lundi 26 septembre 2016

« La vérité sur le cours ECR », une nouvelle catéchèse politiquement correcte ?

Alain Tremblay, enseignant en éthique et culture religieuse (ECR) à l’école Curé-Antoine-Labelle de Laval, s’est porté cette semaine dans les colonnes du Devoir à la défense du programme qu’il enseigne en secondaire IV (élèves de 15 à 16 ans).

Il y décrit avec une fierté non feinte (« Je suis fier et honoré de donner le cours ECR ») la merveille qu’il enseigne à ces jeunes de 15 ans :
Je commence l’année scolaire avec le thème de la tolérance (nous faisons référence au dalaï-lama et à Nelson Mandela pour en témoigner).

Ces figures sont suggérées par le programme gouvernemental d’ECR. On comprend la présence du dalaï-lama car, comme le programme ECR, le dalaï-lama parle beaucoup de « dialogue interreligieux » et qu’il met de l’avant une « éthique laïque ». En effet, selon le dalaï-lama, la compassion et l’affection sont des valeurs humaines indépendantes des religions : « Nous avons besoin de ces valeurs humaines. Je les appelle valeurs éthiques laïques, ou convictions laïques. Elles sont sans relation avec une religion particulière. Même sans religion, même agnostique, nous avons la capacité pour promouvoir ces valeurs ».

Notons que le dalaï-lama en bon bouddhiste condamne l’homosexualité... (« Cela fait partie de ce que nous, les bouddhistes, appelons “une mauvaise conduite sexuelle”. Les organes sexuels ont été créés pour la reproduction entre l’élément masculin et l’élément féminin et tout ce qui en dévie n’est pas acceptable d’un point de vue bouddhiste », in Le Point du 22 mars 2001) Le dalaï-lamaï serait-il donc homophobe ? (voir ci-dessous, cela semble très important pour ce prof d’ECR)

Pour ce qui est de Mandela, il fut un simple intermède guère représentatif de l’Afrique du Sud contemporaine, ce pays violent qui pratique la discrimination à grande échelle et qui se dit la nation arc-en-ciel tout en faisant tout pour diminuer la diversité y compris dans les universités. Il serait intéressant d’entendre cet enseignant à son sujet quand on considère la kyrielle de clichés naïfs, d’erreurs et d’approximations simplistes débitées à son sujet dans les reportages de Radio-Canada ou les manuels scolaires.

Il manque Gandhi dans la liste de ces saints modernes (il est pourtant suggéré dans le programme ECR). Dans certains manuels, on fait croire que Gandhi a été décisif dans l’indépendance de l’Inde, ce qui est très discutable. Tous les manuels que nous avons lus passent sous silence la vision très racialiste des rapports humains de Gandhi et son peu de sympathie pour les Noirs en Afrique du Sud. À ce sujet, lire The South African Gandhi : Stretcher-Bearer of Empire d’Ashwin Desai et Goolam Vahed (octobre 2015, Stanford University Press). Le livre n’a pas été traduit en français.

Alain Tremblay mentionne ensuite la lutte aux péchés mortels d’aujourd’hui. On ne parle plus de nos jours d’orgueil, d’avarice, d’envie, de colère, de luxure, de gourmandise, ni de paresse, c’est trop banal, trop quotidien. On pourra donc être envieux et orgueilleux dans la vie de tous les jours du moment qu’on condamne désormais l’intolérance (faut-il tolérer les péchés ?), la haine de la différence, le racisme, le xénophobie, l’homophobie, etc.
Viens [sic] ensuite l’intolérance et ses victimes. Nous parlons donc de ces millions de gens tués parce qu’ils étaient différents, par leur origine ethnique, leur religion, leur sexe ou leur orientation sexuelle.

Des millions de gens tués à cause de leur sexe ? Des femmes ? Où ? Quand ? Les bébés de sexe féminin avortés ? Ce n’est pas du tout clair. Et les autres avortés, d’aucune importance si ce n’est pas à cause de leur sexe ?

Des millions de gens tués à cause de leur orientation sexuelle ? On n’a pas de chiffres certains sur le nombre d’homosexuels tués par les nazis par exemple. Une étude récente mentionne de 5 000 à 10 000 homosexuels enfermés dans les camps de concentration nazis à cause de leur orientation sexuelle (mais souvent ce n’était pas la seule raison), mais on ne sait combien moururent.
Ces jours-ci, nous abordons le racisme et, plus spécifiquement, le nazisme, son apogée. Antisémitisme, eugénisme, xénophobie, endoctrinement, propagande, ignorance, préjugés et folie humaine sont au menu.
Quel poème à la Prévert ! Faut-il comprendre que l’ignorance et les préjugés sont des notions équivalentes au racisme « et plus spécifiquement le nazisme » ?

L’ignorance et les préjugés sont sans doute universels : comme on le verra, ce professeur a des préjugés favorables envers les jeunes réfugiés syriens qu’il accueillera dans sa classe alors qu’il ne les connaît pas... Parfois les préjugés sont des maux bénins ou inévitables. Edmund Burke a même fait l’éloge des préjugés... En effet, Burke se méfiait de la raison individuelle ou privée quand elle s’oppose à la raison ou l’expérience collective incarnée dans le préjugé. En tant que « sorte d’abrégé des raisonnements qui l’ont produit et des expériences qui l’ont validé », le préjugé se présente même pour Burke comme une condition de l’action et du comportement moral. Pour Theodor Dalrymple, si certains préjugés sont néfastes d’autres sont, en revanche, utiles ou pour le moins inévitables en société. On ne peut sans cesse tout remettre en cause ni tout vérifier par soi-même, il est aussi bon d’avoir certaines préconceptions envers des rouages de la société comme croire qu’un policier en faction nous aidera si nous sommes dans le besoin, même si on ne connaît pas les policiers que l’on rencontre.

Quant à l’eugénisme, il n’est pas du tout unique au nazisme, ni même au racisme : il est né dans les pays anglo-saxons (Galton en Grande-Bretagne) et aux États-Unis (Irving Fisher financé par John D. Rockefeller) pas en Allemagne et ils visaient toutes les races.

Tiens, il manque l’euthanasie dans la liste des maux du nazisme et de l’eugénisme. C’est pourtant un complément naturel à l’eugénisme (il faut éliminer les vieux, les débiles, les malades incurables) pour améliorer la société des vivants. Mais on comprend qu’aujourd’hui le mot euthanasie est banni par le correctivisme politique et ses « soins de fin de vie digne ». Pas de cela dans la classe de M. Tremblay.

Pour ce qui est du racisme et de sa lutte omniprésente à l’école, cette lutte devrait-elle vraiment être une priorité aujourd’hui ? Ou la dénonciation du racisme sert-elle plutôt à lutter contre le « nationalisme » et le « populisme », nettement plus contemporains, en faisant l’amalgame constant à l’école entre ceux-ci et le racisme ?

Comme le soulignait récemment le sociologue Mathieu Bock-Coté :
En matière de lutte contre le racisme, il n’y a plus, selon la formule rituelle, beaucoup de travail à faire. Le racisme est résiduel, aujourd’hui.

Alors comment les jeunes peuvent-ils croire que notre société est à ce point rongée par le racisme que la lutte contre lui soit une priorité ? En fait, ceux qui se spécialisent dans sa dénonciation et qui gagnent leur croûte ainsi ne veulent pas prendre leur retraite.

Alors ils nomment racisme n’importe quoi. Vouloir réduire les seuils d’immigration, ils appellent cela du racisme. Vouloir contenir la progression de l’islamisme, ce serait du racisme aussi.
Défendre l’identité québécoise ? Toujours du racisme !

Occidentalophobie ?

En fait, la jeune génération est née dans une société qui se déteste. On la dirait presque occidentalophobe. L’Occident n’en finit plus de s’accuser de racisme, de sexisme, d’homophobie, de transphobie, etc. Il aime se diaboliser. Il croit se grandir moralement en se rapetissant. La jeune génération a été élevée dans ce dédain ostentatoire. Et au-delà du racisme, elle a été élevée dans un culte quasi religieux des droits individuels.

À l’école, à la télé, elle n’entendait que ça : racisme, racisme ! Pas étonnant qu’elle répète sa leçon maintenant.

Cet enseignant d’ECR participe sans doute à son insu à cette culpabilisation. On ne pourra en tous cas prétendre que ce professeur est neutre, il distille indéniablement une vision du monde bien particulière, très « politiquement correcte ».
Par la suite, nous discuterons d’homophobie. Je leur parlerai de la triste histoire de Matthew Shepard, 21 ans, torturé et assassiné au Colorado parce qu’il était gai. Terrifiant !
Juste après le nazisme, car chacun sait que l’homophobie c’est comme le nazisme...?

On connait le glissement habituel : vous désapprouvez de l’homosexualité, ça vous dégoûte, vous ne souhaitez pas que vos enfants soient homosexuels ? Vous êtes donc des « homophobes » et l’homophobie conduit à tuer de jeunes homosexuels... (Se rappeler ce Matthew Shepard) C’est bien connu. Tout à coup les amalgames grossiers sont permis... Combien d’homosexuels tués par homophobie au Québec ? Combien ? Zéro ? Mais on n’hésite pas à en faire une priorité en classe apparemment.

Et même dans le cas de Matthew Shepard, cette icône, il n’est pas certain qu’il ait été tué à cause de son homosexualité. Ce professeur parlera-t-il des autres versions entourant ce meurtre ou cela brouillerait-il le message orienté qu’il veut faire passer ? Cela ferait-il tache dans son martyrologe...?

En 2004, le programme de nouvelles 20/20 d’ABC News a diffusé un reportage au cours duquel les deux assassins de Matthew Shepard, Russell Henderson et Aaron McKinney, ainsi que Kristen Price la petite amie de McKinney, le procureur et un enquêteur principal affirment que le meurtre n’a pas été motivé par la sexualité de Shepard mais plutôt un vol lié à la drogue qui a mal tourné. Kristen Price affirme avoir menti à la police quand elle a affirmé que McKinney s’était mis en colère à cause d’une avance sexuelle inopportune de la part de Shepard. Elle déclara à la journaliste de télévision Elizabeth Vargas ne pas penser que ce soit un crime haineux.

L’enquêteur Ben Fritzen affirma à la journaliste : « la préférence sexuelle de Matthew Shepard ou son orientation sexuelle ne constituait certainement le mobile du crime...».

Dans un article de la revue LGBT The Advocate, Aaron Hicklin écrit qu’après des années d’enquête, le producteur de l’émission, l’écrivain homosexuel Stephen Jimenez, a interrogé plus de 100 personnes et a « amassé suffisamment de preuves anecdotiques pour soutenir de manière convaincante que la sexualité de Shepard était, sans être accessoire, nettement moins importante à cette affaire que le consensus populaire voudrait nous faire croire. »

Le producteur de télévision Jimenez et son livre sur l’affaire
Le procureur dans cette affaire affirme qu’il y a de nombreuses preuves que la drogue était au moins un facteur dans ce meurtre. L’agent Waters confie à la journaliste britannique Julie Bindel : « Je crois encore aujourd’hui que McKinney et Henderson essayaient de trouver la maison de Matthew afin de voler la drogue qu’il y avait. C’était assez bien connu dans la communauté de Laramie que McKinney n’était pas quelqu’un qui frapperait par homophobie. »

Le 1er octobre 2013, Steven Jimenez, lui-même homosexuel, publia un livre qui contredisait catégoriquement la thèse du « martyr homosexuel ». Selon cette enquête, Shepard était un revendeur de drogue et connaissait bien ses agresseurs avec qui il aurait eu des relations sexuelles avant le soir du drame. Son assassinat serait motivé par la drogue et non par son orientation sexuelle.

Le livre de Jimenez a été férocement attaqué par la presse « progressiste », mais l’ancien amant et ami de longue date de Matthew Shepard, Ted Henson, a déclaré que le livre n’était « rien de plus que la stricte vérité ». Pour plus de détails récents, lire l’entretien de Jimenez avec la revue littéraire Spiked ! publié en 2015. Bref, l’affaire semble compliquée, gageons que la discussion sur cette « victime de l’homophobie » dans la classe d’Alain Tremblay, devant ses élèves captifs, sera plus simple.

Et si on enseignait simplement la courtoisie, la politesse et le respect à l’école sans utiliser celle-ci pour culpabiliser les enfants et faire passer le message de certains lobbies (voir Pas de classiques de la littérature, mais la lutte contre l’hétérosexisme en classe de français, d’anglais, d’histoire et de mathématiques).
Viendra ensuite le module sur l’avenir de l’humanité. Sous l’angle des inégalités sociales, des sociétés productivistes et du manque de respect envers la nature et les animaux, nous regarderons les immenses défis que nous devons relever afin d’assurer demain et… après-demain ! Tout cela appuyé par la pensée d’Hubert Reeves, de Pierre Dansereau et de Michel Jurdant. Rien de moins !

Tout cela est bien beau et bien orienté. On reconnaît des éléments du discours écologistes, socialistes et antiproductivistes. Comme on l’avait déjà noté dans une analyse de trois manuels ECR du primaire approuvés par le Bureau de l’approbation du matériel didactique : « On ne parle donc jamais de notre développement, notre richesse, notre confort, etc. N’y aurait-il aucune responsabilité éthique à se développer ? »
Les questions existentielles, le sens de la vie, les grandes religions (leur fondement mais aussi leurs dérives et dérapes), la justice et enfin l’ambiguïté humaine (le dopage sportif et la tricherie) viendront clore l’année scolaire.

Notons que le professeur parle peu des religions et assure les critiquer (« les dérives et dérapes [sic] »). Ce n’est sans doute pas étranger au fait qu’il écrive dans le Devoir et veuille rassurer ses lecteurs « laïcs ». Mais M. Tremblay se garde bien d’être précis. Des critiques sur l’islam ? Des critiques sur l’impasse du dialogue interreligieux ?

On se demande bien comment le cours ECR pourra donner un sens à la vie alors que le professeur est supposé être neutre et un simple animateur. Gageons que M. Alain Tremblay essaie de remédier à ce vide métaphysique en guidant ses élèves adolescents dans la voie qu’il a choisie.
J’en profite pour inviter MM. Richard Martineau, Mathieu Bock-Côté et Jean-François Lisée à assister à un de mes cours (ou à un cours de mes excellents et rigoureux collègues).

Après une critique sévère du cours ECR, des élèves d’une école de Granby avaient fait la même invitation à des adultes pour qu’ils assistent à « leur » cour d’ECR. Un père de famille avait voulu accepter cette invitation. Après de multiples tentatives pour joindre l’enseignante d’ECR, Mme Bergeron, celle-ci a refusé que ce monsieur y participe prétextant une vague opposition des parents. Selon ce lecteur outré : « dans le journal, cette professeur se donne le beau rôle, fait tancer les adultes qui n’apprécient pas ce cours par ses élèves influençables et obéissants, puis elle refuse l’invitation en privé. Est-ce là un comportement digne ? »
Simplement afin de constater que nous n’endoctrinons pas nos élèves, mais dénonçons, haut et fort, toutes formes d’intolérance, source de mal et de souffrance.

La liste des exemples d’intolérance ci-dessus est sélective. Toute liste l’est, aucune n’est vraiment neutre. On doit toujours trier selon ce que l’on considère comme grave et pertinent. Le nazisme est-il vraiment un exemple pertinent ? Le racisme si important aujourd’hui ? Ou l’obsession qui entoure cette dénonciation ne sert-elle pas d’autres fins : culpabiliser les jeunes québécois (qui n’ont pas de passé colonialiste ni esclavagiste pourtant !) et miner le nationalisme québécois par association ?

Et puis la valeur suprême de notre société devrait-elle vraiment être la « tolérance » ? N’est-ce pas la base même du multiculturalisme ? Il faut tolérer toutes les religions, toutes les coutumes, toutes les langues car — selon la vulgate politiquement correcte — l’intégration, l’assimilation sont des formes de violences devant des différences qui nous enrichiraient ?

Messieurs, l’objectif de ce cours est de rendre les jeunes plus conscients et sensibles, moins individualistes,

Il n’est pas du tout évident que cela soit le cas : le programme insiste beaucoup sur l’autonomie de l’enfant, il le laisse seul arbitre en théorie des questions éthiques, il doit refuser tout préjugé collectif... Et depuis quand l’État a-t-il le mandat de rendre les enfants des autres plus ou moins individualistes ?

moins égoïstes, plus ouverts sur la différence et plus respectueux des humains et autres formes de vie !

Toutes formes de vie ? Les plantes, les amibes, les moustiques, les bactéries, etc. ? Qu’est-ce que ce prêchi-prêcha écologiste de base ? Et des parents confient leurs enfants à ce professeur ?

En peu de mots : participer activement, par des gestes salutaires et généreux, à la construction d’un monde meilleur !

Que c’est lyrique et peu neutre... (meilleur en fonction de quoi ?)

Cela dépasse toute forme de politique et de nationalisme. Quel défi en [ce?] XXIe siècle ou [sic: où] mensonges, désinformation et populisme règnent impérialement !

Quand on vous avait dit que le nationalisme et le « populisme » prononcé du même souffle que « mensonge » et « désinformation » c’était très mal. Et, faisant toujours dans la nuance, ce professeur déclare tous ces maux « régne[r] impérialement ». Rien que cela. Heureusement de nouveaux curés veillent. Ils font catéchèse dans les écoles apparemment.

[...]
Bientôt, nous accueillerons les réfugiés syriens. J’ai hâte de les rencontrer. Je serai humble et ému devant ces enfants de la guerre. Unis par notre humanité, nous partagerons tous ensemble ! Partager et non… endoctriner !

Et ça se donne le beau rôle... en toute humilité, bien sûr. Notons que le dalaï-lama, dont nous parlait ce prof d'ECR au début, trouve qu'il y a désormais trop de réfugiés en Europe... (AFP le 31/05/2016).

Après un tel plaidoyer émouvant et partial, comment un élève de la classe de M. Tremblay, ce professeur si effacé, si neutre, oserait-il le contredire et notamment dire que le nationalisme n'est pas un mal, que l’immigration doit être limitée, qu’il n’est pas nécessairement bon pour le Québec d’accueillir tant d'immigrants ?