dimanche 14 juin 2015

« Les femmes aussi violentes que les hommes »

Chronique du psychologue Yves Dalpé :

« On connaît l’histoire. Un homme victime de violence amorcée par sa conjointe appelle la police et c’est lui qui se retrouve en prison. Cela n’est pas de l’humour “macho”, c’est un cas typique ; des clients m’ont confié de telles situations. Tout le monde assume que les hommes sont plus violents que les femmes dans la vie conjugale, mais cela est faux. Et quand il y a violence conjugale, on assume aussi que l’homme est nécessairement l’agresseur ou celui qui a amorcé l’épisode de violence. Cela aussi est faux.

En août, j’ai assisté à un atelier sur ce sujet à l’occasion du congrès des psychologues américains qui se tenait à Honolulu. Quatre femmes psychologues, soit deux américaines, une canadienne et une australienne, ont présenté leurs recherches sur la violence des femmes faite aux hommes dans les relations conjugales. Ces chercheuses ont corroboré le fait que les femmes sont aussi violentes que les hommes dans leur vie de couple. Dans une compilation globale de plusieurs pays, on a même établi en 2010 que 51 % des victimes de violence conjugale avaient été des hommes l’année précédente.

Les femmes sont impliquées dans les quatre sortes de violence conjugale, à savoir la violence physique, la violence sexuelle, les menaces de violence et la violence psychologique (émotionnelle). De façon générale, on a tendance à ignorer la violence des femmes envers leur conjoint, à l’amoindrir ou à l’excuser. On assume, par exemple, qu’elles sont violentes seulement par autodéfense. Mais cela n’est pas la vérité. Elles sont violentes et agressives pour d’autres raisons.

Les femmes peuvent proférer des insultes, jurer, crier, pousser le conjoint, le bousculer et le frapper. Elles peuvent le gifler ou lui donner des coups de pied. Elles peuvent détruire des objets appartenant au conjoint. Ou encore, utiliser la force pour avoir une relation sexuelle.

Évidemment, les enfants témoins de ces comportements en souffrent. Il a été démontré que les enfants de pères victimes de violence conjugale amorcée par leurs mères pouvaient en être affectés physiquement et psychologiquement. On a observé chez ceux-ci des problèmes somatiques, des déficits de l’attention, des comportements d’opposition et de défiance, de l’hyperactivité, des problèmes affectifs, de l’anxiété et des inconduites.

Bien sûr, toute violence est moralement condamnable, et est d’ailleurs un acte criminel, qu’elle provienne d’un homme ou d’une femme. Et les hommes victimes de violence conjugale sont aussi touchés que les femmes par cette violence et ont autant besoin d’aide. Les agressions physiques, les comportements contrôlants, les blessures et les agressions sexuelles ont des effets négatifs sur la santé physique et mentale des hommes violentés.

Mais des barrières empêchent les hommes de révéler la violence que leur fait subir leur conjointe. Souvent ils ne réalisent pas qu’ils ont été abusés, même s’ils ont été frappés. Ou encore, ils ont honte de cette situation. Aussi, ils peuvent craindre de ne pas être entendus, crus, ou même d’être blâmés. Quand un homme se plaint de violence conjugale, l’entourage se demande spontanément ce qu’il a fait pour la mériter. On ne réagit pas de la sorte quand c’est une femme qui est victime de violence conjugale.

Mais, au fond, c’est une bonne question autant pour les hommes que pour les femmes, car la violence conjugale est habituellement le résultat d’une interaction conjugale défectueuse. S’il est vrai que les personnes violentes, que ce soit des hommes ou des femmes, ont généralement des troubles de personnalité, il est vrai aussi que la violence conjugale est générée par la dyade. Autrement dit, les deux conjoints y jouent chacun leur rôle. Voir l’un comme un monstre et l’autre comme sa victime est un cliché inexact et nuisible. En adoptant un cadre de référence dyadique et non axé sur un seul individu perçu comme troublé, nous sommes plus exacts et plus efficaces dans la correction du problème.

La notion d’escalade est particulièrement éclairante, car elle est une tendance inhérente à tout conflit. L’un des conjoints peut amorcer un conflit, tandis que l’autre mettra de l’huile sur le feu. Des recherches ont déjà révélé que dans la majorité des meurtres conjugaux, une escalade entre les deux conjoints avait précédé le meurtre et que la victime aurait souvent pu être l’un ou l’autre.

Voilà pourquoi le traitement de la violence conjugale est plus efficace si on établit avec les deux conjoints le degré de participation mutuelle dans les attitudes et les gestes reprochés. Objectivement parlant, il n’y a pas un sexe plus “méchant” que l’autre. »

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Une police de l’opinion au Québec ?

Mathieu Bock-Côté sur le projet de loi 59 :

[...] on a oublié d’examiner ce qui se trouvait dans le projet de loi 59 contre les discours haineux. À tort. Il faut y jeter un œil. Le gouvernement cherche à se donner les moyens juridiques d’empêcher les discours haineux. Dans les faits, il crée les conditions d’une extension sans précédent du domaine de la censure.

Une police de la parole

Avec le projet de loi 59, n’importe qui pourrait porter plainte devant la CDPDJ [Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse] au nom d’une communauté qu’il dira diffamée. N’importe qui se sentant vexé par un propos identifiant d’une manière ou d’une autre un groupe religieux, culturel, sexuel ou politique pourra saisir la commission dans l’espoir de faire taire celui qui l’embête.

La CDPDJ aura le pouvoir d’enquêter. Elle pourra coller des amendes aux délinquants et faire cesser de tels discours et censurer les publications qui les accueillent. Elle décidera de ce qu’on peut dire ou non au Québec.

À terme, il y aurait une liste publique des contrevenants, des proscrits, des mauvais citoyens, qui doivent être mis au ban de la société, et peut-être même ostracisés de l’espace public et médiatique. Ils seront marqués du sceau de l’infamie : voici les intolérants. Il faut vous en méfier !

Pire encore : puisque le gouvernement n’a pas intégré à son projet de loi une définition des propos haineux, c’est la CDPDJ qui imposera sa propre définition. Il suffit d’étudier les travaux de la CDPDJ pour constater qu’elle porte bien mal son nom.

En fait, une proposition semblable circule depuis des années à la CDPDJ et la commission Bouchard-Taylor l’avait reprise (on la trouve dans son rapport dont tout le monde se réclame, mais qu’à peu près personne n’a jamais lu). La CDPDJ comme Bouchard-Taylor voulaient interdire les appels publics à la discrimination.
Quand on comprend tout ce que recoupe leur définition de la discrimination, on a de quoi frémir. Toute remise en question du multiculturalisme ou de la « diversité » comme idéal risquait de tomber sous le coup de la loi.

Le pouvoir aux radicaux

On voit très bien où nous conduira le projet de loi 59. Le souverainiste radical qui n’aime pas la Gazette pourra porter plainte contre elle. L’islamiste qui n’aime pas qu’on critique le hidjab pourra porter plainte aussi. Le militant des droits des homosexuels qui en aura assez d’entendre parler un représentant de la droite religieuse pourra l’accuser de propos haineux. La liberté d’expression sera prise d’assaut par les radicaux de toutes les causes qui veulent définir ce qu’on peut dire ou non à leur endroit. [Note du carnet : Il y a fort à parier que certaines plaintes seront plus recevables que d’autres, selon les affinités du pouvoir politique en place, c’est ce qu’on observe en France ou en Grande-Bretagne. La CDPDJ pourra en effet (voir article 5 du projet de loi) « refuser de donner suite à une dénonciation [...] frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi. »]

C’est un climat de censure qui s’installera et qui poussera chacun à se retenir de peur de piquer une association d’offusqués professionnels, qui traque les propos heurtant les sensibles et les fragiles.
Je souligne qu’à quelques nuances près, ce modèle de régulation de la liberté d’expression existe déjà en France et il donne un pouvoir aussi immense que délirant aux lobbies et aux associations qui poursuivent systématiquement leurs adversaires et critiques.

Le projet de loi 59 est liberticide. Il doit être réécrit.

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« L'idée que le savoir n'a plus d'importance est le plus grand mythe des pédagogues »

Daisy Christodoulou (ci-contre) est l’auteur d’un succès de librairie au Royaume-Uni qui démonte les mythes pédagogistes à propos de l’éducation. Elle y dénonce notamment le préjugé progressiste selon lequel la connaissance serait devenue désuète.


Un des plumes prestigieuses dans le domaine de l’éducation du Guardian, temple journalistique du progressisme britannique, écrivait à son sujet : « Lorsque Les Sept Mythes à propos de l’éducation de Daisy Christodoulou est sorti en livre numérique l’année dernière, je ne l’ai pas lu. Juste une pleurnicherie de droite, me suis-je dit, qui nous dirait que les écoles devraient revenir aux années 1950, qu’il ne faut qu’enseigner des faits, de la grammaire, des tables de multiplication. J’avais déjà entendu tout cela. Comme tant d’autres de ces diatribes, on en parlerait beaucoup dans le Telegraph et le Daily Mail, alors que les autres médias l’ignoreraient. Mais le livre est devenu l’un des plus commentés dans le domaine de l’éducation depuis 20 ans. Il a suscité autant de louanges que de colères.

Alors qu’est-ce qui est différent avec Christodoulou ? Tout d’abord, elle est jeune : à peine 30 ans, avec seulement quatre ans d’expérience comme enseignante au secondaire. Deuxièmement, sa prose est lucide, vigoureuse et dépourvue de jargon. Troisièmement, elle présente ses arguments avec passion, elle écrit avec la minutie d’un médecin légiste, se fondant non sur l’anecdote et sur l’affirmation, mais sur des preuves (ou du moins ce qu’elle présente comme des preuves), tirées des dernières recherches en sciences cognitives scrupuleusement sourcées. Quatrièmement, elle se concentre sur la pédagogie en classe et non sur des arguments concernant les ressources ou la gestion des écoles. “Nous nous préoccupons trop peu de la teneur réelle des leçons : ce qui sera enseigné et comment cela est enseigné,” écrit-elle.

Surtout, elle vise directement les vaches les plus sacrées auxquelles même les ministres [Note du carnet : prétendument] conservateurs paient parfois tribut. La prétention que l’on peut enseigner des “compétences transférables”, que le XXIe siècle change tout et que “l’enseignement dirigé par un enseignant est passif” — ​​des mythes que tout cela, dit-elle. [...] Elle ose critiquer John Dewey, un incontournable de la formation donnée aux enseignants, pour son style abscons et elle réprimande Charles Dickens qui a créé avec son Thomas Gradgrind et sa fille dans Les Temps difficiles le mythe qu’enseigner des faits aux jeunes enfants engendre des attardés émotionnels. »

Entretien que Daisy Christodoulou a accordé au FigaroVox :

LE FIGAROVOX — Vous avez écrit un livre intitulé Sept Mythes sur l’éducation aujourd’hui. Quel est selon vous le mythe le plus persistant de l’éducation contemporaine ?

DAISY CHRISTODOULOU — Le plus grand mythe contemporain à propos de l’éducation, c’est l’idée que la connaissance n’a plus d’importance. On dit désormais que le savoir-faire a plus d’importance que les savoirs, puisque de toute façon les enfants n’ont pas besoin de savoir des choses qu’ils peuvent à tout instant chercher sur leur téléphone intelligent.

Le plus grand mythe contemporain à propos de l’éducation, c’est l’idée que la connaissance n’a plus d’importance.

Toutes ces justifications de l’abandon de la connaissance sont fausses, parce qu’elles nient la manière dont le cerveau humain fonctionne. La science n’est pas du côté des pédagogues progressistes. La recherche menée ces cinquante dernières années par la psychologie cognitive montre bien combien nous dépendons du savoir stocké dans la mémoire longue pour tous nos procédés mentaux. Au contraire, la « mémoire de travail », celle dont nous nous servons pour aborder l’information nouvelle et l’environnement immédiat, est très limitée. C’est pourquoi il est très important de savoir « par cœur » des choses, même si elles n’ont pas une utilité immédiate. Ainsi, même si tout le monde dispose désormais de calculatrices, il est indispensable de connaitre ses tables de multiplication par cœur. Car après vous serez capable de résoudre des problèmes plus complexes sans avoir à utiliser l’espace limité et précieux de la mémoire de travail pour calculer les tables de multiplication.

Cette vérité se vérifie dans d’autres domaines. Pour saisir le sens d’un nouveau fait historique, il faut avoir en tête un canevas de dates historiques enregistré dans la mémoire longue. La recherche sur les joueurs d’échecs a montré que, plus ils retenaient en mémoire les positions précédentes dans leur mémoire longue, meilleurs ils étaient. Plus vous avez de faits enregistrés dans votre mémoire longue, mieux vous êtes à même de comprendre rapidement les nouvelles informations, et de résoudre efficacement les problèmes de la vie quotidienne. Nous adultes, nous oublions à quel point nous sommes dépendants du savoir, et nous surestimons le savoir dont les enfants disposeraient a priori.

Des chercheurs ont même montré que « la mémoire longue était le socle de l’intelligence humaine », et ont défini le fait d’apprendre comme « une transformation de la mémoire longue ». Ainsi le prix Nobel Herbert Simon, affirme que « dans chaque domaine exploré par l’esprit humain, un savoir considérable est nécessaire comme préalable à toute pratique d’expert ». Il y a un fossé entre ces études scientifiques et le statut octroyé au savoir dans les hautes sphères de l’éducation, qui dénigre en permanence l’importance du savoir et de la mémoire.

— The Economist écrivait au sujet de la réforme du collège en France « l’approche traditionnelle française, de la classe assise en rangs d’oignons est absolument inadaptée à la nature changeante de l’emploi dans l’économie du savoir ». Qu’en pensez-vous ?

— C’est un point de vue asséné sans preuve. Rappelons encore une fois l’importance de la mémoire longue, et la faiblesse de la mémoire de travail. Qu’importe l’économie et le monde dans lesquels nous vivons, nous devons prendre en compte la manière dont nos cerveaux fonctionnent. Que nous formions des élèves à travailler dans la finance internationale ou à labourer des champs, à aimer la littérature ou à changer le monde, nous devons admettre que la mémoire de travail est limitée. Si nous tenons compte de cela, l’approche traditionnelle est pleine d’avantages. Une instruction menée par le professeur est régulièrement recommandée dans les analyses sur les techniques d’éducation. L’explication, l’instruction donnée par le maître permettent de segmenter le contenu, de façon à ce qu’il soit assimilable dans les limites de la mémoire de travail. Les élèves concentrent leur attention sur la bonne chose. Le problème avec les approches qui mettent l’enfant au centre de l’apprentissage, c’est que les enfants sont vite désorientés, ne comprennent pas les concepts fondamentaux et perdent du temps dans des digressions secondaires. Ce n’est pas un préjugé : étude après étude, on se rend compte des bienfaits d’une approche qui met le maître au centre du dispositif d’apprentissage.

— Faut-il adapter l’éducation à l’économie ?

— Le marché du travail est en train d’évoluer, c’est une évidence. Le nombre de métiers non manuels augmente dans l’économie du savoir. Mais les compétences les plus recherchées sont toujours le fait de savoir lire, écrire et compter. Ce ne sont pas des compétences nouvelles : l’alphabet et les chiffres sont là depuis longtemps, et nous connaissons très bien la meilleure façon de les enseigner. Ce qui est nouveau, c’est que de plus en plus de gens auront besoin de ces compétences essentielles, et qu’il y aura de moins en moins d’avenir économique pour les analphabètes. C’est pourquoi nous devons désormais faire en sorte que tout le monde ait accès à une éducation qui était auparavant réservée à une élite. Il ne faut pas redéfinir une éducation pour le XXIe siècle, mais tenter de généraliser une éducation autrefois élitiste à tous.

— Une des mesures phares de la réforme du collège en France est de mettre en place davantage d’« interdisciplinarité », qui impliquera des « projets » et des « activités » de la part des élèves. Est-ce une façon de fabriquer de meilleurs élèves ?

— Pas du tout. Le problème de l’interdisciplinarité, c’est qu’elle confond les objectifs et les méthodes. L’objectif de l’éducation, c’est de donner les moyens à l’élève d’appréhender le monde dans sa globalité : l’interdisciplinarité est la fin de l’éducation, pas sa méthode. Faire des « projets » sans fin, ce n’est pas une bonne manière d’enseigner, parce qu’ils impliquent trop d’informations, qui surchargent et saturent la mémoire de travail. Au contraire, enseigner des sujets permet de décomposer des savoirs complexes dont nous avons besoin pour les enseigner de façon systématique. Je me souviens avoir enseigné un projet interdisciplinaire sur l’histoire du football à des élèves de collège [secondaire I à IV]. L’objectif était de combiner histoire, géographie et langue anglaise en un seul projet. Mais le problème c’est que les élèves avaient déjà besoin d’avoir des savoirs dans ces disciplines qu’ils n’avaient pas, et qu’on se refusait à leur enseigner, car l’objectif des leçons était toujours l’« activité » et pas l’acquisition et la consolidation du savoir. Avec les projets interdisciplinaires, le savoir disciplinaire devient l’angle mort de l’éducation. On fait des « projets » sur la réorganisation de la bibliothèque de l’école, des thématiques comme le « voyage » ou l’« identité » où le résultat est un carnet de dessins. Mais avec de telles méthodes, comment être sûrs que les élèves soient capables de construire une phrase ?

Sur le papier, les « projets » peuvent paraître une bonne idée, une façon moderne de préparer les élèves aux problèmes qu’ils rencontreront dans la vie quotidienne. Mais il s’agit d’une erreur logique. Là aussi, la science nous enseigne qu’apprendre une discipline requiert une méthode différente de pratiquer cette discipline.

Le problème des « activités », c’est qu’elles conduisent les élèves à être distrait de l’essentiel. Si on est d’accord pour comprendre l’apprentissage comme une transformation de la mémoire longue, alors la question essentielle devient : comment apprendre aux élèves à mémoriser des informations ? Là aussi, il existe une évidence : nous nous souvenons de ce à quoi nous pensons. De ce point de vue, les activités populaires et les projets ont peu d’intérêt. Par exemple, au Royaume-Uni, les inspecteurs d’académie ont conçu une leçon de langue anglaise où l’on invitait les élèves à faire des marionnettes de Roméo et Juliette. C’est très bien si vous voulez apprendre aux élèves à faire des marionnettes. Mais si vous voulez leur apprendre l’anglais, c’est moins efficace, car les élèves passeront leur temps à penser aux mécanismes qui font agir les marionnettes, pas à l’intrigue ou au langage de la pièce. Cela peut paraître un exemple extrême, mais une fois que vous commencez à privilégier les activités sur le savoir, c’est ce qui risque d’arriver.

— Est-ce à dire qu’il faille revenir à une école « à l’ancienne » ?

— Que signifie « à l’ancienne » ? Rousseau et Dewey ont écrit leurs thèses pédagogistes il y a longtemps, et je ne défendrai pas pour autant leurs idées ! En Angleterre, l’école « à l’ancienne » était loin d’être parfaite. Nous devons évidemment faire en sorte que tous les élèves apprennent, et pas seulement une minorité élitiste. Nous devons essayer de nous améliorer, de faire mieux, et de réformer si nécessaire. Mais les améliorations proposées doivent l’être sur la base d’une recherche sérieuse et actualisée sur la façon dont nous apprenons, et pas sur des présupposés idéologiques ou des clichés de consultant en gestion à propos de prétendus changements qu’impliquerait le XXIe siècle. Pour moi, tout le drame de l’éducation contemporaine, c’est qu’il existe une recherche scientifique extrêmement riche sur la manière d’apprendre qui n’est ni connue ni appliquée dans l’éducation.

Sources : Figaro Vox, Guardian, carnet de  Daisy Christodoulou


Seven Myths About Education
de Daisy Christodoulou
paru le 27 février 2014
aux éditions Routledge
ISBN-10 : 0415746825
ISBN-13 : 978-0415746823

Québec — Enseignants incités à gonfler les notes ?

Le syndicat des enseignants de Laval accuse la Commission scolaire de Laval — et par ricochet le ministère de l’Éducation, jugé complice de la manœuvre — d’inciter les enseignants à hausser artificiellement les notes des élèves pour leur faire obtenir la note magique de 60 % et ainsi éliminer 12 classes spécialisées au primaire, à la rentrée. Cela a également l’avantage d’améliorer les statistiques et de moins décourager, dans un premier temps, les élèves et de les voir décrocher.

Il y a quelques jours, la Commission scolaire de Laval a envoyé un communiqué pour indiquer que le taux de réussite connaissait une telle augmentation au primaire que le nombre de ses classes spécialisées allait diminuer, et ce, sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec les coupes de 13 millions à pratiquer.

Pour le syndicat de l’enseignement de la région de Laval, c’est de la poudre aux yeux. La réalité, dit Frédéric Sauvé, premier vice-président du syndicat, c’est que le recours au « bulletin modifié » est anormalement élargi pour faire en sorte que l’élève réussisse à tout prix, du moins en théorie.

« À l’origine, les bulletins modifiés s’adressaient aux seuls enfants handicapés dont on savait bien qu’ils ne pouvaient pas répondre aux exigences du programme. Le problème, c’est qu’on étend maintenant ces bulletins aux exigences abaissées à des enfants qui ont un retard scolaire et qui, autrefois, auraient simplement échoué ou redoublé ou qui auraient été dirigés vers une classe spécialisée. »

Ces enfants qui reçoivent un « bulletin modifié » passent d’une année à l’autre suivant des attentes à la baisse. Les enseignants les retrouveront par exemple dans leur classe régulière en 5e année du primaire, alors que leur niveau correspond à la 3e année.

« Il y a une dérive, on se dirige [Note du carnet : encore ?] vers un nivellement par le bas », dénonce M. Sauvé.


Des parents croient à tort que tout va bien, que leurs enfants réussissent. Ils passent d’une année à l’autre, disparaissent des statistiques sur les élèves en difficulté d’apprentissage. Mais quand arrivent les examens du Ministère, des années plus tard, impossible de faire l’autruche : « Les élèves ne les réussissent pas », dit Manon Lafrance, conseillère syndicale.

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