mettent en place, commente le président du CNRS, Antoine Petit . Un certain nombre s’interrogent et bien au-delà des domaines ciblés par l’Administration de Donald Trump. Mais le choix de partir n’est pas un choix facile. À nous de fournir les conditions pour accueillir les meilleurs. » L’État va ainsi investir 100 millions d’euros supplémentaires pour attirer en France des chercheurs étrangers, et tout particulièrement des Américains. De son côté, Ursula von der Leyen a annoncé une « nouvelle enveloppe de 500 millions d’euros » pour la période 2025-2027 pour l’Union européenne. Des montants certes importants, mais qui paraissent dérisoires quand on les compare aux baisses programmées aux États-Unis. Selon la première ébauche de budget présentée le 2 mai par la Maison-Blanche, le simple budget des instituts américains de la santé (NIH) qui pilote la recherche biomédicale devrait perdre 18 milliards de dollars, pour arriver à 27 milliards.
L’initiative n’est pas sans rappeler le programme « Make our planet great again » lancé en 2017 par Emmanuel Macron (le nom en anglais le confirme), qui avait l’ambition de convaincre quelques scientifiques américains spécialistes des questions climatiques de venir en France. « On a constaté que cette initiative, dans un contexte de pénurie de la recherche française, n’avait pas permis d’attirer de grandes stars, commente le président du Collège des sociétés savantes académiques de France, Patrick Lemaire. Nous avions su faire venir des bons chercheurs, certes, mais pas les têtes de laboratoire. Il est difficile de penser que cela soit différent cette fois, il faut encore voir comment la situation va évoluer aux États-Unis. Mais la solidarité internationale ne doit s’arrêter ni aux stars, ni aux USA. Le sort des jeunes chercheurs post-doctoraux aux USA est plus préoccupant que celui des stars, et la situation de la recherche dans certains pays est autant ou plus inquiétante que celle aux États-Unis. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, sur les 30.000 connexions à la plateforme Choose France, seul un tiers viennent des États-Unis. »
Réveil stratégique
Le président français, Emmanuel Macron, a nommé dix chantiers prioritaires sur lesquelles l’Union européenne devrait « investir massivement. » Citant pêle-mêle en matière de santé, la recherche sur les maladies infectieuses, la vaccinologie ou les zoonoses ; dans le domaine du spatial, les missions lunaires, ou encore le « domaine quantique » et l’intelligence artificielle. Avant lui, Ursula von der Leyen avait, elle, appelé les États membres à « atteindre à moyen et long terme », l’objectif de 3 % du PIB pour l’investissement dans la recherche et le développement d’ici à 2030. « Force est de constater que le compte n’y est pas en France, où nous stagnons à 2,2 % depuis plusieurs années », commente Antoine Petit.
Le manque d’investissements pour la recherche en France est peut-être la plus grande limite de cette conférence. « Le discours est utile et juste sur le fond, analyse Serge Abiteboul, membre de l’Académie des sciences et directeur de recherche émérite à l’Inria. Mais il n’y a pas beaucoup d’éléments concrets et sans, a minima, une sanctuarisation du pourcentage du PIB dédié à la recherche, je ne vois pas comment ces ambitions peuvent être suivies de faits. »
De nombreux scientifiques ont pu y voir une redite du discours très volontariste sur la recherche, prononcé en décembre 2023 à l’Élysée, mais suivi, dans les six mois, par une baisse drastique des crédits. « La recherche publique dans le pays n’atteint même pas le 1 % du PIB, note Patrick Lemaire. Non seulement la recherche est globalement sous financée, mais certaines disciplines sont particulièrement défavorisées, ce qui constitue une entrave à la liberté universitaire pourtant louée à juste titre dans le discours du président lundi matin. »
Voir aussi
En France, le wokisme fait de la résistance (voir l'importance des budgets de l'Union européenne dans la recherche française et l'alignement des critères d'allocation avec ceux du wokisme anglo-saxon).