Quand le Ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer assimile publiquement écoles indépendantes et écoles illégales sans se reprendre, la Fondation pour l’école voit rouge par le biais de sa Directrice générale.
Invitée par le Figaro Vox comme par Valeurs Actuelles le jeudi 20 décembre, Anne Coffinier a exprimé publiquement son désaccord et
exprimé des doutes quant à la neutralité des services de l’Éducation nationale à l’égard des écoles indépendantes, notamment lors des inspections.
Entretien avec Valeurs Actuelles :
Au lieu d’assimiler les écoles hors contrat aux écoles clandestines, le ministre de l’Education nationale ferait mieux d’impulser une politique transparente de contrôle des écoles indépendantes, souligne Anne Coffinier, directrice générale de la Fondation pour l'école.
Vous avez évoqué, à la suite du passage de Jean-Michel Blanquer chez Jean-Jacques Bourdin ce mardi, un « dérapage verbal » du ministre de l’Education nationale. De quoi parliez-vous ?
Monsieur Blanquer est intervenu pour expliquer qu’il avait fait fermer à Marseille une « école » clandestine, parce que non déclarée et reliée au fondamentalisme salafiste. On ne peut que s'en féliciter. Selon lui, cette fermeture aurait été rendue possible par le vote en avril dernier de la loi Gatel, qui lui aurait donné les outils juridiques pour « fermer les écoles qui ne sont pas dans les normes ». Or, cette affirmation est fausse, car la structure clandestine en question n’avait pas le statut d’école ; elle n’était pas déclarée et donc pas assujettie aux contrôles stricts prévus par le Code de l'éducation pour ces écoles. La fermeture de cette structure clandestine relevait donc des pouvoirs de police généraux, et pas des nouvelles dispositions introduites par loi Gatel, à l'instigation de l'actuel ministre.
En quoi cette confusion est-elle lourde de sens ?
Jean-Michel Blanquer a assimilé les écoles clandestines aux écoles hors contrat. C’était un lapsus, sans doute, mais un lapsus très inquiétant, qui a suscité immédiatement un profond malaise chez les personnes attachées à la liberté scolaire. Non, l’école publique n'est pas le seul système de scolarisation légal et légitime ! Le ministre doit au contraire se féliciter de la richesse apportée par les écoles indépendantes au paysage éducatif français. Comme le disait Condorcet, la présence d'écoles privées différentes de l'école publique constitue un stimulus utile pour cette dernière. De surcroît, la liberté d’enseignement a une valeur constitutionnelle et il revient justement à l'Etat d'en garantir le respect. C'est pour cela qu'il est essentiel que le ministère rappelle clairement son attachement respectueux à la liberté scolaire, surtout après cet épisode malheureux.
Qu’attendez-vous de l’Etat et de Jean-Michel Blanquer ?
Soyons clairs, les écoles hors contrat acceptent totalement le contrôle de l’État, à condition qu’il soit exercé de manière neutre et conforme au droit. Quand on entend de telles déclarations, on est en droit de se poser des questions sur l'objectivité avec laquelle s'exercent les contrôles sur l'ensemble des écoles indépendantes. Et quand on voit le vade-mecum imposé aux inspecteurs pour mener leurs contrôles, on ne peut qu'avoir des interrogations renforcées, tant il est animé manifestement d'une prévention de principe à l'encontre des écoles indépendantes dans leur ensemble. Et ce, alors qu'elles sont de plus en plus diverses et populaires. Sans doute est-ce pour cela que ce vade-mecum n'a jamais été publié officiellement, ni communiqué aux écoles, alors même que les inspections sont ouvertement réalisées sur la base de ce document conçu sous Najat Vallaud-Belkacem, et jamais abrogé malgré nos demandes étayées. Nous attendons aujourd'hui que le ministre réaffirme son respect des écoles indépendantes, qu'il retire ce vade-mecum et enfin, qu'il impulse une politique transparente de contrôle des écoles indépendantes, qui soit respectueuse du droit et des libertés constitutionnelles.
Communiqué de la Fondation pour l'école
Invité par Jean-Jacques Bourdin sur BFM.TV le mardi 18 décembre 2018, le ministre Jean-Michel BLANQUER s’est laissé aller à un dérapage verbal,
assimilant purement et simplement les écoles clandestines aux écoles hors contrat. Ce lapsus linguae a de quoi inquiéter, d’autant qu’il est accompagné de plusieurs propos très contestables.
1 – LA LOI GATEL N’A AUCUN RAPPORT AVEC LA FERMETURE D’ÉCOLES CLANDESTINES :
L’école clandestine fermée à Marseille n’avait pas le statut d’école. C’était un regroupement informel d’enfants selon le ministre : cela n’a rien à voir avec une école hors contrat, dont le régime juridique d’ouverture et de contrôle est dûment prévu et encadré par la loi.
Contrairement aux affirmations du ministre, ce n’est donc pas sur la base juridique de la loi GATEL, adoptée en avril 2018 et visant au renforcement du contrôle des écoles hors contrat, que le ministre a pu faire fermer cette école de fait, mais sur la base de pouvoirs de police plus généraux, dont il disposait bien avant cette loi.
L’État a depuis toujours la possibilité de fermer ces écoles clandestines, pour autant qu’il en ait la volonté politique. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour fermer l’école clandestine de Marseille ?
2 – UNE RECONNAISSANCE DE PATERNITÉ À RETARDEMENT :
Pourquoi n’avoir pas assumé à l’époque son pilotage en sous-main de cette loi de restriction de l’essor des écoles indépendantes ?Jean-Michel Blanquer revendique la paternité de la loi GATEL adoptée en avril dernier et portée par le groupe Union Centriste du Sénat. Il dit en effet aujourd’hui « depuis que nous avons fait voter une loi… » mais était beaucoup plus discret au moment de son adoption, faisant comme si elle était réellement portée de manière indépendante par le groupe Union centriste constitué derrière la sénatrice Françoise Gatel.
3 – « LES ÉCOLES INDÉPENDANTES, VOILÀ L’ENNEMI » :
Ancien directeur de l’ESSEC, Jean-Michel Blanquer a manifesté plusieurs fois son ouverture pragmatique aux écoles privées, persuadé de ce qu’elles pouvaient apporter au système public comme source d’inspiration.
Il avait notamment manifesté son soutien aux écoles Espérance banlieues en participant à leur colloque[1] et a également manifesté son soutien aux écoles Montessori[2].
Mais le changement, c’était avant. Avant d’être nommé ministre.
Aujourd’hui, Jean-Michel BLANQUER présente toutes les écoles indépendantes, qui sont de plus en plus diverses (écoles à pédagogie structurée et explicite, pour publics spécifiques ou à pédagogies innovantes), comme des établissements douteux par définition.
Pourquoi un tel revirement de langage, alors qu’il sait mieux que quiconque que
les écoles indépendantes sont étroitement contrôlées par l’État, bien plus d’ailleurs que ne le sont les autres écoles [publiques et privées subventionnées] ?
Pour mémoire, voici la composition des écoles ouvertes la rentrée dernière[3] : leur variété saute aux yeux. En entretenant volontairement ou non les confusions, le Ministre porte atteinte à la réputation de l’ensemble de ces écoles, dont plusieurs ont d’ailleurs été fondées par des militants de La République en Marche.
4 – NON, LE SYSTÈME ÉDUCATIF FRANÇAIS NE SE RÉDUIT PAS À L’ÉDUCATION NATIONALE :
Jean-Michel BLANQUER tend, dans son discours, à assimiler le paysage scolaire français à l’Éducation nationale. C’est tendancieux. Ce dernier se constitue de l’école publique (qui ne relève pas toujours de la tutelle de l’Éducation nationale), des écoles privées sous contrat, des écoles privées hors contrat, et de la scolarisation à domicile (avec ou sans cours par correspondance).
Tous ces types de scolarisation sont prévus et encadrés par le Code de l’éducation et garantis constitutionnellement. Dans son intervention, par plusieurs approximations langagières, il témoigne de son manque de respect pour cette diversité.
Il indique que les enfants issus de cette école clandestine de Marseille seront « rescolarisés dans une école publique ». Il outrepasse donc la loi, qui prévoit qu’ils doivent être rescolarisés dans un autre établissement, sans imposer que ce soit spécialement dans une école publique. Les autres modes de scolarisation sont tout aussi acceptables et républicains pourvu qu’ils respectent la loi.
5 – AU-DELÀ DES FORMULATIONS DU MINISTRE QUI LAISSENT SONGEUR, LA LÉGALITÉ ET LA TRANSPARENCE DE SON ACTION PARAISSENT DÉSORMAIS INCERTAINES :
Sur les écoles clandestines : « il y en a quelques-unes. On ne donne pas le chiffre précisément parce qu’on veut être efficace ». En quoi donner un chiffre d’écoles clandestines nuirait-il à l’efficacité des contrôles diligentés par la puissance publique ?
En démocratie, et au lendemain de l’attentat islamiste de Strasbourg, on est vraiment en droit de savoir combien il y a d’écoles clandestines et d’avoir l’assurance que l’État va les fermer sans plus attendre.
EN CONSÉQUENCE, LA FONDATION POUR L’ÉCOLE :
– demande au Ministre de cesser les amalgames entre écoles hors contrat et écoles clandestines et de rétablir publiquement la vérité ;
– de veiller à ce que la politique qu’il impulse soit conforme au Code de l’éducation et, plus largement, à la liberté d’enseignement et aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ;
– demande en particulier à ce que les contrôles sur les écoles indépendantes se déroulent désormais conformément au droit, sans hostilité de principe à la liberté scolaire. Les écoles indépendantes sont en effet libres leur organisation, programmes et méthodes pédagogiques pourvu qu’elles se conforment aux obligations légales et règlementaires qui leur incombent ;
– renouvelle (encore) sa demande d’audience au Ministre de l’Éducation nationale ;
– demande au Ministre de ne plus traiter les professeurs, parents d’élèves et élèves en citoyens de seconde zone et de les traiter conformément à l’égalité républicaine, sans discrimination aucune.
Cliquez pour télécharger le communiqué de presse
[1] http://demain-lecole.over-blog.com/2017/05/jean-michel-blanquer.bientot-une-ecole-type-esperance-banlieue.video-documents.html
[2] https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/310717/la-bonne-pioche-blanquer-invoque-l-esprit-montessori
[3] https://www.fondationpourlecole.org/157-nouvelles-ecoles-ouvertes-en-2018-communique-de-presse-de-lassociation-creer-son-ecole/