mardi 17 septembre 2024

Les Italiens étaient-ils vraiment refusés des écoles francophones ? (Rediff)

Un film documentaire sort sur la crise de Saint-Léonard de 1967-69 dans Saint-Léonard qui fut un jalon essentiel conduisant, 10 ans plus tard à la loi 101. Les Italiens voulaient à l'époque garder des écoles bilingues (anglais-français) et refusaient d'aller à l'école en français.

Le documentariste Félix Rose nous fait revivre cette crise en suivant les deux familles qui furent au coeur du conflit: celle de l'activiste Raymond Lemieux et celle du promoteur immobiler italien Mario Barone. La population de Saint-Léonard passera de 925 personnes en 1956 à 52 040 en 1971 avec l'arrivée de très nombreux Italiens.

En salles, le 11 octobre.


Bataille entre Italo-Québécois et Canadiens français à propos de l'intégration scolaire à l’école secondaire Jérôme-Le Royer à Saint-Léonard, 4 septembre 1969. Certains dirigeants de la Commission scolaire de Saint-Léonard, inquiets de l’anglicisation des enfants d’origine italienne, avaient mis en place une mesure pour rendre l’école francophone obligatoire. Cette mesure souleva l'ire de parents d'origine italienne.

Né en Italie en 1945, l'écrivain Marco Micone est arrivé au Québec en 1958. Il a écrit une nouvelle fois il y a quelques semaines avoir été refusé par une école francophone (Saint-André-Apôtre dans le quartier Ahuntsic) et avoir été obligé d'étudier d’abord en anglais. Ailleurs, il a affirmé « Quand les immigrants des années 50 disent que les écoles françaises les ont refusés, ils ont raison. Je l'ai vécu ! »

Il n'est pas question ici de remettre en question l'expérience personnelle de Marco Micone (on n'est pas à l'abri d'une direction bornée ou soumise à des conditions particulières comme le manque de place), mais plutôt de s'interroger sur l'idée reçue selon laquelle les Québécois auraient refusé les Italiens, des catholiques de langue romane, dans leurs écoles catholiques de langue française... Bref, que les Québécois francophones sont des xénophobes et que leur marginalisation démographique serait un peu de leur propre faute.

Le reportage de Radio-Canada ci-dessous semble bien indiquer que les immigrés choisissaient d'eux-mêmes l'anglais comme langue de promotion économique et sociale à 90 %. On se rappellera également que les Italiens protesteront en 1968 et 1969 à Saint-Léonard quand la commission scolaire locale tentera d'imposer l'enseignement en français à leurs enfants.


(La vidéo a été supprimée de YouTube depuis la première diffusion de ce billet en 2011)

Le reportage est aussi intéressant sous l'angle linguistique : plusieurs Italiens disent mieux parler le français que l'anglais (et c'est compréhensible étant donné la proximité linguistique des deux langues), mais qu'ils ont trouvé que leur manque de connaissance de l'anglais les a défavorisés dans leur recherche d'emploi.

Au-delà de ces aspects anecdotiques, il existe des raisons scientifiques de remettre en question l'idée que les écoles francophones refusaient (souvent ou systématiquement) les élèves italiens : les statistiques.

Voici ce qu'en dit le statisticien Charles Castonguay :

Marco Micone trace un parcours trompeur des Québécois d’origine italienne. Il insiste sur le fait qu’une école française l’a refusé, lui, lors de son arrivée au Québec dans les années 1950. Puis, en faisant un usage incorrect des données de recensement, il soutient que les « italophones » se francisent plus souvent qu’ils ne s’anglicisent, notamment en ce qui a trait à leur comportement linguistique au travail ou à la maison.

J’avais plutôt retenu que ce sont les Italiens qui, de leur propre chef, ont tourné le dos à l’école française et que leur préférence pour le français, du moins comme langue d’usage au foyer, est chose du passé. Pour tirer les choses au clair, j’ai consulté certains rapports ainsi que les résultats du recensement de 2006 qui sont accessibles à tout venant sur le site de Statistique Canada.

Dans une étude réalisée pour la commission Gendron, le démographe Robert Maheu relève qu’au début des années 1950, la moitié des enfants d’origine italienne inscrits à la Commission des écoles catholiques de Montréal étudiaient en français. Cela laisse entendre qu’en général, les écoles françaises de la CECM ne refusaient pas les jeunes Italiens. Maheu ajoute qu’au début des années 1960, cette proportion avait fondu à 28 %. Il semble bien qu’ayant constaté que la langue d’avancement socioéconomique à Montréal était plutôt l’anglais que le français, un nombre croissant de parents italiens choisissaient d’inscrire leurs enfants à l’école anglaise.

Quant à la langue d’assimilation préférée des italophones, que Micone prétend être toujours le français, la commission Laurendeau-Dunton notait, il est vrai, qu’au recensement de 1961 la population d’origine ethnique italienne au Québec avait plus souvent le français que l’anglais comme langue maternelle. Cette information témoignait cependant de la langue d’assimilation des parents, grands-parents ou ancêtres des personnes recensées, soit de ce qu’on peut nommer l’assimilation ancestrale.

Le recensement de 1971, le premier à poser la question sur la langue d’usage actuelle à la maison, permet d’observer l’assimilation courante, c’est-à-dire celle réalisée par les répondants eux-mêmes, de leur vivant. Il montre que les adultes de langue maternelle italienne âgés de 25 ans ou plus avaient effectivement adopté plus souvent le français que l’anglais comme langue d’usage au foyer, mais il révèle en même temps que, déjà à cette époque, la jeunesse italophone préférait s’angliciser.

Les recensements suivants n’ont cessé de confirmer cette nouvelle préférence. Celui de 2006 a compté 17 000 italophones (langue maternelle) de langue d’usage française au Québec, soit exactement le même nombre qu’en 1971. Mais le nombre d’italophones anglicisés est passé entre-temps de 15 000 en 1971 à 53 000 en 2006. La francisation a ainsi marqué le pas pendant que les générations montantes se sont anglicisées par dizaines de milliers.

Plus de détails

Pour en finir avec un mythe : le refus des écoles catholiques d'accepter les immigrants (23 pages, par Robert Gagnon de l'Université d'Ottawa)