samedi 12 mai 2018

Québec — un juge demande la reconnaissance des familles à trois parents

Dans la série le Québec toujours à la fine pointe du progrès (voir nos précédents épisodes : À dépenses similaires, l’Ontario diplôme de plus en plus alors que le Québec fait du surplace et Québec : jamais aussi peu de naissances depuis 10 ans, jamais autant de décès depuis la tenue des statistiques).


Le gouvernement devrait permettre à un enfant d’avoir trois parents, demande un juge de Joliette qui devait trancher le sort d’un enfant mis au monde « coopérativement » par un couple de lesbiennes et un homme trouvé sur l’internet.

« Raisonnement » : parce qu’on est en 2018

Le couple lesbien a éclaté, mais les trois individus continuent à prendre soin de la fillette, maintenant âgée de 3 ans. La loi devrait reconnaître cette situation, selon le magistrat, parce que l’impossibilité actuelle « pose problème eu égard à la réalité sociale de 2018 ».

À défaut, le juge a dû à contrecœur expulser la mère non biologique du certificat de naissance afin de faire de la place pour le père biologique de l’enfant, qui souhaitait y apparaître.

« Au lieu d’être en mesure de formaliser la situation par une filiation à trois parents pour le bien de l’enfant, ils se retrouvent dans un combat juridique, tentant d’en éliminer un parmi eux, a regretté le juge Gary Morrison. De quelle façon peut-on conclure que cette situation est dans le meilleur intérêt de l’enfant ? » [Meilleur intérêt est un calque de l’anglais, M. le juge, en français on dit l’intérêt supérieur ou fondamental.]

Le parent dont le nom a été supprimé du certificat de naissance qualifie la décision d’« immorale ». « Moi, ma fille m’appelle papa, elle me saute dans les bras et elle s’en fout, elle », a-t-il dit. Christian* s’appelait Christiane* au moment de la naissance de la fillette et était marié à Johanne*, mais est depuis en transition pour devenir un homme.

C’est sur l’internet que Christiane et Johanne, un couple lesbien de longue date installé dans les Laurentides, ont trouvé Jonathan* dans le but d’avoir un enfant. Ils signent devant un notaire un document qu’ils intitulent « Entente pour mettre un enfant au monde ».

Le texte indique bien que le bébé est un projet des trois individus qui désirent « individuellement et coopérativement mettre au monde et aimer un enfant, dans un contexte d’amour et de diversité ».

Les « experts » interrogés par La Presse valorisent et banalisent ce projet à trois

« Ça existe déjà des coparents qui sont les grands-parents, qui agissent comme figures parentales. Ou encore les parents par alliance [beaux-parents] qui agissent comme coparents. Et ce n’est pas le problème : l’enjeu [pour le développement de l’enfant], c’est la qualité de la relation, la qualité de l’investissement et la permanence. Si l’individu a un rôle auprès de l’enfant, il ne peut pas disparaître par après, il faut qu’il y ait une stabilité. »

– Julie Laurin, professeure adjointe en psychologie à l’Université de Montréal

« Ce qui fait la différence, c’est vraiment la façon dont les adultes s’entendent. C’est ça l’enjeu. Si les adultes s’entendent bien, le développement des enfants est conséquent. [...] Quand on fait des enfants à trois ou à quatre, on réfléchit avant de faire des enfants. Quand on fait des enfants à deux dans un couple hétérosexuel, on peut avoir réfléchi, on peut être rendu là, mais ça peut être aussi par accident. »

– Isabel Côté, professeure de travail social à l’Université du Québec en Outaouais

Réactions

Le gouvernement est demeuré muet sur la récente suggestion d’un juge de la Cour supérieure de permettre la « triparentalité », plus tôt dans la semaine, alors que les autorités catholiques ont clairement exprimé leur opposition à une avenue allant contre « la nature des choses ».

La solution n’est pas de briser le modèle familial traditionnel, a répliqué Mgr Christian Lépine, archevêque de Montréal.

« Plus on peut rester près de la nature des choses — l’enfant vu comme le fruit de l’amour de deux parents —, plus l’enfant est gagnant », a-t-il affirmé en entrevue téléphonique. « Je suis [favorable à ce qu’on trouve] des chemins de bonheur pour les gens, mais le fait de maintenir deux parents pour un enfant m’apparaît important. »

« Le fait même de la procréation assistée — dans le sens de recourir à un donneur — n’est pas privilégié. On voit vraiment l’enfant comme le fruit de l’amour de deux parents. Quand on ouvre la porte à la procréation assistée, ça ouvre la porte à ce que trois personnes se sentent impliquées, comme dans ce couple-là, et finalement demeurent impliquées émotivement, ce qui est compréhensible, a-t-il dit. Ça ouvre la porte à compliquer les choses par la suite. »

« Il faut que les lois restent le plus près possible de la nature des choses », a-t-il ajouté.

Du côté du gouvernement, dans une déclaration transmise par écrit, la ministre de la Justice Stéphanie Vallée ne s’est pas prononcée sur la demande du juge Morrison.

« Par respect pour l’indépendance de la magistrature, nous nous abstiendrons de commenter les opinions contenues au jugement », a-t-elle indiqué. La déclaration souligne que le jugement Morrison est toujours susceptible de faire l’objet d’un appel et qu’il « respecte le droit en vigueur au Québec en matière de filiation ».

La ministre souligne aussi qu’un rapport d’expert de 2015 sur une possible réforme du droit de la famille recommandait le maintien de la limite de deux parents qui existait jusque-là.

* Nom changé.