vendredi 29 janvier 2016

Donner plus d'autonomie à l'école? Le projet de loi 86 n'est pas la réponse

Billet intéressant de Daniel Trottier, chargé de cours en gestion de l’éducation à l’Université de Sherbrooke, ex-directeur d’établissement scolaire. Extraits.
Pensez-vous qu’un jour, on verra au Québec la naissance d’une école publique autonome ? Une école publique capable d’embaucher et de gérer son personnel ? Capable d’établir un budget digne de ce nom, d’avoir un patrimoine qui lui est propre ? Capable de voir à l’entretien de son bâtiment et de ses installations ? Capable de réparer un toit qui coule, de repeindre ses murs et ses escaliers de métal avant qu’ils ne rouillent ? Capable d’acheter des casiers neufs, des pupitres neufs, des chaises neuves ? Capable de renouveler son matériel didactique et ses équipements informatiques ?

[...] Pensez-vous qu’un jour, on verra au Québec une école publique autonome, qui n’a pas de permission à demander à la commission scolaire pour mettre en œuvre un projet pédagogique particulier ?
[...]

Ce n’est pas avec le projet de loi 86 que ça risque d’arriver.

[...]

Les gagnants et les perdants

Parmi les gagnants de ce projet de loi, signalons d’abord les parents, qui seront représentés au nouveau conseil scolaire [6 parents sur 16 membres] appelé à remplacer le conseil des commissaires élus. Ils auront aussi plus de pouvoir au sein du conseil d’établissement de l’école. En effet, si le projet de loi est adopté en l’état, le conseil d’établissement de l’école pourra adopter — et non plus seulement approuver, comme c’est le cas actuellement — certaines mesures à portée éducative, comme les modalités d’application du régime pédagogique [note du carnet : il faudra voir dans quelle mesure précise] et les orientations générales en matière d’adaptation et d’enrichissement des programmes. Il en sera de même en ce qui touche au plan contre l’intimidation et la violence, aux règlements de l’école, aux mesures de sécurité et à la liste des effets scolaires que les élèves doivent se procurer.

[...]

Dans un tel cadre, le personnel enseignant apparaît comme perdant. En effet, même si le projet de loi 86 ajoute l’expression « À titre d’expert en pédagogie » à l’article 19 de la Loi sur l’instruction publique décrivant les droits des enseignants, les modifications envisagées visant le renforcement des pouvoirs du conseil d’établissement se font à leur détriment, comme l’a observé à sa manière la Fédération autonome de l’enseignement, dans un communiqué au titre évocateur : « Les profs relégués au rôle d’exécutant ».

Ce sera aussi le cas des directrices et directeurs d’établissement, qui devront se plier aux décisions du conseil d’établissement dans les matières sur lesquelles ils exercent actuellement un plus grand contrôle, de façon collégiale avec leurs équipes. On objectera que le projet de loi 86 leur confère des pouvoirs supplémentaires puisqu’ils pourront élire des représentants au conseil scolaire et au comité de répartition des ressources de la commission scolaire. Mais ce sera à l’extérieur de l’école.

[...] Cela ne signifie pas que la commission scolaire perdra des pouvoirs au profit des écoles. Sur ce plan, rien ne changera. L’école restera un organisme déconcentré de la commission scolaire, sans personnalité juridique. Elle ne se verra confier aucune responsabilité supplémentaire en gestion pédagogique ni en gestion des ressources humaines, financières et matérielles.

Le ministre de l’Éducation sera, avec les parents [à voir], le grand gagnant de l’opération. Le projet de loi lui confie notamment les pouvoirs de fixer la durée du mandat d’une directrice générale ou d’un directeur général d’une commission scolaire ; de prendre connaissance de l’évaluation de la direction générale ; d’intervenir dans le processus décisionnel visant le renouvellement du mandat de la direction générale, ou visant sa suspension ou son congédiement ; d’intervenir dans le partage des ressources entre commissions scolaires, ou entre commission scolaire et établissement d’enseignement privé ; d’intervenir dans le « plan d’engagement vers la réussite » de la commission scolaire — qui remplacera le « plan stratégique » dans la loi actuelle.

C’est considérable, et cela se situe aux antipodes de la décentralisation.


Voir aussi

Pas d'écoles autonomes avec la loi 86


Les Ursulines passent du français à l’anglais pour une partie de sa clientèle

Selon Frédéric Lacroix :

Un communiqué de presse nous apprenait le 26 janvier 2016 que l’école des Ursulines, une des plus anciennes et des plus prestigieuses écoles privées au Québec, allait passer de l’enseignement en français – une tradition qui date des débuts de la colonie – à l’enseignement majoritairement en anglais pour une partie de ses élèves du primaire dès septembre 2016.

Le directeur de l’école des Ursulines, M. Jacques Ménard, affirme que cela permettra « aux élèves de la haute-ville de Québec d'avoir accès à un enseignement en immersion anglaise, et ce, pour de nombreuses années ».

Voilà qui étonne. Qui étonne car, aux dernières nouvelles, l’immersion anglaise dans les écoles de langue française était prohibée par la Loi sur l’instruction publique (LIP). La loi est claire. Une école offrant de l’immersion anglaise aux francophones ne peut pas être subventionnée par le Ministère de l’Éducation du Québec.

Le réseau des « Vision Schools », qui se targue d’offrir de l’immersion anglaise aux petits francophones, n’est ainsi pas subventionné par le gouvernement du Québec.

De trois choses l’une : soit M. le Directeur de l’école des Ursulines ignore les dispositions de la LIP touchant la langue d’enseignement, soit il a déjà une entente en sous-main avec le ministre de l’Éducation pour faire modifier la LIP dans le sens souhaité, soit il est entendu que les Ursulines passeront du statut d’école privée subventionnée à celui d’école privée non subventionnée.

Quoi qu’il en soit, une telle nouvelle, qui tombe du fil de presse le même jour que le dévoilement des résultats d’une étude de l’IREC affirmant que 60% des immigrants allophones ne se francisent pas et que l’incohérence de la politique du gouvernement du Québec est largement responsable du recul du français à Montréal, illustre dramatiquement le recul que subit le français au Québec, recul qui touche maintenant ses institutions les plus prestigieuses.

Les communautés religieuses ont joué un rôle historique de premier plan pour ce qui est du maintien et du développement d’un réseau d’écoles françaises au Québec et ailleurs en Amérique de Nord. Réseau qui a permis à l’élite canadienne-française de s’instruire en français pendant presque 400 ans.

Voir maintenant une école telle que les Ursulines basculer à l’enseignement en anglais pour une partie de sa clientèle est un puissant symbole du démantèlement du Québec français qui est en cours.

Plus de détails : le site des Ursulines