dimanche 11 décembre 2022

« Je ne vois pas pourquoi les gens n’auraient pas le droit de s’inquiéter de leur héritage politique et culturel »

Selon un récent recensement dans plusieurs grandes villes britanniques, on peut désormais évoquer une « minorité blanche » : ainsi de Birmingham, Manchester ou Londres. L’essayiste anglais Douglas Murray (ci-contre) analyse cette mutation à l’œuvre et ses conséquences. Entretien publié dans Le Figaro.
 
 — Selon un recensement, la part des « Blancs » en Angleterre et au pays de Galles est en forte baisse depuis vingt ans. De même, les chrétiens représentent désormais moins de 50 % du pays, tandis que les musulmans augmentent rapidement. Est-ce un changement dans l’histoire de la Grande-Bretagne ?

Douglas MURRAY. —   C’est un changement, mais il s’inscrit dans une trajectoire déjà ancienne. Dans les années 1990, la migration nette moyenne vers le Royaume-Uni était de quelques dizaines de milliers de personnes par an. Dans les années qui ont suivi la victoire des travaillistes au pouvoir en 1997, ce chiffre est passé à des centaines de milliers par an. L’année dernière, il a atteint le chiffre record d’un demi-million. Bien sûr, ces phénomènes ont un effet et avec le temps, la population change. J’ai décrit cela après la publication du dernier recensement, il y a dix ans, et j’ai écrit sur les effets plus larges pour la Grande-Bretagne et notre continent tout entier dans L’Étrange Suicide de l’Europe. Mais les gens ne savent toujours pas quoi faire en matière d’immigration. C’est la même chose partout dans le monde développé. Les politiciens sont trop faibles pour faire appliquer la loi, la population change et quiconque dit qu’il n’aime pas cela est dénoncé comme raciste. Je trouve remarquable que nous ayons fait si peu de chemin face à des changements aussi énormes. Nous avons l’impression d’être coincés dans le même piège, partout et toujours.

[Immigration nette d’un demi-million cela signifie qu’au cours de l’année se terminant en juin 2022 : 1,1 million de personnes ont migré vers le Royaume-Uni et 560 000 personnes en ont émigré, laissant une migration nette de 504 000 personnes.  Les Anglais quittent donc en grand nombre leur pays et sont remplacés par deux fois plus d’étrangers. Voir aussi Angleterre : le nombre de musulmans a doublé en 10 ans, les chrétiens ne sont plus majoritaires]

 — N’est-ce pas une évolution logique puisque la Grande-Bretagne est un ancien empire et conserve le Commonwealth ?

Douglas MURRAY. —  Pas nécessairement, bien que certaines personnes aiment avancer cet argument, généralement avec délectation. Ils disent « L’empire contre-attaque », comme si la citation d’un film de La Guerre des étoiles était suffisamment spirituelle pour repousser une véritable discussion. Je ne vois aucune raison pour expliquer le laxisme de la Grande-Bretagne à l’égard de ses frontières à partir des années 1950. Avant cela, nous avons eu une population très homogène pendant un millier d’années. Mais une fois que les politiciens ont perdu le contrôle de l’immigration — et dans certains cas l’ont favorisée — ils n’ont jamais pu le reprendre. Puis deux choses se sont produites en même temps. Nous avons largement sous-estimé le nombre de personnes qui voulaient venir sur nos côtes et nous avons largement surestimé notre capacité à intégrer ces personnes.

— La mutation démographique actuelle s’accompagne-t-elle de bouleversements culturels et politiques ?

Douglas MURRAY. — Bien sûr. La migration affecte tout. Elle affecte les modes de scrutin, les modèles sociétaux, les attitudes, l’harmonie sociale et les décisions que le pays est en mesure de prendre. Par exemple, il est bien connu (depuis une fuite du ministère de la Défense, il y a quelques années) qu’il y a certaines questions de politique étrangère dans lesquelles la Grande-Bretagne — comme la France — ne pourra jamais s’impliquer. En raison des populations qui existent aujourd’hui dans notre pays, si le Pakistan entre en révolution par exemple — ce qui pourrait tout à fait arriver — que pourrait ou voudrait faire le gouvernement britannique, compte tenu de la population de notre pays ? Sur un plan national, lorsqu’un film a été projeté dans certains cinémas au début de l’année et a été accusé de blasphémer l’islam, des foules de musulmans en colère ont protesté et le film a été retiré. La police pense que c’est une grande victoire pour la paix. Je pense que c’est une terrible capitulation devant des gens qui ne devraient pas être ici s’ils ne comprennent pas la liberté d’expression.

Mais il s’agit aussi de l’âme d’une nation. Une telle âme ne se transmet pas du jour au lendemain. Les personnes qui ont grandi dans un pays, qui ont une relation profonde avec ce pays, ont un lien différent de celui de quelqu’un qui est arrivé hier. C’est inévitable. Donc, plus il y a d’immigration, plus votre pays change, plus ses attitudes changent — et cela inclut ses vertus, soit dit en passant. Je suis seulement surpris que les gens soient si réticents à reconnaître cela. Je ne peux que supposer que c’est parce qu’ils souhaitent qu’il n’en soit pas ainsi. Mais souhaiter qu’une chose soit vraie n’est pas la même chose qu’elle le soit. Nos pays parlent de l’intégration comme s’il s’agissait d’une science bien comprise. En fait, l’intégration est une non-science très instable.

— Le porte-parole du Premier ministre Rishi Sunak — lui-même de religion hindoue et d’origine indienne — a déclaré : « De toute évidence, le Royaume-Uni est un pays diversifié, c’est quelque chose qui devrait être salué », « cela inclut la diversité des religions ». Certains peuples occidentaux expriment la crainte de voir leur héritage culturel et politique disparaître.

Douglas MURRAY. — Je ne vois pas pourquoi les gens n’auraient pas le droit de s’inquiéter de leur héritage politique et culturel. Le reste du monde l’est. Si un recensement venait d’être effectué en Inde et qu’il révélait que Delhi, Jaipur, Mumbai et Bangalore avaient désormais des populations indiennes minoritaires, je pense que les Indiens se demanderaient pourquoi. Bien sûr, c’est compliqué. D’une certaine manière, c’est une bonne chose que notre système soit ouvert et diversifié. Je suis fier qu’une personne d’origine indienne puisse devenir Premier ministre au Royaume-Uni, même s’il est impossible d’imaginer qu’un homme blanc d’origine britannique puisse atteindre le même poste en Inde. Pourtant, comme je l’ai souvent dit, et comme on me l’a reproché à l’infini, les avantages de la diversité ne sont pas inépuisables. Il y a un stade où vous avez effectivement dilué votre culture à tel point que vous n’êtes plus ce que vous étiez. Ou même reconnaissable. Certaines personnes s’en réjouissent. Ce n’est pas mon cas, en grande partie parce que j’aime mon pays et ma société, et ce que nous étions, et que je n’apprécie pas que ce qui s’est passé avec l’immigration se soit produit contre les souhaits clairs, déclarés et répétés à chaque élection, de l’opinion publique.

— Même si les flux migratoires sont maîtrisés à l’avenir, la question de l’intégration se pose dans la plupart des sociétés occidentales. Comment relever ce défi ?

Douglas MURRAY. — Trois choses seulement comptent en matière d’immigration : la vitesse, la culture et le nombre. Si la vitesse et le nombre sont trop importants, vous ne pouvez pas y faire face et tous les politiciens transfèrent simplement le problème à leurs successeurs. La question de la « culture » est difficile. Personnellement, je préférerais que l’immigration provienne de cultures similaires plutôt que de cultures très différentes. Mais ceux d’entre nous qui avaient ce point de vue ont manifestement perdu, dans la vaste mêlée d’activistes de gauche et d’autres qui ont déclaré publiquement qu’ils aimaient le désordre de l’immigration du XXe siècle parce que (comme l’a dit un apparatchik travailliste) il « met le nez de la droite dans la diversité ». Nous verrons assez rapidement s’ils continuent à apprécier ce spectacle et s’ils pensent toujours que les risques qu’ils ont fait courir à l’avenir de notre société en valaient la peine.